Rien. Rien d’autre, juste être là. Etre là assis avec derrière soi des bois, et devant des champs, une pâture où paissent trois ou quatre moutons, et dans une autre deux chevaux qui me scrutent. Sur ma gauche le chemin d'où je viens, sur ma droite des arbres comme une clôture. Au loin les collines ou petits monts qui ferment le tableau en silence. Un cloître. Dans cette marge où je veille, j'entends en un murmure les voix qui sont retournées à la terre, depuis des années, après avoir semé leurs graines de mots dans ce paysage où je me tiens. J'écoute.

C'est entre soi et soi, toujours, que cela se passe. Entre la lumière et l'ombre, entre les nuits et les jours, entre le dedans et le dehors, entre les solitudes. Derrière la porte, que l'on entre ou que l'on sorte, il y a ce vide que l'on ne nomme pas, cette forme de genèse où tout peut advenir, ce vertige de l'inespéré. Il y a l'odeur, les bruits, le tremblé d'un geste, la flamme d'un regard. Quelque chose de l'effroi aussi, devant ce rien qu'il faut franchir, cette étendue d'aube nouvelle. Lentement marcher dans le matin nu. A l'épaulement des seuils, le long des eaux de plénitude qui frôlent la lumière puis se laissent emporter par les couleurs du jour, lorsque l'on ne sait plus qui étreint qui et où le ciel abreuve ses racines, on effeuille tout un bonheur ancien, endormi sous les paupières, qui scintille, soudain empli de brassées de ces fleurs dont on aurait fait son lit – bleuets, boutons d'or, pâquerettes ou coquelicots – avec sur les lèvres une sorte de baiser, et on serre alors cet instant dans ses bras comme on se laisse enlacer par l'enfant ignorant les mots de la passion.