Rencontre avec Nohan
Esther est réveillée en sursaut
— Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ?
Elle ouvre les yeux et finit par distinguer dans les brumes du sommeil qui s’estompent peu à peu, un jeune homme qui la fixe d’un regard sévère.
— Je…j’ai été invitée…s’excuse-t-elle.
Un regard rapide alentour et elle constate qu’elle est seule dans la pièce. Les deux paysans qui l’ont hébergée cette nuit sont déjà partis aux champs.
Le ton du garçon se radoucit :
— Mes parents vous ont invitée. Désolé, je suis navré de vous avoir réveillé de la sorte.
— Ce n'est rien. Lui répond-elle. Vous êtes donc...
Le jeune homme l'interrompt :
— Nohan, j'habite ici, je m’étais absenté, j'avais un travail à terminer, et vous vous appelez?
— Esther, je viens de Nipigon, lui répond-elle tout en essayant de se remettre debout.
— Enchanté Esther de Nipigon, lui dit-il en l'aidant à se relever.
Vous voulez déjeuner. J'ai rapporté du pain de la forteresse, ça vous dit?
— Oui, merci, lui répond-elle, je meurs de faim.
Les deux jeunes gens s'asseyent autour d'une petite table de chêne, et Nohan sort de son sac des morceaux de pain frais, et quelques ployes roulées au sirop d'érable.
— Attendez-moi, je reviens. Et le garçon sort rapidement de la petite demeure.
Esther détaille la pièce, elle est sobrement meublée. Mis à part la table et les trois tabourets placés en son centre et, le banc, encombré des tissus achetés la veille, coincé le long de la fenêtre; il n’y a au fond de la pièce qu’un coffre de bois ouvert rempli de tout un tas d’ustensiles et outils divers, des vêtements jetés en vrac végètent à son côté.
Une veste accrochée au mur attend patiemment qu’on la libère.
Le sol est en béton lissé, il est très propre la maîtresse des lieux veille à l’entretien de son intérieur. Un panier se terre dans un coin, elle distingue des morceaux de tissus de couleurs diverses qui s’en échappent. Quand elle a du temps libre, la femme confectionne des vêtements pour sa famille. Le foyer est rempli de cendres grises et blanches qui ont quelque peu débordé de l’âtre.
Une tenture suspendue dans le coin de la pièce laisse entrevoir un meuble de rangement en bois.
Quelques minutes plus tard, le jeune homme revient tenant à la main une cruche en argile avec du bon lait frais.
— Que faites-vous à Arkhanium ? lui demande Nohan en s’installant en face d’elle.
La jeune fille est prise de court. Elle hésite et ne sait quoi répondre, enfin elle dit :
— Je suis juste de passage, en fait je dois me rendre à Saint-Laurent.
— Très bien, dit-il. Devant la gêne de la jeune fille, il a eu l’impression d’être indiscret et il n’insiste pas.
Ils finissent donc leur repas matinal et sortent ensuite de la demeure.
C’est le début d’une belle journée estivale, un soleil étire à l’horizon ses rayons nacrés.
Un garçon aux cheveux hirsutes passe devant eux avec les chèvres qu’il mène à la pâture, Nohan le salue, l’arrête et lui adresse quelques mots, laissant la jeune fille prendre un peu d’avance.
Esther sourit, ravie de cette magnifique journée qui s’annonce, elle imaginait Arkhanium semblable à une ville grise et sévère, mais tout est si différent ici, elle peut profiter du chatoiement du soleil, de l’air frais et revigorant d’une aube parfumée et des senteurs odorantes de la nature qui s’éveille. Quoi de plus doux que la liberté !
Elle en est là de ses rêveries, quand soudain elle sent une vibration. Son médaillon !
Elle doit se connecter, elle jette un regard derrière elle et s’éloigne rapidement du jeune homme. Quand elle se sent à l’abri des regards, elle pose la paume de sa main sur le pendentif.
Aussitôt, une voix féminine pénètre son esprit.
C’est son amie Lorena, une Acuit comme elle. Elles se sont connues sur les bancs de l’école. Elle a deux ans de plus, elle est brune également, mais, plus grande, elle la dépasse bien d’une tête. Elle entre en communication avec Esther en utilisant son propre médaillon.
— Esther, c’est moi Lorena. Tu me reçois ?
Posant la main sur son propre pendentif elle ferme les yeux et se concentre :
— Oui, Lorena, je t’entends.
— Quand rentres-tu ? lui demande son amie.
— Je l’ignore, je dois encore sonder les habitants d’Arkhanium, je suis en mission.
— Je sais. J’ai reçu l’ordre de partir moi aussi, comment se passe ta première mission ?
— Très bien, je te raconterais plus tard, où te trouves-tu ? demande-t-elle à Lorena.
— Je suis près d’un lac, c’est désertique, mais…oh ! Je ressens… c’est très bizarre, je dois partir.
