24. Thalios, la capitale de Rui Wang
La nuit était tombée dans le désert, obligeant la caravane à faire halte pour la nuit. Une fois les tentes montées, chacun se retrouva autour du feu pour partager le repas ensemble. Certains étaient excités à l’idée de retourner à Thalios, d’autres restaient sceptiques. Itildin et Topaze discutait avec Onyx des merveilles que regorgeaient la capitale : une forteresse imprenable, érigés de nombreux cours d’eau prenant leurs sources sous une tour, sans oublier les champs, les marchés gorgés de vie et les habitations toutes plus sublimes les unes que les autres.
Le jeune homme imaginait une cité aux remparts aussi haut que des montagnes, avec de la végétation aussi luxuriante qu’au nord-est, dans le royaume de Behance. Et des cours d’eau serpentant comme dans les récits d’Isfahan. Mais il était conscient qu’un tel miracle était presque impossible dans le désert. Après tout, le royaume de Rui Wang était surtout connu pour ses dunes de sable et sa chaleur étouffante, pas pour sa capitale soi-disant verdoyante.
Les discussions s’élevaient dans le désert jusqu’à tard dans la nuit. Le feu crépitant s’éteignit petit à petit, tandis que chacun gagnait sa tente pour se reposer. Onyx en avait conscience : il passait sa dernière nuit en compagnie de la caravane. Et il le regrettait presque. Il avait eu de la chance de tomber sur un groupe assez bienveillant pour le conduire à destination.
Il s’allongea sur le dos, les bras croisés derrière la tête, le regard rivé vers le ciel. Sarshall s’installa à ses côtés, Aggalaki n’était pas loin. L’animal observa longuement son cavalier avant de s’approcher de lui, hésitant.
— Tout va bien, daghir ?
— Je… ne sais pas trop…
— Des questions ?
— Beaucoup… trop même…
— À quel sujet ?
— Qu’est-ce que je vais faire une fois à Thalios ? Le livre mentionne que l’aragonite s’y trouve, mais ou précisément, ce n’est pas écrit… Si la cité est aussi grande que ce dont parlent les livres, alors je vais mettre une éternité avant de la trouver… Et après !
Le jeune homme se redressa vivement, énervé.
— Et après ?
— Je ne sais même pas ce que je dois en faire. Xéno m’a aidé à situer ou se trouvais approximativement les pierres, et m’a dit de les rassembler. Mais encore trop de pages restent à traduire, et je ne peux pas le faire.
— Qu’est-ce qui t’en empêche ?
— Je ne parle pas les anciennes langues. Je ne sais même pas à quelle époque ce livre a été écrit, ni même par qui… alors pour ce qui est de sa langue…
Le garçon sortir l’ouvrage de sa sacoche et l’ouvrit à l’une des pages dont la traduction était incomplète. L’équidé se pencha pour examiner les lignes de symboles inconnus et réfléchis.
— Cela ressemble à de l’Amaric.
— C’est une langue ancienne ?
— Oui. Mais c’est étrange.
— Pourquoi ?
— Il y a du Brabesh sur la page suivante, et juste en dessous de l’Utkari.
— Ce sont toutes de vieilles langues ?
— Pas tout. L’Amaric est aussi vieille que la création du monde, mais les deux autres n’ont pas totalement disparu. Il me semble qu’elles sont encore parler à Behance.
— Donc je trouverais des réponses là-bas.
— Alors voilà un nouvel objectif, après ton passage à Thalios.
Un sourire germa sur le visage du jeune homme. Il referma le grimoire et observa son compagnon.
— Merci pour ton aide Aggalaki.
— Ne me remercie pas daghir, remercie les déesses.
— Pour quoi ?
— Pour t’avoir mené jusqu’ici.
L’animal ne rajouta rien et retourna auprès des autres montures pour passer la nuit au calme. Le garçon quant à lui se rallongea, non sans penser à la capitale et au livre de Xéno.
*
La caravane reprit la route tôt le lendemain matin, à la lueur du soleil. Ils continuèrent leur chemin sur la crête des dunes, sur le haut de canyon rocheux. Le groupe finit par longer un filet d’eau appartenant autrefois à une rivière.
— Ça mène jusqu’à Thalios ?
— Oui, c’est un cours d’eau qui s’échappe de la cité, lui répondit Unakite.
— Qui s’en échappe ? Ce n’est pas plutôt l’inverse ?
— Non. Plusieurs cours d’eau s’échappent de la capitale à travers les murs.
