23. En selle !
Sarshall s’installait contre son compagnon, ce dernier était couché sur le dos, la tête posée sur son sac. Le soleil était levé depuis une petite heure, mais la ville commençait à peine à s’éveiller. Les membres de la caravane dormaient à poings fermés, éreintés par les péripéties auxquels ils avaient été confrontés.
Malgré la fatigue, il s’était réveillé tôt. Il ne voulait pas déranger qui que ce soit en bougeant, alors il restait là : allonger, les bras croisés derrière la tête et son chat couché en boule sur son ventre. Il réfléchissait à son aventure et à son avance.
Dans les prochains jours, il sera à Thalios. Et après ? Il avait fait tout ce chemin pour rejoindre la capitale, mais n’avait aucun plan concret une fois arrivé là-bas. Bien qu’il se soit déjà posé ces questions, il n’en avait toujours pas trouvé les réponses.
Un mouvement à sa droite l’interpella et il observa Howlite se lever discrètement pour rejoindre les montures. Il soupira et se redressa, après tout il n’avait rien d’autre à faire de sa matinée. Il caressa doucement le dos du félin pour le réveiller, les miaulements de ce dernier le firent sourire.
Sarshall n’était pas matinale, et les petits bruits qu’il émettait pour le faire savoir étaient toujours mignons à entendre. Il prit le temps de bien réveiller son compagnon de route et se leva. Il prit le temps de s’étirer, attrapa son chèche et marcha sur la pointe des pieds tout en évitant de marcher sur les autres.
Il atteignit la fontaine où s’abreuvaient les montures et retrouva Howlite aux côtés des meocs. Elle ne le vit pas immédiatement, ce qui lui permit de l’observer. Des rubans de différentes couleurs et tailles en main, elle plaçait les extrémités du garrot à la croupe, faisait le tour de leurs têtes et de leurs museaux. Intrigué par ces gestes, il finit par s’avancer vers elle en la saluant.
— Bonjour Howlite.
— Bonjour Onyx, bien dormi ?
— Ça peut aller.
— Le sol est plus dur ici que dans le désert, n’est-ce pas ?
— On peut dire ça.
Sa monture vint le saluer en frottant sa tête contre lui. Quelques grains de sable s’étaient immiscés dans ses narines et semblaient le déranger. Il prit le temps de nettoyer les sinus de l’animal tout en continuant de discuter avec la jeune femme.
— Qu’est-ce que tu fais avec ces rubans ?
— Je prends des mesures. J’ai demandé à un artisan du marché s’il pouvait nous dénicher des selles et brides pour les meocs.
— Pour quoi faire ?
— Pour être plus à l’aise une fois en selle. Les meocs ont besoin de brides spéciales, ce sont des créatures qui peuvent parfois se montrer très têtues.
Le jeune homme lança un regard à sa monture et interpella son amie.
— Je n’aurais pas besoin de bride.
Les mains en suspendent, elle finit par tourner la tête vers le garçon, les yeux grands ouverts.
— Et… pourquoi ça ?
— Je n’en ai juste pas besoin.
— Et s’il t’embarque sur un coup de tête ?
— Il ne le fera pas. J’ai confiance en lui.
Howlite n’ajouta rien et prit note de la demande d’Onyx.
— Très bien, pas de bride pour monsieur. D’autres recommandations ?
— Hm… Est-ce qu’il fait des labao ?
— Des quoi ?
— Euh… des sacoches cavalières à mettre sur l’arrière-train… des labao.
La jeune femme pouffa un court instant.
— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? se vexa son vis-à-vis.
— Rien, c’est juste que c’est assez drôle parfois de voir la différence de nos langues. Nous nous comprenons, mais avons des expressions différentes et parfois… disons, originales. Mais je prends note, pas de bride et des labao. Tu veux m’accompagner ?
— Pourquoi pas.
— Emmène ta monture avec nous.
— Pour quoi faire ?
— Il m’est impossible de l’approcher pour prendre ses mesures, peut-être qu’avec toi et l’artisan, vous y arriverez.
Le félin du garçon trouva refuge sur le dos de l’équidé tandis qu’ils se mirent en route vers l’atelier de l’artisan. Les premières heures dans les rues de la ville étaient calmes, quelques commerçants avaient poussé à travers les décombres de bâtisses et accueillait leurs premiers clients. En regardant de plus près les morceaux de tissus que tenait Howlite, il remarqua des lettres écrites à l’aide de charbon.
— Ce sont les noms des autres meocs ?
— Oui, Topaze et Unakite ont été très inventifs à ce sujet.
— Et comment s’appellent-ils ?
La jeune femme apporta les rubans devant son visage et lut les noms qu’elle avait maladroitement tracés sur les tissus colorés.
— Helix, Fude, Etil et Oreus.
— Très inventif, en effet, pouffa le garçon.
— Et toi, comment as-tu nommé ton meocs ?
