18. Embuscade
Après leur rencontre avec la gardienne Hazel, la caravane de Wahah reprit la route vers Thalios. Ils devaient passer par la ville de Sarrailh pour déposer des marchandises et en prendre de nouvelles. Cet arrêt ne devait pas leur prendre trop de temps, un ou deux jours, le temps de se rapprovisionner en vivre afin d’atteindre Thalios.
Unakite avait le regard jongleur, il semblait regarder les pattes de chaque monture avec insistance. Onyx se questionnait sur ce qu’il cherchait. Il comprit en suivant les yeux du gardien qui s’était arrêté sur l’un des antérieurs de la monture de Tilidad. La patte de l’animal était blessée, sans doute lors de leur traversée dans Esyadell.
— Badho, nous devrions faire une pause.
Le chef de la caravane ne dit rien, il se contenta de regarder Unakite. Onyx les observait avec une certaine fascination. Il comprenait bien le lien qu’avait chaque membre entre eux. Ils arrivaient à communiquer avec un simple regard. Il en eut la preuve lorsque Badho ordonna l’arrêt du groupe pour monter un campement.
Ils mirent pied à terre en bas des dunes, et commencèrent à dresser les tentes. La nuit était loin de tomber, mais les dromadaires blessés devaient être soignés. Ce fut Tilidad et Topaze qui s’en occupèrent. Onyx proposa son aide, mais il fut intercepté par Unakite pour continuer son entrainement à l’arc.
Il s’exerça donc durant des heures sous le regard curieux de certains membres de la caravane. Lorsque son bras d’arc fut trop douloureux à cause du frottement de la corde, il baissa les bras pour se reposer quelques instants.
— Tu ne devrais pas t’arrêter.
Il serra les dents et releva la tête vers Jun. Ce dernier était assis sur un tapis, les jambes croisées, à éplucher quelques fruits pour le repas du soir. Il ne l’avait pas quitté du regard depuis le début de sa leçon, s’étant même positionné de façon à toujours avoir un œil sur lui.
— Je ne fais qu’une pause.
— Tu n’auras pas le temps d’en faire en plein combat.
Il avait raison, mais ce n’était qu’un apprentissage. Il ne comprenait pas le sens de l’acharnement qu’avait cet homme envers lui. Il ne le supportait que temporairement.
— Pas besoin de me le rappeler, je saurais me battre sans merci.
— Tu mens.
Onyx se tourna vers lui, les poings serrés. Il détestait se faire traiter de menteur.
— Je saurais me battre.
— Je n’ai pas dit le contraire.
Il s’arrêta dans sa colère. Il n’arrivait vraiment pas à comprendre ce gardien. Unakite n’intervint pas, il les observa, prêt à agir. Mais pour une fois, il se dit que l’intrusion de Jun pouvait servir à faire progresser Onyx, comme lors de son dernier entrainement.
— Je dis simplement que tu ne sauras pas te battre sans merci.
— Et qu’est-ce qui te fait dire ça ?
— Tu n’es pas un mercenaire.
Jun délaissa les fruits qu’il avait en main pour se lever, et s’avança lentement vers le jeune homme.
— Tu n’es pas un barbare. Tu ne sais pas te battre comme l’un d’eux.
Onyx perdit toute assurance face à l’aura menaçant de son vis-à-vis, qui continuait d’avancer.
— Tu n’auras jamais la force de t’attaquer à des innocents. Tu ne pourras jamais détruire une famille sans avoir de remords. Tu n’auras pas le courage d’égorger une femme qui te demande pardon. Tu n’arriveras jamais à te battre sans merci-
— Jun.
La voix grave de Badho arrêta le concerné. Il se trouvait maintenant face à Onyx. Son souffle s’était accéléré au fil de ses paroles. Ses poings étaient serrés et son visage était clos. Le jeune homme qui se trouvait face à lui ne disait rien. Il restait là, immobile, à attendre un nouveau geste de sa part.
En vérité, Onyx était tétanisé face au jeune gardien. L’aura qu’il dégageait l’inquiétait. C’était une présence sombre et écrasante. Son interlocuteur sembla se calmer, il se recula et disparu derrière une tente.
Les jambes du nouveau venu lâchèrent sous la pression. À terre, il reprit son calme et lâcha son arc, il avait la trace de la poigne marquée sur sa peau. Il l’avait serré si fort que ses phalanges avaient blanchi.
— Excuse-le.
Unakite se voulait rassurant. Il vint l’aider à se relever et le rassura sur le comportement de Jun. Badho vint vers eux pour demander au plus vieux un changement d’arme. Selon lui, Onyx s’était assez entrainé à l’arc, il devait maintenant apprendre à se servir d’une lame.
Il se souvint du présent que lui avait offert Xéno, et sortis la dague de son fourreau, accrocher à sa taille. Unakite fut surpris de voir une telle arme en sa possession, mais n’en tint pas rigueur. Cependant, ça n’allait pas être son professeur pour cette nouvelle leçon. Il appela l’une des femmes assises proche des dromadaires, qui s’occupaient de préparer le feu du souper.
