2. Face aux jugements

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En sortant de chez elle, Amelia s’agenouilla face au petit parterre bien garni de fleurs devant la maison. Elle s’approcha des marguerites aux pétales blanches qui étaient à leur dernière floraison de la saison. La jeune fille les admirait avec son sourire mélancolique.

– J’espère vraiment rencontrer un peu d’espoir cette année, dit-elle en s’adressant à ses marguerites, profitez bien des dernières chaleurs du soleil.

Sur le chemin vers l’école, Ken aperçut Amelia de l’autre côté de la rue sur le trottoir. Il l’observa et remarqua qu’elle prenait la même direction que lui, mais d’une démarche piteuse, son regard rivé à ses pieds, les mains tenant fort les bretelles de son sac à dos. Sans se soucier d’être observée, elle trébucha entre les craques du trottoir, mais reprit aussitôt son équilibre. Embarrassée, elle accéléra le pas.

Les couloirs de l’école bourdonnaient sous l’agitation chaotique du premier jour d’école, Ken s’y fraya un chemin à travers un groupe d’étudiants et repéra son casier. À l’instant même où il l’ouvrit, Brendan, son nouveau meilleur ami, cria en arrivant derrière lui, accompagné par Zoé:

— Salut Ken !

— Comment vas-tu ? lui demanda Zoé calmement, malgré une certaine inquiétude.

— Ça va, lui répondit Ken avec un sourire.

— Je suis contente que tu ailles mieux après tout ce qui s’est passé l’année dernière. Tu as l’air de bien t’en remettre, partagea Zoé, soulagée.

— Ouais, disons que je ne me sens plus seul…

Zoé soupira de contentement. Leur attention se tourna soudainement vers l’ami de Brendan, Jimmy, et son afro qui lui donnait l’air d’avoir un nuage brun foncé autour de la tête, si souriant passant près d’eux.

– Hé Brendan, dit-il en tendant le poing.

Brendan donna un coup et son ami pivota pour marcher de reculons.

– Tu viens toujours ce soir au match ? lui demanda Jimmy de sa voix toujours aussi joviale.

Brendan hocha la tête, réprimant un sourire. Puis, satisfait de sa réponse, Jimmy reprit ses pas en avant, agitant la main et leur souhaitant une bonne journée.

— Et toi? Tu es sûr que ça va , s’enquit Ken à Brendan, en lui lançant un regard inquisiteur.

— Ça va juste être bizarre d’aller au match de basketball…

— Pourquoi ? l’interrogea Zoé.

— Depuis que j’ai arrêté de me tenir avec Kevin l’année dernière, chaque fois que je le croise, il me fait la tête. Puis pour la nouvelle saison, je me retrouve dans la même équipe que lui au basket-ball… Ça ne sera plus pareil. Jimmy me dit de ne pas m’en faire, mais ce n’est pas facile…

– Tu es préoccupé par ça ? Il n’en vaut plus la peine. Tu sais que tu vaux mieux que ça, le rassura Zoé, se soulevant instinctivement sur les orteils pour lui embrasser la joue.

Lorsque Ken referma son casier, Amelia marcha la tête basse, ses livres collés contre elle et frôla le bras de Brendan. Surpris, ce dernier la regarda s’éloigner sans dire un mot. Ken la suivit également du regard et la vit heurter de plein fouet contre une porte de classe, qui s'ouvrit soudainement. L'étudiant qui l'ouvrit ne s'aperçut pas qu'il l'avait frappée et continua sa conversation avec son ami en s'éloignant en riant. Amelia se ressaisit et ramassa à la hâte ses livres éparpillés.

– Hé attends ! cria Brendan derrière elle en ramassant un livre oublié.

Ken voulut le retenir, ressentant qu’elle serait mal à l’aise et ne se laisserait pas approcher. Trop tard, Brendan rattrapa Amelia envahie d’une gêne incontrôlable. Il lui tendit son livre et elle lui arracha des mains d’un mouvement vif en poursuivant sa route silencieuse. Brendan, surpris par sa réaction, resta figé un instant.

Un peu plus tard, Ken entra dans la classe à moitié remplie et remarqua Amelia assise à son bureau au fond de la classe, absorbée dans sa lecture. Ken s’assied à sa place à quelques pupitres à droite de celle-ci. Il l’observa subtilement et plus il la regardait, plus il ressentait qu’elle avait renoncé à quelque chose. Étrangement, ses yeux furent attirés par la fenêtre en arrière d’elle où il vit une colombe s’envoler. La joue appuyée contre sa main, il repensa à son étrange rêve. Complètement perdue dans ses pensées, Blair, sa nouvelle amie à la chevelure rousse arriva face à lui :

– Il est vrai qu’elle est mignonne, lança-t-elle en le tirant de ses pensées.

