17. Hazel, grande gardienne
La caravane continuait son cheminement à travers Esyadell. Onyx observait les alentours, fasciner par les fresques encore présentes sur la façade des bâtiments. Mais une étrange sensation prenait place dans son cœur. Il aurait aimé voir cette ville en vie, pouvoir profiter des produits et de l’ambiance festive dessiner sur les murs.
— Dis-moi Unakite, depuis combien de temps cette ville est-elle abandonnée ?
— Cinq ans, il me semble.
Une réponse qui glaça le jeune homme. Cinq ans n’étaient pas une durée très importante dans le désert, mais il comprenait maintenant mieux les dangers de ces terres sauvages. Il ne voulait pas imaginer ce que pourraient devenir les grandes villes de Rui Wang si la nature désirait reprendre ce qui lui appartenait.
— Le désert est impitoyable.
Howlite s’était positionné à côté de lui, et observait à son tour les mosaïques peintes sur les maisons.
— C’est pour ça que nous répétons sans cesse aux étrangers de faire attention.
— Entre le sable, les créatures, et les mercenaires… Ce sont des contrées de désolation…
— Des terres brulées par la sécheresse et l’abandon des déesses.
— Vous passiez souvent par ici lorsqu’il y avait encore de l’animation ?
— Howlite est originaire d’ici.
Topaze s’était joint à la conversation en s’approchant également d’eux.
— Tu es née ici ?
La concerné hoche simplement la tête et détourne le regard. L’empathie prend possession du jeune voyageur, s’imaginant la peine que cela doit être de revenir dans sa ville natale, et de la voir déchue.
— Je…
— Tu n’as pas à être triste pour la ville. Nous l’avons quittée avant les combats, seuls les plus entêtés se sont battus pour elle. Mais nous avions compris qu’elle ne servait plus à la route commerçante.
— La route commerçante ?
— Esyadell faisait autrefois partie de la route commerçante entre la mer d’argent, à l’Est, et Thalios.
Topaze pointe deux directions complètement opposées, l’une dans leur dos, l’autre à leur gauche.
— Si tu dois te sentir abattu, alors soit le pour Hazel.
— Le serpent ?
— C’est une gardienne. Missionnée par les déesses pour protéger ce point de relais, elle est condamnée à errer seule autour de cette cité fantôme, pour l’éternité.
— Elle ne trouvera jamais le repos ?
— C’est une créature céleste, elle est immortelle.
Il avait déjà entendu parler d’entité créée par les déesses dans des buts précis, mais il pensait qu’une fois cet objectif atteint et leur tâche accomplis, ces êtres retournaient auprès des déesses. Ou dans le cas d’aujourd’hui, trouvais le repos.
— Vous connaissez beaucoup de créatures comme elle ?
— Je crois me souvenir que l’Arise de Jun possède des attraits divins, je n’en suis pas sûre.
— Dans le cas contraire, c’est juste un très gros chien.
Les deux adultes s’attirèrent le regard du canidé et de son compagnon de route. Onyx ricana lorsque ces derniers se turent face au regard noir du jeune gardien.
— Vous en avez rencontré ?
— Oui, et sincèrement, j’aimerais ne jamais les recroiser…
Howlite rigola face à la grimace de Topaze.
— Lesquels ?
Onyx avait des étoiles dans les yeux, intéressé d’en apprendre plus sur des créatures inconnues pour lui.
— La plupart de ces êtres sont des gardiens, mais d’autres sont des mutations apparues après le mélange des forces d’Etsy et celle d’Erebun.
— Et elles sont effrayantes.
— Et dangereuses.
Ils semblaient réfléchir aux dernières rencontres qu’ils avaient faites. Onyx se rendit compte qu’il ne connaissait pas les créatures qui peuplaient ces terres, à l’exception de ceux qu’il avait vus dans de vieux ouvrages. Les deux adultes ne purent partager leurs expériences au plus jeune, car une voix les interrompt.
— Remettez-vous en ligne, nous allons quitter Esyadell.
La voix de Badho était autoritaire, et chacun obéit rapidement. Onyx se retrouva entre Jun et Tilidad, à la fin de la ligne que formait la caravane. Ils passèrent le dernier bâtiment de la cité, et regagnèrent les dunes du désert. Les lignes d’Anata étaient toujours présentes sur le sable, mais elles semblaient plus nombreuses qu’à leurs entrées dans la ville.
— Reste en ligne Onyx. Ne t’éloigne pas.
L’avertissement venait de Tilidad, qui regardait avec insistance ces fleurs sanguines. Le jeune homme prit en main sa rêne et fit attention à la direction qu’il empruntait. Il s’assurait de toujours suivre le dromadaire de Jun, et de rester sur la crête de la dune.
— Elle nous observe.
