Aujourd’hui, la beauté à cet endroit précis

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Écrire, c’est faire la paix avec tout ce que je n’ai pas compris.

Michèle Nguyen

Aujourd’hui j’écris. Une lettre ouverte à ma muse, à tous ses mots cousus entre eux pour nous offrir une étoffe rose d’émotion. Chaque matin une quête langoureuse, avide, me dévoile des songes engourdis encore pétris d’innocence, des états d’âme arc-en-ciel ou parfois gris, posés sur mon écran, tels des perles de pluie irisées de soleil reflétant la vie. Je les fais miens, me les approprie et tisse un lien vaporeux et ténu qui parle à nos âmes meurtries. Que de baume et de douceur sur ces mots bleus qui laissent mes yeux éclaboussés d’étoiles.

Merci.

A l'âge qui me revêt, les pertes s'accumulent ouvrant des portes sur des regrets, des souvenirs qui renaissent souvent dans des mots posés ici ou là, l'écriture devenant le réceptacle où ces manques survivent. Je tente de ne pas oublier, sans doute en colorant un peu les pourtours d'une teinte plus vive comme dans les dessins d'enfants où le ciel est si bleu qu'il agrandit les yeux. On souhaiterait y rajouter un grand soleil qui déposerait des poussières d'or dans son sillage. Ceux que j'ai perdus font traces dans ma mémoire mais il me manque la douceur de leur voix.

Le vent agite un peu les arbres, on cherche à déchiffrer à travers les branches quelque souvenir inachevé dans une lumière douce, où seraient suspendus les chuchotements des ombres, mais cela se dissout. On aurait bien voulu retenir tout ce qui a été, toutes les traces suivies, tous les morceaux de visages lus, mais cela s'efface, les gestes, les paroles, les regards échangés, cela glisse sur les pentes de la mémoire, les mots se perdent entre les silences du temps. On aurait bien imaginé tous ces souvenirs insérés dans la transparence bleutée d'un vitrail, à la lumière du souffle.

Ce sont les ombres qu'il faudrait dire pour tenter de dévoiler un peu de ce qui me façonne, me constitue, a orienté mes pas, fait découvrir des chemins d'émerveillement ou d'amertume. Elles sont là, nombreuses, bien enveloppantes de douceur et de bienveillance, chacune singulière et vive, bien ancrées dans l'être que je suis, jamais arrivé nulle part mais toujours en devenir. D'émail et de lumière, elles ont une carrure d'ange aux longues mains étoilées pour me guider même par temps d'obscurité et de doute, et comme une source s'épanouit c'est grâce à elles que je construis ma demeure. La lumière filtre faiblement sous le volet, dehors, cela commence à s'ébrouer avec les oiseaux qui s'animent dans les arbres du jardin. J'émerge des dentelles de la nuit, tente de les faire coudoyer aux bordures de la toile rêche du jour, voudrais bien me tenir encore un peu en retrait du temps, rester dans cet opaque interstice où rien n'arrive vraiment, puis, les yeux à peine ouverts, m'emparer du seul présent habitable et boire les mots, laper entre les lignes, avec la force du pressentiment de m'abreuver à des nappes d'eau bleue. Dans cet écart, regarder autour de soi.

Au loin un amer peut être, un phare, une lumière, comme un horizon aux bras étendus. Le chemin est encore long, je n'ai pas hâte, mais le regard est fixé sur cette borne dans les eaux sombres. On est si peu et on ne sait rien. On avance dans une sorte d'élan et on continue plein d’aveuglement, puis l'obscurité recouvre ce qu'il reste à parcourir, les ombres s'étalent un peu plus encore, le ciel appuie plus fort. Mais on a toujours en soi ce regard qu'enfant on posait sur le monde ; il suffit de le ressusciter. Que cherche-t-on, sinon à retrouver la sensation de l'enfant qui découvre le monde, comme si sa main s'échappait du corps et s'aventurait dans l’espace sans se trouver. Toujours entre regard et souvenir, mes doigts ont besoin d'épeler l'écorce des arbres qui s'érigent sur mon chemin, d'articuler ce qui s'imprime sur la peau, sentir ce qui va résonner dans l’interstice, ce souffle éphémère échangé dans un ailleurs. Je presse ma peau sur sa peau, on parle la même langue, je suis à nouveau cet enfant enlaçant le tronc d'un pin sylvestre en souriant, là-haut, dans le petit bois.

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