6. Au clair de lune
Le lendemain matin, Ken ouvrit rapidement les paupières après avoir entendu la porte d’entrée claquer. Les yeux ronds, il se trouva nez à nez avec Amelia qui dormait encore dans son sommeil profond. Surpris et confus, il sursauta en tombant du lit, paniqué. Il ne comprenait pas comment il avait pu s’endormir à ses côtés. Heureusement, Amelia ne s’était pas réveillée. Perturbé, il quitta la chambre silencieusement, passa devant celle de la mère de son amie, qui était de retour après son horaire de nuit et tenta de ne faire aucun bruit pour ne pas se faire repérer. Il quitta finalement la maison en refermant la porte derrière lui, le plus délicatement possible, mais il oublia son parapluie.
En après-midi, Ken croisa Amelia assise sur la balançoire alors qu’il profitait de la journée d’automne avec ses cousines au parc au coin de chez lui. Le vent soufflait entre les arbres emportant leurs feuilles colorées.
– Tu viens souvent ici ? demanda Ken en s’approchant d’elle, tandis que ses cousines couraient au loin vers l’aire de jeux avec leur ballon.
– Oui, j’aime me retrouver dans ce parc. Il y a une belle ambiance chaleureuse et joviale. Ça me permet de me retrouver.
– Je comprends, répondit Ken souriant.
– Tu n’es pas venu seul, sourit Amelia à son tour, en regardant Lora et Sonia jouer au ballon au loin.
Ken s’assit sur la balançoire à ses côtés.
– Ce sont mes deux jeunes cousines.
– Je peux voir que tu es proche de ta famille.
Ken baissa son regard, puis d’un ton mélancolique, il ajouta :
– De ce qui en reste…
– Que veux-tu dire ?
– Je vis avec ma tante depuis mes douze ans après la mort de mes parents et de mon frère.
– Je suis désolée d’entendre ça… Tu as toi aussi perdu des êtres chers. Je comprends mieux maintenant pourquoi tu compatissais autant avec moi.
– Oui en partie, mais J’ai réussi à surmonté mon deuil l’année passée.
– Je ne suis donc pas la seule à éprouver de la difficulté à passer à travers le mien, balbutia -t-elle d’une voix dissimulée en baissant son regard au sol.
– Je suis convaincu que tu vas réussir aussi, tôt ou tard. C’est une question d’acceptation, rassura Ken en lui échangeant un doux sourire.
Elle croisa son sourire et une légère gêne s’empara d’elle. Elle se sentait inévitablement séduite par son charisme. Pour se changer les idées, elle lui dit avec confiance, en se redressant:
– Oh! j’y pense, tu as laissé ton parapluie chez moi. Je te le rapporterai en classe lundi.
– C’est vrai ! J’ai complètement oublié, merci.
– Tu es resté longtemps après que je me sois endormi ? Je ne me rappelle plus rien après notre discussion.
Embarrassé par la question, Ken n’osa pas lui dire qu’il s’était malencontreusement endormi le reste de la nuit à ses côtés il hésita un moment avant de lui répondre :
– Peut-être quelques minutes après que tu te sois endormi, bredouilla-t-il en évitant le regard d’Amelia .
– Merci d’être resté avec moi… Ça peut te paraître étrange, mais j’ai l’impression d’être avec mon père quand je suis avec toi. Ben… pas avec mon père, mais je me sens comme avec lui.
– Non, pas étrange du tout, la taquina-t-il d’un ton sarcastique. Il était incapable de garder un ton sérieux face à cet aveu qui le toucha malgré tout.
Le visage d’Amelia s’illumina d’un sourire, puis elle éclata de rire. La voir ainsi fut un moment qu’il chérissait profondément. Il espéra que son bonheur pourrait s’éterniser.
– Il me manque, fit Amelia nostalgique, le regard au sol, dans un mois, on sera le 23 novembre et ce sera ma fête… C’est normalement une journée spéciale pour moi.
Elle marqua une pause en soupirant.
– Mais depuis la mort de mon père, cette journée est devenue ordinaire. Chaque année, la nuit de mon anniversaire, mon père m’emmenait sur le bord de l’eau admirer la lune et les étoiles, reprit-elle avec nostalgie en levant les yeux vers le ciel couvert.
Une douce brise emporta sur son chemin, les feuilles colorées qui échappèrent leur odeur terreuse et musquée.
– On devrait faire quelque chose de spécial pour ta fête. Je sais que ça ne remplacera jamais ce moment précieux avec ton père, mais on pourrait organiser quelque chose avec mes amis ?
Touchée par sa proposition, elle lui répondit :
– Merci, mais ça va. De toute manière, lorsque nous sommes allés voir les baleines avec tes amis, c’était un de mes plus beaux moments.