La voix du gardien était calme, mais son corps était tendu. Le garçon tourna son regard vers l’étendue orangé qui se trouvait à sa droite. Il observait les lignes rougeâtres serpenter sous une fine couche de sable, et croisa deux orbes orpiments, légèrement sortis du sol.
Son souffle se coupa, son corps se figea. Les yeux du reptile le scannaient. Aucun geste, même minime, ne lui échappait. Elle n’était pas très loin de la caravane, tapis sous les grains de sable, à une centaine de mètres d’eux. Ses écailles d’un nacre usées par le temps camouflaient l’entièreté de son corps dans le sol.
Onyx ressentit une gêne dans sa gorge, et la peau de son cou commença à la démanger. Il porta sa main contre sa peau, et gratta la marque incrustée sur son épiderme. Son geste attira l’attention du serpent, qui fit vibrer son corps pour sortir du sable, se dévoilant au reste de la caravane.
Les cavaliers restèrent calmes à son arrivée, ils savaient comment réagir face à cette gardienne. Mais son comportement semblait différent. Elle serpentait lentement sur les dunes, les lignes d’Anata réagissaient à son passage. Les fleurs sanguines étaient aspirées dans le sol, tandis que leurs racines devenaient écarlates.
Hazel s’arrêta à une vingtaine de mètres d’eux, et éleva le haut de son corps dans les airs. Onyx compris la raison pour laquelle les voyageurs se méfiaient des créatures divines. Elle déploya sa coiffe, un sifflement retentit dans l’air. Le cobra semblait en colère.
La caravane s’était arrêtée à son approche. Les montures étaient effrayées, mais leurs cavaliers refusaient qu’elles bougent. Aucun d’eux ne devait bouger. L’arise qui accompagnait Jun s’était caché entre les pattes du dromadaire de son compagnon, et Sarshall avait trouvé refuge dans un plie de vêtement d’Onyx.
Ce dernier essayait de lutter contre une gêne présente dans sa gorge, la peau de son cou le brulait. Il souhaitait tousser pour extraire ce mal, mais la peur lui tordait le ventre. Comment savoir la réaction qu’aurait la gardienne s’il émettait un seul bruit. Son souffle s’accéléra, mais il continuait de résister à l’envie de cracher à terre la douleur qui s’immisçait en lui.
Jun fut interpelé par les bruits qu’émettais le nouveau voyageur, et décida de se retourner. Il fut surpris de voir une marque sur le cou du garçon, une étoile présente à la base de sa gorge, briller d’un éclat doré. Mais cette empreinte semblait gêner le voyageur, car l’une de ses mains grattait cette partie avec force, si bien que ses ongles y laissaient des marques.
Le regard ambre d’Onyx ne quittait pas l’animal, captivé par son envergure. Elle dégageait une énergie qu’il ne savait pas décrire. Ce dernier ne semblait pas observer les autres cavaliers de la caravane, ses orbes orpiments s’étaient posés sur lui, et ne l’avait pas quitté depuis. Elle rapprocha sa tête du garçon, et huma l’air de sa langue. Elle réitéra son action trois fois de suite, toujours sur lui, puis se recula.
Ses iris grossissaient un instant, et redevenaient aussi fins qu’un trait. Elle siffla une dernière fois avant de se reculer et de se tourner vers Esyadell. Elle rabattit sa coiffe et rampa sur le sable, laissant la caravane saine et sauve. Les fleurs des lignes d’Anata réapparurent à la surface, et le reptile disparut dans le sable.
Chacun était encore tétanisé par la situation, et aucun n’osait bouger de nouveau. Les gardiens s’assurèrent qu’Hazel avait regagné son nid, et firent signe au chef de groupe de continuer leur route.
Leurs montures s’empressèrent d’avancer, encore apeuré par le reptile et souhaitait s’éloigner au plus vite de cet endroit. Les cavaliers restaient méfiants et regardaient les alentours. Jun se tourna complètement vers Onyx et constata que ce dernier avait arrêté de se gratter la peau, mais la marque était encore présente sur son épiderme, bien que moins visible désormais.
Il ne lui dit rien lorsque celui-ci le regarda d’un air interrogateur. Il détourna simplement son attention sur son chien, puis sur ce qui se passait devant eux. Onyx ne comprenait pas ce qu’il lui était arrivé. Il n’avait jamais ressenti une aussi grande sensation d’inconfort pour respirer ou avaler. Il ne savait pas si l’un des membres de la caravane était soigneur, mais cette sensation l’avait inquiété.
Il s’était retrouvé à la merci de la gardienne, sans pouvoir bouger ou émettre un seul souffle. Il avait été capté par ses yeux, et avait ressenti la même sensation qu’avec Xéno. Comme si elle avait sondé son âme au plus profond de son corps.
Il frissonna et secoua la tête afin de ne plus y penser. Il devait se concentrer sur leurs avancés dans le désert et sur Thalios. Mais il garda dans un coin de sa tête cet évènement.
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