— Je-
Avant même d’avoir pu finir sa phrase, il se reçut un léger coup de tête du concerné. Les yeux dans les yeux, l’animal et le garçon semblaient communiqués silencieusement.
Je ne l’ai pas nommé, c’est lui qui m’a donné son nom, était la phrase qu’il aurait voulu dire. Mais il ne le pouvait pas, pour la simple et bonne raison que la plupart des gens ne connaissent les meocs que comme des équidés sauvages et désertiques, qui ne sont pas doués de parole.
— Aggalaki. Il s’appelle Aggalaki.
— C’est joli, j’aime bien la consonance.
— Moi aussi.
Le concerné frotta sa tête contre l’épaule du garçon et chuchota.
— Merci, daghir.
— Désolé, j’ai failli révéler ton secret…
— Ce genre de comportement pourrait avoir des conséquences catastrophiques à l’avenir.
— Révéler un secret ?
— Plus que tu ne l’imagines, daghir.
Malgré l’avertissement que lui transmit l’animal, Onyx s’arrêta sur un autre élément qui le tracassait depuis peu.
— Howlite, tu sais ce que veux dire daghir ?
Le meocs releva la tête, offusquer par cette question. Il semblait apprécier le secret qu’il gardait sur ce surnom.
— Ça signifie petit, comme quelqu’un de petit, ou petit garçon.
— Eh ! Je ne suis pas un gamin !
L’équidé hennit, amuser de la situation. Il se mit à trottiner, poursuivit par son cavalier qui souhaitait se venger de ce surnom qu’il trouvait inapproprié. Howlite les observa se courir après et sourit ; ils avaient besoin de ces moments de repos et de joie après le périple qu’ils avaient traversé.
Ils arrivèrent quelques instants plus tard devant l’atelier de l’artisan et entrèrent. La jeune femme discuta de longues minutes avec le marchand, négociant les prix et fournissant les mesures. Puis elle revint aux côtés du garçon qui l’attendait dehors.
— Il prépare l’équipement dans la journée, nous pourrons en récupérer trois ce soir.
— Et les deux autres ?
— Il a déjà deux selles de prêtes, l’un correspond aux mesures de Fude. Tu veux essayer la deuxième sur Aggalaki ?
— Pourquoi pas.
L’artisan apporta la selle de cuir et essaya d’approcher l’animal, mais ce dernier se décala à chacun de ses pas.
— Je vais le faire, intervint le garçon.
Il saisit la selle et remercia l’homme, puis tenta sa chance. L’équidé ne bougea pas d’un centimètre et se laissa faire sous le regard attentif des deux adultes. Onyx ne serra pas davantage la sangle et se mis en selle. Il fit quelques réglages de taille, notamment pour ses étrillés et se redressa.
— J’ai l’impression que c’est la bonne taille.
— Parfait alors ! Nous récupérerons le reste ce soir.
— Vous n’avez pas pris sa bride, les interpella le marchand.
— Pas besoin.
La femme prit le second équipement et ils quittèrent l’atelier. Sur le chemin du retour, Howlite ne put s’empêcher de faire remarquer le lien étroit que le garçon et sa monture pouvaient avoir après seulement quelques jours passés ensemble.
— Tu as toujours eu des liens forts avec des animaux ? Comme avec ton chat par exemple.
— Pas vraiment. Sarshall est venu naturellement à moi et ne m’a plus jamais quitté. Aggalaki… je pense qu’il a souffert entre de mauvaises mains… J’aimerais faire en sorte qu’il se sente en sécurité avec moi, c’est pour ça que je ne veux pas l’entraver avec une bride et un mors.
— Je comprends. Tu es une bonne personne pour ça.
— Que pour ça ? s’offusqua le concerné.
— On verra pour le reste plus tard.
Les deux amis rirent et continuèrent de discuter jusqu’au campement de fortune. Une heure s’était écoulée depuis leurs départs et les membres de la caravane étaient enfin réveillés. Certains préparaient le repas, d’autre s’occupait de paqueté leurs affaires ou nourrissait les montures.
Mettant pied à terre, Onyx salua le groupe et s’installa aux côtés de Tilidad et Topaze. Il profita du thé chaud et des quelques galettes de pain qui avaient été préparées par Shiva. Il observa du coin de l’œil Howlite essayer l’équipement de l’artisan sur Fude, le meocs de Unakite. Bien qu’il en eût refusé une, il remarqua que la bride sied à merveille la tête de l’équidé et semblait aider le cavalier à rester en selle malgré la vitesse.
Mais il se refusait d’utiliser un mors sur Aggalaki. Il devrait trouver une autre solution pour s’accrocher à l’encolure du meocs sans le blesser. En examinant les alentours, il vit des rubans semblables à ceux qu’utilisait Howlite pour les mesures.
— Tilidad, à qui sont ces rubans ?