Surpris par cette nouvelle, il essaie de voir jusqu’où ce mince filet d’eau s’écoule. Il ne fait pas attention au sol humide et à la roche glissante, et finit par chuter dans le lit de la rivière. Peu profonde, elle est toutefois humide et boueuse. Il se retrouve à genoux dans la boue, sous les rires des voyageurs.
— Ce n’est pas drôle… souffle-t-il.
Aggalaki entreprend de venir l’aider, mais l’un des gardiens de la caravane le précède, venant tirer le garçon par les bras.
— Fais attention la prochaine fois, grogna Jun avant de reprendre sa route.
D’abord surpris, Onyx le remercia, mais le plus vieux est déjà en tête de file. Howlite et Tilidad vinrent l’aider à se débarrasser de la boue collée à sa peau et ses vêtements, non sans rire de la maladresse du garçon.
Ils ne mirent pas plus d’une heure pour rejoindre le bout de la rivière. Sur le haut d’un promontoire, le filet d’eau remonte la pente rocheuse grâce à la magie présente dans la terre, un phénomène qu’Onyx n’avait jamais observé.
— C’est incroyable ! s’écrit-il en se penchant vers le vide pour observer de plus près.
— Lève la tête, tu verras quelque chose d’encore plus incroyable, ricana Badho.
Le jeune homme écouta les conseils du meneur et resta bouche bée face au spectacle qui se présentait à lui. Du haut de la falaise, ils avaient une vue imprenable sur la cité mère du royaume, Thalios.
La capitale circulaire était cinq fois plus grande que les villes qu’il avait vu jusqu’à présent, peut-être même encore plus grand. Elle était protégée du désert par un mur immense, dépassant toutes habitations. Un second mur divisait la cité en deux parties distinctes : les champs et la ville.
Le centre de la capitale possédait une immense tour, comme une flèche pointée vers le ciel. Elle était entourée de la grande ville, divisée en plusieurs secteurs par des canaux d’irrigation. Des bâtiments de pierre blanche se dressaient fièrement au loin, les rayons du soleil reflétaient sur la surface plane des habitations.
Au-delà du mur s’étendaient d’immenses villages de marchand, de pêcheurs et d’agriculteurs, séparés des champs par une large rivière. Elle fournissait l’eau aux champs et contribuait ainsi à la vie de la capitale. Jamais il ne se serait imaginé voir une telle merveille un jour, perdu au milieu du désert de Rui Wang.
— Impressionnant, n’est-ce pas ?
— Époustouflant même !
Des étoiles scintillaient dans les yeux du garçon, ce qui fit rire le meneur de la caravane. Le vieil homme avait déjà mené des centaines de prétendants à cette quête jusqu’ici, et leurs réactions avaient toujours été la même.
Mais le visage émerveillé de ce garçon lui rappela également le sort qu’avaient subit ces aventuriers. Et il espérait sincèrement que ce gamin ne subirait pas le même châtiment.
*
Pour entrer dans la capitale, les voyageurs devaient franchirent d’immenses portes, sous surveillance en permanence. Leurs contours possédaient des écritures runiques qu’Onyx n’avait jamais vues auparavant.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il à Topaze.
— Des runes de protection. Elles permettent à la cité d’être en sécurité. Si un danger approche de ces portes ou essaie de les forcer, un sort se déclenche et scelle l’ennemi jusqu’à l’arrivée des gardes.
— Incroyable !
— Tu n’as jamais vu de magie avant ?
— Si, mais seulement de toutes petites formes… Ce sont des éléments puissants que peut arriver à contrôler.
— C’est vrai. Notre savoir a été partiellement perdu avec le temps, mais il existe encore des personnes capables de l’enseigner.
— Ou d’autre qui se procure se savoir pour de sombres affaires, intervint Jun à leurs côtés.
Topaze lança un regard triste vers son ami et soupira.
— Et oui… Après tout, c’est le propre de l’homme.
Sa voix était grave, comme si un incident passé les interpellait sur cette discussion. Onyx ne put pas les questionner davantage, ils arrivaient devant le poste de garde. Badho transmit des droits de passages obtenus avec les marchés de la ville et entra avec le reste de la caravane.
Les yeux du jeune homme s’écarquillèrent face à la fascinante vue qui s’offrait à lui. Sur des dizaines d’hectares s’étendaient de nombreux champs séparés de canaux d’irrigation ; plusieurs sortes de fruits, légumes et céréales poussaient abondamment, un spectacle inimaginable pour lui. À Tenerice, tous les produits de consommation étaient importés de différents villages, soit par la mer soit par la terre. Car il était impossible de faire pousser quoi que ce soit dans ce désert. Mais Thalios avait réussi cet exploit.
