3. Une peur enfouie
Ken marcha sur le chemin du retour après une longue journée de cours. Son regard se tourna vers la branche d’un arbre et vit une colombe perchée. Elle déploya ses ailes et s’envola vers un parc au bout de la rue principale. Ken la poursuivit. Il savait au plus profond de lui qu’elle ne représentait pas Angie, mais il se sentait tout de même guidé par celle-ci.
Il entra dans le parc urbain Bannerman situé au milieu de la rue Military dans le centre-ville. De style victorien, le parc était entouré de plantations sur un vaste terrain vert et d’une boucle de patinage extérieur. Dans l’aire de jeux, des enfants sautaient, roulaient et jouaient dans les carrés de sable. La colombe se percha sur le poteau au-dessus d’une balançoire. Il remarqua aussitôt Amelia assise sur l’une d’elle. La tête baissée, elle se balançait en donnant de légères poussées avec ses pieds. En observant l’oiseau de loin, cela réveilla en lui un sentiment qui le poussa à vouloir saisir son sens caché. Ken s’approcha enfin d’Amelia et lui dit en s’asseyant sur la balançoire à sa gauche :
– Comment ça va ?
Elle leva la tête d’un coup, surprise de le voir, puis elle lui répondit avec un sourire discret.
– Beaucoup mieux … Merci.
– Heureux d’entendre ça.
Le dévisageant, Amelia ne put s’empêcher de lui dire :
– Tu es si différent.
– Que veux-tu dire ?
– Jamais, j’ai connu un garçon me dire des choses aussi matures.
En prêtant une oreille aux cris des enfants qui jouaient, il finit par dire :
– Disons que … j’ai moi-même déjà fait face à mes démons intérieurs.
Pensive, mais aussi étonnée d’être face à une personne qui la décelait peu à peu, elle acquiesça compréhensive en le regardant du coin de l’œil. Ken savait que derrière son masque d’impassibilité se dissimulait une âme fragile et apeurée.
Dans un sommeil profond, Ken se retrouva sur une colline qui lui offrait un havre de paix et de tranquillité, avec une faune abondante. Il s’aventurait dans la forêt, qui l’enveloppait d’une fine brume. Il gravit une légère pente en zigzag accompagné d’une crainte. Soudain, il se sentit tirer par-derrière par une force invisible qui le laissa tomber sur le dos. Tandis qu’il resta paralysé au sol en fixant les nuages blancs au-dessus de lui, la voix d’une femme retentit au loin.
– Pourquoi toi ! C’est supposé être moi ! cria la femme d’un ton haineux .
Ken se réveilla en sursaut et se demanda à qui pouvait bien appartenir cette voix.
Ce matin-là, il entra dans la classe, fatigué, de sa nuit mouvementée. En marchant vers son bureau, Ken remarqua Amelia assise tranquille, le regard rivé sur ses genoux. En s’approchant, il remarqua qu’elle lisait un livre.
– Bonjour, Amelia, qu’est-ce que tu lis ?
– Quoi ? Rien d’important! proclama-t-elle en cachant rapidement son livre sur la tablette de son bureau.
Ken comprit qu’elle semblait embarrassée par sa lecture. Blair les regarda avec ravissement de son pupitre. Lorsque Ken revint à sa place, celle-ci lui dit aussitôt avec son air inquisiteur :
– Je peux voir qu’il y a une belle complicité qui s’est développée entre vous.
– J’essaie juste de la déchiffrer.
– Et tu es la personne parfaite pour ça.
Ken lui répondit avec un simple sourire qui s’affaissa aussi rapidement.
– Qu’est- ce qui ne va pas ?
– Je n’en sais rien… C’est juste que, depuis quelque temps, je ne fais que des rêves vraiment étranges et parfois troublants… je ne peux pas dire que ce sont des cauchemars en lien avec mon passé. Je dirais plutôt des souvenirs qui ne m’appartiennent pas. J’essaie de faire des liens avec mes souvenirs actuels, mais rien ne fait du sens…
– Et c’est quoi exactement tes rêves ?
– Je rêve souvent de chutes… Soit je tombe ou une autre personne tombe, mais de manière troublante. Et dans mon dernier rêve, il y avait une forêt et j’entendais la voix d’une femme crier avec tellement de colère, comme si elle me détestait. Je ne sais pas en quoi ça pourrait être relié…
Blair le contemplait intriguée.Comme si Ken était un mystère passionnant qu'elle voulait inévitablement élucider.
– Si jamais tu recommences à faire ce genre de rêve et qu’il y a plus d’éléments qui s’ajoutent, tu m’en reparleras, dit-elle intéresser.
Ken acquiesça. Brendan et Zoé arrivèrent au milieu de leur conversation. Zoé s’empressa de demander à Ken s’il avait réussi à parler avec Amelia à la suite de l’événement de la veille. Selon ses observations, il expliqua qu’elle semblait très attachée à son équilibre intérieur, qu’elle préférait se replier sur elle-même plutôt que de s’ouvrir aux autres.
– Elle n’est donc pas si différente de toi finalement, conclut Brendan.
Ken ne pouvait pas nier son propos.