C’était une femme à la peau claire, de longs cheveux noirs s’échappaient de son chèche, mal mis sur le haut de sa tête. Son accoutrement était atypique pour une femme du désert. Son ventre était découvert, mais son buste semblait être protégé par des morceaux de fer. Son bas était ample, si bien qu’on ne discernait pas la forme de ses jambes. Des gants en cuirs remontaient jusqu’à ses coudes, usés par les serres des rapaces.
— Shiva, peux-tu venir un instant ?
La concerné accourut à leurs côtés, sourire aux lèvres.
— Je te le laisse.
Et il disparut avec Badho dans la tente principale. Le voyageur regarda Shiva sans un mot, les yeux grands ouverts. Il ne savait pas ce qu’il devait faire, et elle semblait s’en amuser.
— Ne prends pas cette aire surprise. Je m’y connais plus en méthode de combat rapprochée que lui.
— Avec des lames ?
— Pas seulement. Le combat rapproché peut aussi se faire à main nue. Mais cela demande plus de pratique et de la force. Ce que…
Elle laissa sa phrase en suspens, zyeutant de la tête au pied le garçon qui se tenait devant elle.
— … tu n’as pas.
Un sourire fleuri sur ses lèvres face à la grimace vexé du concerné. Shiva était ainsi : taquine, mais sérieuse. Elle avait déjà évalué Onyx d’un seul coup de regard.
— Tu auras besoin de savoir te battre lorsque tu reprendras la route seul.
Reprendre la route, seul. Cette phrase résonna dans la tête du jeune homme quelques secondes avant de s’estomper. Il est vrai qu’il s’était lancé dans l’aventure en solitaire. Mais la présence de la caravane lui avait apporté beaucoup, que ce soit dans l’apprentissage du combat ou dans la connaissance d’autres cultures.
— Tu as raison. Je dois apprendre à me débrouiller.
Le ton de sa voix possédait une certaine détermination soudaine qui fit rire Shiva. Elle sortit un sabre de son étui et fit face à son vis-à-vis.
— Un combat commence de n’importe quelle façon, dans n’importe quelle situation, et contre n’importe qui, commença-t-elle. Mais nous nous mettons souvent dans la même position lorsque nous sommes au sol.
Elle pointa ses pieds et se mit en position.
— Ta main d’arme axe ton pied d’appui. Si tu es droitier, ce sera ton pied droit qui sera positionné vers l’avant et le gauche en appuie derrière, et inversement. À toi.
Onyx modifia sa posture. Il brandit sa lame vers le ciel et essaya d’imiter la jeune femme. Mais ses gestes n’étaient pas certains, il essaya de bouger ses pieds pour copier Shiva. Cette dernière s’avança pour lancer la première attaque, surprenant le garçon qui recula. Elle réitéra son geste. Une fois. Puis deux. Puis trois. Le garçon esquiva comme il put, le sabre de son adversaire effleurait sa lame dans un sifflement aigu.
— Attaque. Cesse de reculer et avance.
Écoutant ce qu’on lui dit, Onyx avança d’un pas. Il para un coup et poussa sur sa lame pour esquiver. Shiva s’arrêta net, les yeux ronds fixer sur sa lame.
— Comment as-tu fait ça ?
Elle se tourna vers Onyx qui la regardait dans l’incompréhension totale. Il haussa simplement les épaules, ne sachant lui-même pas comment il avait fait.
— Je… J’ai vu l’entrainement de certains gardes à Tenerice.
— Tu arrives à répéter les gestes que tu vois ? Sans même avoir essayé avant ?!
Le cri de la jeune femme attira l’attention de certains membres de la caravane, qui la regardait avec questionnement.
— Ce garçon a une mémoire visuelle impressionnante !
Son regard logeait une lueur de joie intense qu’Onyx n’avait jamais observée auparavant.
— On recommence ! Montre-moi ce que tu as appris juste en observant ce qui t’entoure.
Le garçon joue le jeu et recommence. Leurs entrainements dure une bonne heure, puis arrêtèrent à l’appel du chef de caravane pour le diner. Le grand groupe se retrouva autour d’un feu, assiette en main, entamant leurs derniers repas de la journée avant le coucher du soleil. L’un des guetteurs était installé sur le haut de la dune, et son comportement alerta Badho.
— Que se passe-t-il ? cria-t-il.
— Des cavaliers. J’ai l’impression qu’ils nous ont suivis.
Le chef de la caravane gravit le tas de sable et observa l’horizon. Les membres du groupe les regardaient avec attention, attendant les commandements de leur guide.
— On lève le camp, en vitesse ! s’écria Badho tandis que les cavaliers continuaient leurs avancés dans leur direction.
Le groupe s’affaira rapidement à remballer leurs affaires. Onyx s’élança vers sa monture pour paqueté une partie de ses effets personnels ainsi que l’arc de Unakite. Tilidad arriva à ses côtés pour l’aider à sangler sa selle.
— Écoute-moi bien, si le groupe vient à être dispersé, tu me suis, c’est clair ?