Il entendait au loin les agriculteurs discuter entre eux ou se crier des informations sur l’état de leur culture, il pouvait sentir la douce odeur de certaines fleurs libérant leurs pollens dans l’air, et observait quelques groupes de bétails dans de grands enclos : vaches, moutons, chèvres, mais aussi quelques Asha et Ovopack, des bisons et buffles de très grandes tailles selon leurs âges.
— Je n’avais jamais vu d’Ovopack avant ! Ils sont immenses !
— Presque aussi grand qu’un Meocs, et cinq fois plus puissants qu’eux, ricana Unakite.
— Mais cinq fois plus lent… murmura Aggalaki.
Onyx ne put s’empêcher de gloussa face à la remarque de sa monture. Était-il si facile de le vexer ?
Le groupe poursuivit sa route sur le long chemin de terre qui passait au-dessus du fleuve qui alimentait les canaux d’eau, et coupait la basse ville des champs. Entrer dans la ville marchande ne fut pas si dépaysant qu’il le pensait, ce fut comme retourner à Tenerice ou Rakugaki : de nombreux établis postés le long des rues principales, des boutiques aux portes ouvertes, des marchands discutant et vendant leurs produits, des voyageurs exténués recherchant un lieu ou se reposer. Une ambiance dont il avait l’habitude et qui réchauffa son cœur anxieux. La caravane trouva refuge dans une auberge qui les accueillit bras ouvert.
— Badho !
— Misra !
Une femme de forte corpulence sortit de la bâtisse pour prendre le meneur dans ses bras, un large sourire scotché sur le visage. Onyx resta sur sa monture à observer les deux adultes tandis que les membres du convoi déchargeaient leurs montures.
— Ça fait un bout d’temps, alrafiq ! Qu’est-ce que tu d’viens ?
— Toujours marchands, et toi, toujours aubergiste à ce que je vois.
— Ça tu l’as dit asladiq ! Viens-t’en donc te r’poser, j’suis sûr que tes gars sont crevés !
— Si tu as préparé du gahwa, ce sera avec plaisir.
— Y’en as toujours d’prêt ! Allez v’nez vous r’poser, alshabab !
Alors que le vieil homme entrait dans le bâtiment, le garçon se décida enfin à mettre pied à terre, un peu confus.
— Tout va bien ? le questionna Tilidad non loin.
— Je… Je n’ai pas trop compris ce qu’elle disait.
— C’est normal, ricana la jeune femme. Misra viens des îles de la mer d’argent, elle a gardé un fort accent de là-bas.
— Oh, je vois. Elle semble bien connaitre Badho.
— Oui, elle était marchande avant d’arriver ici et de reprendre cette auberge.
Tout en retirant sa sacoche de sa selle, il observa la façade de l’auberge en question : fait de terres sèches, elle ressemblait à n’importe quelles autres habitations de la rue, seuls le contour des fenêtres et la porte étaient colorés de pourpre, et des plantes désertiques retombaient du toit.
— C’est une auberge normale.
— Oh oh oh, je ne parlerais pas si vite à ta place.
Topaze passa son bras autour des épaules du garçon et l’attira à l’intérieur sous les rires de quelques femmes de la caravane. La musique envahit la pièce principale tandis qu’Onyx restait émerveiller par tant d’agitation. Dans un coin de la pièce se trouvait une petite estrade où jouaient plusieurs musiciens, des voyageurs et habitants étaient attablés et buvaient toute sorte de boisson en discutant joyeusement. Comparée à l’extérieur de la bâtisse, la grande salle qui se présentait à lui était munie d’innombrable tissu de couleur, servant aussi bien de rideau que de nappe. D’immenses tapis brodés couvraient le sol et différentes plantes serpentaient sur les murs jusqu’au plafond. Quelques couples de personnes dansaient au centre de la pièce, alors que les serveurs se frayaient un chemin entre eux tout en tenant leur plateau d’une main.