Au son de la cloche qui annonçait la fin du cours, tous les élèves quittèrent la classe sauf Ken qui resta assis à son bureau. Blair se dirigea vers la porte, lui jetant un dernier regard sans se demander pourquoi son ami restait à son bureau. Ken observait discrètement Amelia ranger ses livres et espérait fortement qu’elle oublie ce fameux livre. Comme de fait, elle le laissa sur la tablette. Après qu’elle eut quitté la classe, il se précipita à son bureau et lut le titre. C’était un livre sur les anges.
Pendant la pause, juste avant le prochain cours, Ken marchait dans le couloir et remarqua Amelia assise sur un banc au loin. Elle lisait un autre livre sur ces êtres célestes. Ken s’assied à ses côtés en lui tendant son livre oublié.
— Tu l’as laissé en classe.
Voyant son bouquin sous ses yeux, elle leva sa tête brusquement vers lui. Il pouvait ressentir son malaise. Amelia reprit son livre en le collant contre elle.
— Merci… répondit-elle déconcerter.
— Tu lis beaucoup ce genre de livre ?
Elle hocha lentement la tête, embarrassée.
— C’est ma grand-mère qui m’a donné un tas de bouquins sur l’univers des anges. Elle m’a promis que si j’apprenais à communiquer avec eux, j’allais guérir.
— Guérir de quoi ?
— Mon âme… mais je ne crois pas que cela fonctionne…
Ken acquiesça avec appréhension, puis lui dit pour la rassurer :
— Ne sois pas embarrassée. Je trouve ça bien que tu croies en eux, car tu n’es pas la seule.
Ses yeux s’écarquillèrent d’étonnement.
— Mais je peux t’avouer… Parfois trop se forcer à croire en quelque chose peut ne mener à rien, tant que la foi n’y est pas.
– Tu as raison… fit-elle d’un ton démoralisé.
– Tu vas y arriver, je ne m’inquiète pas pour toi, lui dit-il d’une voix apaisante pour finalement prendre congé d’elle.
Le livre collé contre sa poitrine, Amelia le fixa pendant qu’il s’éloignait, charmée par l’énergie positive et le calme qui rayonnait autour de lui. Gênée, elle pressa plus fort son livre contre elle, voulant à tout prix étouffer ce sentiment.
Ennuyé par le cours de mathématiques , Ken tourna son attention vers la fenêtre de la porte de la classe. L’intensité de la lumière dans le couloir fluctua soudainement comme si elle papillotait.Un mauvais pressentiment l’envahit. Il tourna soudainement son regard vers l’extérieur et la colombe fit à nouveau son apparition. Elle se percha sur une branche dans l’arbre face à la fenêtre. Celle-ci fixa Ken et se mit à battre des ailes sur place sauvagement. Elle semblait affolée. Ken ne comprit pas immédiatement la réaction soudaine de l’oiseau, mais il savait une chose : l’atmosphère de la pièce devenait très oppressante et hostile. Le néon de lumière au-dessus d’Amelia se mit à frétiller, puis une brume noire translucide se forma autour de ses pieds. Préoccupé, Ken observa autour de lui, mais personne ne semblait alerté par la situation sauf Blair devant lui. Celle-ci regarda subtilement du coin de l’œil Amelia qui était l’image même de l’effroi. Se repliant tranquillement sur elle-même, le visage crispé, les poings fermés sur ses cuisses, elle était terrorisée. Cela déchirait Ken de la voir ainsi, il voulait tant réagir et la protéger de cette ombre se former derrière elle. Mais il ne savait pas comment faire, sans semer la panique ou paraître fou. C’est alors que Blair, sentant également la peur d'Amelia, serra le cristal autour de son cou dans sa main, prit une grande inspiration, puis murmura une prière à son archange.
La colombe s’envola soudainement.Toutes les lumières de la classe se mirent à clignoter frénétiquement, s’éteignirent et se rallumèrent aussitôt. Tous les élèves se questionnèrent face à cet étrange phénomène. Blair soupira de soulagement lorsque l’ombre se dissipa tandis qu’Amelia laissa couler quelques larmes d’angoisse.
Aussitôt que la cloche retentit, Ken se précipita vers Amelia. S’inquiétant pour elle, mais sans toutefois lui mentionner la situation plus tôt, il lui demanda tout simplement si elle allait bien. Amelia se leva sans dire un mot, face à lui, elle retenait inévitablement une peine. La tête basse, les mains branlantes, elle combattait cette immense envie de vouloir se laisser morfondre dans ses bras, mais elle se restreinte et s’éclipsa de la classe. Ken voulut l’empêcher de partir et la rassurer, mais il la sentait tout simplement déstabilisée. Brendan, Blair et Zoé arrivèrent à ses côtés.
– C’est quoi qui s’est passé ? s’enquit Zoé.
– Encore quelque chose de surnaturel ? supposa Brendan
– Il y a quelque chose qui veut du mal à Amelia, fit Blair consternée.
– Je sais… mais quoi ? Elle est tellement perturbée… J’aimerais tant mieux la connaître et la comprendre, dit Ken, préoccupé.
– Tu vas le découvrir Ken. Comme je t’ai déjà dit, tu es probablement le seul à pouvoir mieux la saisir. Elle semble déjà avoir confiance en toi, confie Brendan avec espoir.
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