– Blair ! Mais de qui parles-tu ? s’exclama-t-il en levant la tête rapidement, confus de cette question.

Son amie laissa échapper un rire amusé en jetant un coup d’œil subtil vers Amelia .

– De la nouvelle. J’ai vu comment tu la regardais.

– En fait… il y a quelque chose d’étrange qui se dégage en elle, que je ne peux expliquer…

Blair analysa Amelia essayant de saisir ce qu’il tentait de lui expliquer.

– Je vois… tout ce que je ressens en ce moment chez elle, c’est de la solitude. Arriver dans une nouvelle école est toujours insécurisant. Alors je compte sur toi pour lui parler et de l’inviter à venir manger avec nous ce midi, répondit Blair souriante en lui faisant un clin d’œil, l’obligeant clairement à faire un premier pas vers Amelia .

Brendan et Zoé vinrent les rejoindre en leur demandant de quoi ils discutèrent avant leur arrivée. Blair leur résuma ses propos face à la nouvelle.

– Ah oui, elle est vraiment bizarre cette fille… jugea Brendan peu intéressé en s’asseyant au pupitre à côté de Ken.

– Brendan ! Ne dis pas ça. On ne la connaît même pas, tu n’as aucune idée de la raison pour laquelle elle aurait agi comme ça, défendit Zoé, insultée de sa remarque.

– C’est bon tu as raison, je suis désolé, rétorqua-t-il le sourire en coin.

Blair les regarda, incrédule, puis Zoé expliqua qu’il a été offusqué que cette dernière l’ait ignoré plus tôt, alors qu’il voulait juste lui rendre service. Brendan ajouta alors en s’adressant à Ken :

– Toi et cette fille allez sûrement bien vous entendre.

Ken comprit pourquoi il fit ce commentaire, en se rappelant qu’il avait la mauvaise habitude de l’ignorer au début de leur relation. Ken ne put s’empêcher de laisser échapper un léger rire.

– Probablement, répondit Ken en tournant les yeux vers Amelia qui, à son tour, lui jeta un coup d’œil avant de retourner le nez dans son livre, gênée d’être observée.

Ken descendait les escaliers de la cafétéria pendant la pause du diner. Amelia arriva derrière lui, fixant ses pieds et ses livres toujours serrés contre elle. Soudain, elle trébucha sur les quelques marches plus hautes en lâchant un cri et percuta Ken. Il la rattrapa dans sa chute par réflexe, pour tomber sur le dos. Complètement embarrassée, Amelia évita le regard de Ken alors qu'il se demandait si elle allait bien. Elle se leva rapidement et se précipita pour ramasser ses livres éparpillés sur le sol. Ken offrit son aide pour ramasser ceux qui sont tombés à ses côtés. Tenant les deux livres devant lui, il était curieux de jeter un coup d'œil aux titres, mais Amelia les arracha avant même d'avoir eu la chance de les lire. Sur le point de continuer son chemin sans dire un mot, Ken l'arrêta en lui tenant l'épaule. Elle resta figée sur place sans se retourner. Son contact remua quelque chose en elle, comme une étrange vibration apaisante. Une énergie de bien-être qu'elle n'avait pas ressentie depuis trop longtemps. Ne sachant comment réagir à ce geste, elle garda le silence.

– Tu es sûr que ça va aller, lui demanda-t-il calmement.

– J’ai trébuché… C’était un accident…

– Je vois que tu es maladroite, lui dit Ken, souriant.

– Pourquoi es-tu si gentil avec moi ? lui répondit Amelia d’un ton hésitant en tournant légèrement la tête.

– hé bien… je n’ai aucune raison de ne pas l’être ? répliqua-t-il curieusement.

– Je suis juste tellement habituée d’être invisible aux autres. De n’être personne…

Ken, étonné de l’entendre se dénigrer, la regarda profondément. Elle se sentit hypnotisée et attirée par son regard. Après un temps qui lui sembla durer des heures, elle se détourna et s’éloigna de lui la tête basse, mais heurta de plein fouet le cadrage de porte de la cafétéria.

– Aie ! Désolée ! s’écria-t-elle embarrassée.

Ken pouffa de rire, trouvant cette scène cocasse. En s’approchant d’Amelia, il lui proposa gentiment :

– Tu peux venir manger avec moi et mes amis, si tu veux.

Sans attendre sa réponse, il passa devant elle en entrant dans la cafétéria. Amelia observa Ken s’éloigner en rougissant de plus belle, puis un léger sourire se dessina sur son visage. Elle n’aurait jamais cru qu’un jour, elle ressentirait (à nouveau) ce sentiment de faire partie d’un groupe.

Dans la cafétéria, Ken, entouré de ses amis, leur raconta sa rencontre avec Amelia dans les escaliers. Brendan ne put s’empêcher de rétorquer avec sarcasme :

– Ah, au moins on sait maintenant qu’elle n’est pas muette !