Une auberge festive comme il n’en avait jamais vu. Remplis de couleurs, de bruits et d’odeur, de quoi vous faire tourner la tête. Les femmes de la caravane prenaient place autour d’une longue table où les attendait Badho et les gardiens. Le jeune homme s’assit sans dire un mot et continua d’observer les alentours, émerveillé. Cet endroit était magique sans utiliser le moindre sortilège. Le meneur s’éclaircit la voix pour attirer l’attention de son groupe et parla :
— Misra nous a réserver des chambres aux étages, vous pouvez y monter vos affaires si vous le souhaiter. Nous pouvons rester ici autant de temps que nous le voulons. Topaze et Unakite, vous m’accompagnerez demain pour livrer nos marchandises. Les filles, je compte sur vous pour nous trouver de nouvelle livraison à effectuer, pas plus loin que Ymghur ou Rakugaki.
Chacun acquit d’un hochement de tête. Certains se levèrent pour monter leurs affaires dans leurs chambres, d’autres préférèrent se reposer avec un bon repas. Badho tourna la tête vers le jeune voyageur et s’approcha de lui.
— J’aimerais te parler, en privé.
Il lui fit signe de le suivre, ce que le garçon fit immédiatement. Ils disparurent à travers une porte, sous les yeux curieux de certains membres de la caravane. Ils atterrirent dans une pièce semblable à un ancien bureau servant désormais de débarras, une pièce à l’écart du bruit et des oreilles indiscrètes.
— Que vouliez-vous me dire ? commença Onyx, nerveux.
— Je t’ai amené jusqu’à Thalios, comme tu me l’avais demandé.
— Et je vous en remercie infiniment…
L’homme observa son vis-à-vis pendant de longues minutes, puis soupira et s’appuya sur une vieille table dont le bois craqua sous son poids, mais ne céda pas.
— Que comptes-tu faire désormais ?
Le garçon ouvrit la bouche, mais rien ne sortit. Il la referma, réfléchit, et la rouvrit. Mais toujours rien. Il ressemblait à un poisson qui cherchait de l’aide, sans jamais en trouver. Il savait qu’il devait trouver la pierre, mais il ne savait absolument pas par où commencer. Déçu de lui-même, il baissa la tête et marmonna.
— Je ne sais pas…
Badho fut peiné de voir ce gamin aussi perdu. Quitter son domicile était une chose difficile si l’on s’y sentait bien. Il ne savait pas bien la raison pour laquelle il s’était lancé dans cette quête, mais il se souvient de la promesse qu’il avait fait à son vieil ami.
— Aide chaque voyageur que je t’envoie pour Apeciiz. Je sais qu’entre tes mains, ils seront en sécurité pour le début de leur voyage.
— C’est promis Xéno. Prends soin de toi et des habitants.
Il avait caressé la tête d’une petite gerbille, comme pour dire adieu à enfant. Puis avait quitté la grotte de Gediminas Einikis, abandonnant son ami à sa vie d’ermite.
Il avait parcouru chaque parcelle de terre de Rui Wang pour aider chaque voyageur que Xéno envoyaient en quête des pierres. Mais il le savait. Jamais aucun des hommes et des femmes qu’il avait aidées n’était arrivé jusqu’au bout.
Alors pourquoi cet enfant serait si différent des autres ? Pourquoi l’enverrait-il à une mort certaine, comme tous les autres ? La réponse se trouvait sous ses yeux. Ce garçon n’était pas normal, il n’appartenait pas à leur monde, la marque sur sa peau le lui prouvait. Il n’avait entendu que des histoires et légendes sur ses hommes, et les pensait éteints depuis des décennies. Mais la croix dorée presque invisible sous la peau de ce gamin, entre ses clavicules, était un signe. Ce garçon était spécial.
Après un long silence dans la pièce, le vieil homme se redressa et s’approcha d’Onyx. Déposant une main sur le haut de sa tête, il sourit au plus jeune. Un sourire qui se voulut chaleureux et rassurant.
— Je te laisse réfléchir jusqu’au lever du soleil, demain. Sois tu décidé de quitter cette auberge pour te lancer dans ta quête. Sois tu rebrousses chemin et tu rentres chez toi avec nous.
Le jeune homme l’observa longuement, muet.
— Pour l’heure, tu devrais aller te reposer dans une chambre. Le voyage à été long, et je suis persuadé qu’un bon bain et un vrai lit te feraient un grand bien.
Il ne lui laissa pas le temps de répondre et le poussa vers la sortie. Une fois de retour dans la pièce principale de l’auberge, il appela une des filles pour conduire le garçon jusqu’à une chambre. Il le regarda monter à l’étage et soupira.
— Encore un gars qui cherche la gloire ?
Misra était accoudé au bar, essuyant une pinte et mâchonnant un brin de menthe.
— Non. Celui-ci est différent… Très différent.
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