— Lorena !… Mais son amie s’est déconnectée.
Nohan qui a perdu de vue la jeune fille, l’aperçoit enfin. Il la hèle :
— Où allez-vous donc par-là ?
— Je ne connais pas bien la ville, savez-vous où je pourrais trouver un cheval pour me rendre à Saint-Laurent ?
Il est certain qu’elle n’a aucune intention de s’en procurer un, elle doit retourner chez elle à Latora, en plus, elle ne sait même pas monter.
— Pour acheter un cheval, il faut des pièces d’or ou, quelque chose à troquer. Et je ne crois pas que vous ayez l’un ou l’autre.
Esther sourit brièvement, bien sûr qu’elle a des pièces d’or, mais elle n’a pas l’intention de démentir ses affirmations.
Aussi elle acquiesce :
— Vous avez raison, je n’ai ni l’un ni l’autre.
Pourrais-je encore loger chez vous cette nuit? lui demande-t-elle d’une voix timide.
S’il refuse, elle devra rentrer aujourd’hui, et elle n’en a pas trop envie.
— Bien sûr répond Nohan, on vous fera une petite place, et s’il le faut j’irai loger chez un camarade.
— Ne vous sentez pas obligé de faire cela pour moi.
— Ne vous en faites pas, de toute façon, je ne dors pas souvent chez mes parents.
— Alors d’accord, répond-elle en souriant au jeune homme.
— Je vais dans la forêt, vous m’accompagnez, lui propose-t-il.
— Vous allez faire quoi dans la forêt ?
— Relever quelques pièges, avec un peu de chance, il y aura encore du gibier pour le repas du soir.
— Soit, je vous accompagne, de toute façon je n’ai rien d’autre à faire.
Et les deux jeunes gens pénètrent dans des rangées d’arbustes et de bruyères arborescentes jusqu’à atteindre un royaume végétal luxuriant.
Émerveillée, Esther s’extasie de cette nature embaumée de senteurs délicates. Jamais encore elle n’a parcouru la forêt.
Qu’ils sont beaux et majestueux tous ces arbres aux feuilles éclatantes de lumière. Ils ondulent sous le souffle alangui d’une légère brise.
Nohan avance devant elle.
Bien qu’il n’ait que vingt ans, il est bien musclé, ses cheveux qui lui tombent sur les épaules sont blond cendré.
« Sauf quand il est courroucé comme ce matin, il a de beaux yeux bleus pense-t-elle. »
Il lui présente les arbres, il peut tous les nommer et il la guide dans ce labyrinthe orné de mille fleurs sauvages.
Le froissement léger des feuilles entrechoquées et le flottement aérien de petits volatiles bravant l’apesanteur l’émerveillent.
Elle tourne sur elle-même, et comme un frêle papillon, plane dans l’air parfumé. Saoulée, elle glisse enfin sur l’herbe épaisse parsemée d’une myriade de fleurettes odorantes jaune et mauve.
Nohan la rejoint, il pense qu’elle a trébuché, qu’elle s’est blessée.
D’un sourire, elle le rassure et se relève heureuse simplement d’être là au cœur de cette éblouissante nature qu’elle n’a jamais contemplée que dans les livres d’images.
Il tient à la main un lièvre qu’il a dégagé de l’un de ses pièges,
Il l’entraîne à présent loin de cette végétation envahissante, il ne s’aventure jamais trop profondément dans cette forêt, elle engloutirait goulûment les promeneurs imprudents qui se perdraient au détour de taillis enchevêtrés accouplés à d’imposants buissons de baies sauvages de couleur vive. Plusieurs des siens s’y sont égarés, ils ont erré pendant des heures avant de retrouver leur chemin.
La fin de journée s’achève sans surprise, la mère de Nohan est rentrée, et accueille avec joie la prise de son fils.
Elle va déshabiller et vider le gibier, afin de le préparer à la cuisson.
Après s’être bien régalé, le jeune homme s’en va chez un ami qui accepte de l’héberger pour la nuit.
Esther fuit la chaleur étouffante du foyer, pour la fraîcheur de ce début de soirée.
Elle contemple le ciel étoilé qui illumine l’obscurité. Ce sont ses dernières heures de liberté, bientôt elle repartira chez les siens.
Étendue à présent sur sa couche, elle plonge dans un sommeil sans rêves.
Il fait encore sombre quand la jeune fille s’éloigne de la maison de ses hôtes.
Esther trouve un endroit discret.
Puis, avec un soupir, s’emparant du médaillon qui pend à son cou, elle appuie sur l’œil rouge au centre du triangle et comme par magie, elle se volatilise sans laisser de traces.
L’aube n’a pas encore blanchi la noirceur de la nuit quand Nohan se réveille. La jeune fille a disparu. Il va la chercher en vain.
Esther n’est plus à Arkhanium, elle a rejoint son peuple. Seule son âme gravée de resplendissants souvenirs y demeure.
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