Zoé lui frappa le bras.

– Brendan ! Tu as fini avec tes remarques !

Tandis qu’il continuait d’agacer Zoé, Blair aperçut Amelia avec son plateau, balayant du regard la pièce à la recherche de Ken.

– La voilà ! Hé, Amelia , on est ici ! cria Blair en agitant un bras dans les airs.

Rassurée, elle se dirigea vers eux. La tête enfin haute, elle heurta avec son pied un sac d’école traînant au sol. Par mégarde, elle échappa son plateau sur une fille qui passait au même moment devant elle. La chemise blanche de son uniforme maintenant tâchée de nourriture, elle lui cria furieusement :

– Mais ça ne va pas ! Regarde où tu vas !

– Désolée… C’est… c’est un accident… bégaya-t-elle d’une voix presque indistincte. Soudain, des rires de moquerie se firent entendre autour d’elle. Elle baissa les yeux, tentant de fuir les regards des autres. Paralysés , Ken, Blair, Brendan et Zoé furent choqués par la scène.

– Pauvre elle ! Ken va la chercher ! ordonna Blair consternée par le harcèlement que démontraient les autres étudiants.

Ken se leva promptement, mais la pression des jugements fut tellement intense qu’Amelia craqua. Elle se mit à trembler des mains, les larmes montèrent aux yeux et elle s’éclipsa de la cafétéria. Ken tenta de la rattraper en courant derrière elle.

Elle monta à la hâte les escaliers, suivie de Ken qui criait son prénom. Mais elle ignora son appel, puis se réfugia dans les toilettes. Il cessa sa course, s’approcha de la porte en tendant l’oreille et entendit des pleurs étouffés. Il ouvrit tranquillement la porte, Amelia était recroquevillée au fond de la salle de bain vide. Son visage caché, son corps spasmé par une peine incontrôlable. Ken, bouleversé de la voir ainsi, se décida enfin à entrer et s’agenouilla devant elle. La jeune fille leva les yeux vers lui ; il la regardait avec tant d’attention !

– Va-t’en ! Laisse-moi seule, larmoya-t-elle d’une voix suppliante en se cachant le visage sur ses genoux qui se repliaient davantage sur elle-même.

– J’ai vu comment les autres t’ont traitée… Laisse-moi t’aider.

– Tu ne comprends pas ! Je suis fatiguée… J’ai tout essayé! J’ai essayé de rester forte, de garder le sourire, d’être heureuse… mais je ressens toujours ce vide en moi, dont je n’arrive pas à surmonter… je crois que la vie est tout simplement injuste…

Ken l’écouta attentivement et avec tristesse, il eut une forte impression d’être devant lui-même l’année passée. Toutes ces émotions qu’elle lui partageait au sujet de ce vide intérieur, il l’avait vécu. Il soupira.

– Je comprends une chose… C’est que tu as perdu la foi…

Amelia releva la tête étonnée par cette réponse, qui lui paraissait si juste. Elle renifla et fixa le doux sourire de Ken, elle pouvait à ce moment-là ressentir sa peine s’estomper. Ken se redressa sur ses pieds et tint sa main.

– Viens, lui dit-il.

Elle hésita, puis prit sa main pour l’aider à se relever lui demandant de le suivre jusqu’au miroir. Elle se plaça droit devant la glace et lui dit alors avec confiance :

– Regarde le miroir. Regarde-toi… les yeux dans les yeux… et là… Souris.

Amelia se regarda, et en entendant les mots de Ken, cela lui semblait insensé de sourire à un tel moment. Ken voyait bien qu’elle n’en avait vraiment pas envie.

– Je sais que c’est dur et ça peut paraître à une grimace, mais souris.

Amelia s’efforça enfin à sourire. Étrangement, elle ne pouvait croire ce qu’elle commençait à ressentir intérieurement, un soulagement subite de sa peine et une libération de ses lourdes émotions.

– Je ne comprends pas… Comment puis-je me sentir légère tout d’un coup après seulement un sourire dans le miroir ? se questionna Amelia incrédule.

Sans élaborer plus loin sur ces connaissances célestes et de son passé, il lui confia simplement:

— Je ne sais pas ce qui t’est arrivé, mais j’ai déjà vécu ce que tu ressens… je savais qu’au plus profond de toi, cette petite lueur d’espoir pouvait encore exister.

Fascinée et à la fois touchée par les paroles de Ken, elle ne put s’empêcher d’enfin lui demander :

– Mais… quel est ton nom ?

– C’est vrai on ne s’est jamais proprement présenté, je m’appelle Ken.

– Merci Ken.

Puis, ils s’échangèrent un tendre sourire reconnaissant.

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