Le garçon ne fit que hocher la tête, une réponse qui ne suffit pas pour elle. Tilidad l’attrapa par les épaules, le forçant à s’arrêter et la regarder.
— Onyx. Quoi qu’il arrive, tu me suis. Et tu ne te retournes pas. C’est clair ?
— Oui.
— Tout le monde m’écoute !
La voix autoritaire du meneur arrêta tout le monde.
— Si nous venons à être séparés, essayez de rester en duo, ne restez pas seuls. Nous nous rejoignons tous à Sarrailh, et nous attendons tout le monde, compris ?
Badho obtint une réponse commune de la caravane et chacun se mit en selle. Le groupe de cavalier se rapprochait calmement au trot, mais leurs tenues ne rassuraient pas les gardiens du groupement.
La caravane se remit en route dans la précipitation, mais ils furent vite rejoints par le groupe de cavalier. Au nombre de sept, les meocs qui chevauchaient étaient plus rapides que les simples dromadaires des voyageurs et parvinrent à encercler le groupe sans difficulté. Onyx resta à côté de son amie, cette dernière empoignait déjà la poignée de son sabre en cas de besoin. Sarshall s’était réfugié dans la sacoche du garçon, accrocher sur l’un des flancs de sa monture.
— Bien le bonjour voyageur ! s’exclama le chef des vagabonds. Quelle magnifique journée, vous ne trouvez pas ?
— Que voulez-vous ? demanda froidement Badho.
— Nous ne sommes que de simples voyageurs, comme vous. Hélas, nous avons eu moins de chance face à la férocité du désert. Voyez-vous, nous avons dû affronter une tempête et quelques créatures, et une partie de nos vives ont malheureusement péri dans ce voyage.
Ses hommes faisaient le tour de la caravane, examinant chaque dromadaire et personne, observant les sacs pendant des selles. L’un d’eux était particulièrement insistant vis-à-vis des femmes, un sourire malsain collé sur le visage. Il retourna auprès de son chef et lui chuchota à l’oreille.
— Nous ne vous demandons pas grand-chose, juste un peu de votre hospitalité.
— Nous n’offrons pas d’hospitalité à des brigands.
— Brigands ! s’étouffa l’homme en paraissant offusquer. Allons mon bon monsieur, nous ne sommes que de simples âmes perdues dans cette étendue inhabitable. Nous vous le demandons gentiment. Mais nous pouvons aussi nous montrer plus insistants.
Il brandit en l’air une arme qu’Onyx n’avait encore jamais vue. Fait de bois et de métal, elle n’était pas plus grande qu’un avant-bras. Cependant, le recul qu’eut le meneur l’interpela sur la dangerosité de cet équipement.
— Je te laisse le choix vieillard.
Un claquement de langue retentit dans l’air, et deux bandits furent à terre. Tout s’enchaina rapidement. Les gardiens de la caravane sortirent leurs sabres et défendirent le groupe. Une détonation surprit Onyx alors qu’il s’éloignait du groupe, tirer par Tilidad.
La caravane se dispersa, poursuivit par les cavaliers qui n’étaient pas occupés par les combats. Au galop, les montures du duo ne pouvaient rivaliser face aux meocs qui les suivaient, mais Tilidad ne ralentissait pas.
Alors qu’ils se pensaient assez loin, une nouvelle détonation retentit et Onyx se sentit projeter en avant, passant par-dessus l’encolure de son dromadaire. Le choc fut dur contre le sol, il ne se redressa qu’après quelques secondes. La vue brouillée, il perçut les cris de Tilidad.
Il se retourna pour apercevoir son dromadaire abattu de deux trous dans la peau, sur une patte avant et dans le cou. Un peu plus loin, leur poursuivant était parvenu à faire descendre Tilidad de sa monture et la tirais par les cheveux, couteau en main. Les hurlements de la jeune femme firent frissonner le garçon.
Sauve-la ! furent les seuls mots qui lui vinrent à l’esprit. Sans même réfléchir, il s’élança vers sa selle et y arracha son arc. Son souffle se coupa net à l’encochement de sa flèche. Ses yeux se fixèrent sur le visage du brigand et malgré l’agitation, il lâcha sa corde.
Un fin sifflement retentit dans l’air. Une seconde plus tard, l’homme s’effondra au sol, la gorge ensanglantée. La jeune femme ne perdit pas un instant et attrapa les rênes du meocs, l’empêchant de prendre la fuite.
— Onyx !
Elle accourra vers le garçon et lui attrapa la main.
— Détache la selle et mets-la sur son dos. Vite !
Elle lui donna les rênes et courut vers son dromadaire, un peu plus loin sur une dune. Le jeune homme ne perdit par de temps et s’exécuta. Il attacha la dernière sangle, vérifia que sa sacoche contenait toujours son chat et le grimoire, et se mit en selle. Tilidad le rejoignit rapidement sur sa propre monture et ils se remirent en route. Ils s’éloignèrent le plus possible de la caravane, sans se retourner.
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