— Aux femmes du groupe. On les utilise pour nouer nos cheveux ou attacher des pans de vêtements abimés à cause du temps. Pourquoi ?
— Je peux vous en emprunter ?
— Je t’en prie, sers-toi.
Il n’attendit pas une seconde de plus et se saisit de plusieurs morceaux de rubans de grandes longueurs et revint auprès du feu. Assis en tailleur et avec beaucoup de sérieux, il commença à tresser une première fois. Puis une seconde et une troisièmes tresses, qu’il assembla et tressa de nouveau un plus gros cordage de ruban.
— Tu fais un collier de chasse ? l’interpella Tilidad au bout d’un moment.
— Hm… pas vraiment. C’est plutôt un collier auquel je pourrais m’accrocher sans gêner mon meocs. C’est pour remplacer une bride.
— Tu n’en as pas demandé une ?
— Je n’en veux pas. J’ai confiance en ma monture.
— Tu ne devrais pas, c’est une créature aux origines sauvages.
L’intervention de Jun déplut au jeune homme qui ne put s’empêcher de lui lancer un mauvais regard.
— Ce n’est pas une bête sauvage.
— Comment peux-tu en être certain ?
— Je-
— Tu semble donner un peu trop rapidement ta confiance à des inconnus ou des bestioles sortis de nulle part. Comme le ferait un gamin.
— Famak.
L’insulte que venait de prononcer Onyx interpella les membres se trouvant à ses côtés, ainsi que son interlocuteur qui resta interdit. Mais la colère ne tarda pas à envahir le plus vieux qui se redressa vivement, bien qu’intercepter par Unakite et Topaze.
— Je me demande bien pour quelle raison un petit merdeux comme toi voyage avec nous jusqu’à Thalios.
— Ça ne te regarde pas.
— Dis-toi bien que s’il y a bien une chose qui me concerne, c’est la raison de nos déplacements dans ce royaume maudit.
— Ça suffit !
Badho intervint, lassé de la situation. Le jeune gardien finit par quitter le campement et disparu dans les ruelles. Onyx termina les finitions de son collier et quitta à son tour de coin du feu pour rejoindre sa monture, sous le regard attentif du meneur. Il accrocha le cordage autour de l’encolure de l’animal et le noua.
— Un collier ?
— En remplacement de la bride, pour que je puisse quand même me tenir à quelque chose pendant que tu sautes ou que tu galopes.
— Bonne idée. Pourquoi ne pas y ajouter des ornements ?
— Je le ferais plus tard. J’en trouverais surement dans les bazars de Thalios.
Il soupira et se permit de poser son front contre le cou de l’équidé. Les mains poser sur la peau écaillée du meocs, les yeux clos, il écoutait la respiration de l’animal et essayait de respirer au même rythme.
— Tu as peur, daghir ?
— Je ne sais pas…
Aggalaki approcha sa tête du dos de son cavalier et souffla contre sa peau.
— Il est normal pour un enfant d’avoir peur de l’inconnu.
— Je ne suis pas un enfant…
— Détrompe-toi. Tu en seras un, jusqu’à ton éveil.
— Mon éveil ? De quel éveil parles-tu ?
— Celui de ton adulte intérieur.
Le garçon se recula pour regarder son compagnon dans les yeux.
— Quand cela arrivera-t-il ?
— Lorsque tu seras prêt. Ça peut prendre des années, comme des secondes.
— Tu ne m’aide pas…
— Je t’aiderais de différentes autres façons, daghir.
Onyx n’ajouta rien et remercia silencieusement son nouvel ami. Puis il regagna le campement après s’être calmé. Il passa une partie de l’après-midi à aider les femmes à préparer leurs affaires et alla chercher les équipements commandés à l’artisan le matin. Il fut impressionné par la qualité du travail sur les selles et les brides, et récupéra les sacoches cavalières qu’il avait demandées.
Alors qu’il pensait passer une nouvelle nuit a Sarrailh Liars, Badho demander à ce que tout le monde se mette en selle, ce qu’il fit sans poser de question. Ils quittèrent la ville sans trop tarder alors que le soleil commençait à se coucher à l’horizon. Trop curieux, Onyx finit par s’approcher de Howlite pour discuter avec elle.
— Pourquoi partir aussi tard dans la journée ? Nous aurions pu dormir une nouvelle nuit là-bas, non ?
— Nous n’aimons pas vraiment Sarrailh Liars. C’est une cité de voleur et de rebelle, moins nous restons dans cette ville, mieux nous nous portons.
— Vous avez déjà été volé auparavant ?
— Plus d’une fois, et nous avons parfois perdu des sommes astronomiques. C’est pour ça que Badho préfère passer une nouvelle nuit dans le désert plutôt que dans ces ruines. Et puis, nous ne sommes plus très loin de Thalios.
— Combien de temps nous reste-t-il ?
— Je dirais…
— Nous y serons avant la tombée de la nuit, demain, les coupa Topaze.
— Demain…
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