Ken lui sourit, rassuré. Lora les interrompit en courant vers eux. Sa jeune cousine s’arrêta face à Amelia et la dévisagea silencieusement, puis balaya ensuite son regard entre Ken et Amelia comme si elle percevait quelque chose de familier entre eux. L’adolescente la regarda incrédule.
– Tu veux venir jouer avec nous ? s’enquit-elle souriante en prenant doucement la main d’Amelia .
Cette dernière lui sourit à son tour ravie face à cette invitation. Ken les suivit à son tour sur le terrain vert proche de l’entrée du parc. Ils lancèrent chacun leur tour le ballon. Pendant qu’Amelia prépara son lancer vers Lora, elle ressentit une force invisible la pousser et le ballon s’envola loin dans les airs et passa au-dessus de la petite Lora. Ken lui projeta un regard surpris et lui dit :
– Un peu trop fort.
– Je sais, je n’ai pas compris ce qui s’est passé, mais je n’ai pas contrôlé ce lancer, répondit Amelia un peu déstabilisée.
Ken fronça des yeux, trouvant cela étrange et à la fois inquiétant. Amusée, Lora courut pour rattraper le ballon qui roulait vers l’extérieur du parc en direction de la rue. Étonnamment, celui-ci continua son chemin poussé par un vent mystérieux. Ken tourna rapidement son regard vers le ballon qui roula en direction d’une voiture qui arrivait à toute allure. Concentrée à vouloir attraper son ballon, Lora traversa la rue sans se soucier du danger qui la guettait. Pendant qu’elle se pencha pour prendre le ballon qui s’était arrêté au milieu de la route, Ken courut dans sa direction. À une fraction de seconde près, lorsque la voiture passa proche de la heurter, il la tira vers lui. Amelia resta sous le choc en voyant la scène. Anxieuse, Sonia voulut les rejoindre, mais l’adolescente retint sa main, lui ordonnant d’attendre et de rester proche d’elle.
– Est-ce que ça va Lora ? demanda Ken inquiet.
Elle hocha la tête confuse de ce qui s’était passé.
– Je suis désolée… Je n’ai pas regardé où j’allais, marmonna-t-elle avec tristesse en fuyant le regard de Ken croyant qu’il serait furieux contre elle.
Il la prit dans ses bras pour la consoler.
– L’important c’est que tu n’aies rien, lui dit-il calmement afin de la rassurer, le regard consterné.
Au coucher du soleil, Amelia s’assit sur le bord d’un quai situé dans le joli petit parc Harbourside juste à côté du port, les voies navigables menant de l’océan au port étaient clairement visibles. Perdue dans ses pensées, le violon contre son épaule et les yeux fermés, elle joua une douce mélodie pour sa propre détente.
Lorsqu’une colombe atterrit à ses côtés, Amelia s’arrêta aussitôt, curieuse de voir cet oiseau si proche d’elle. En tournant son attention vers celle-ci, la jeune fille remarqua au même instant, une dame assise sur un banc derrière elle. Tout en admirant la vue de l’océan, elle nourrissait un groupe de pigeons. Elle portait un grand châle bleu pâle couvrant sa tête et seuls ses longs cheveux blancs paraissaient devant ses épaules. Elle était vêtue d’une longue tunique turquoise. Son visage était peu visible, mais elle avait les traits d’une magnifique jeune femme. Elle se leva et s’approcha d’Amelia d’un pas serein. Debout à ses côtés tout en fixant la pleine lune à travers les nuages roses et orangés, elle lui dit de sa douce voix:
– C’était une magnifique mélodie que tu jouais. Tu aimes te retrouver ici seule ?
Amelia la remercia tout en l’observant intriguer.
– Oui… j’aime venir ici pour jouer tranquillement de mon violon et me libérer de mes émotions désordonnées.
– Je l’ai ressentie dans ta mélodie… la recherche de l’équilibre et te centrer au milieu des défis et de l’incertitude…
Amelia la fixa perplexe, mais touchée par son interprétation de sa chanson. Jamais une personne n’avait saisi aussi bien son émotion à travers son violon. La colombe battit des ailes et alla se percher sur l’épaule de la femme. Amelia l’admira silencieusement. Elle fut émerveillée par la lumière froide de la lune éclairant la dame. Amelia trouva que celle-ci émanait d’une énergie si mystique et céleste. La femme se pencha enfin vers elle, puis lui tint une magnifique chaîne en argent sterling, avec un croissant de lune, entourant un pendentif ovale en pierre de lune blanche avec des nuances bleutées. Amelia admira ce collier, ne comprenant pas sur le coup ce geste.
– Elle est à toi, tu peux la prendre. Je te rassure que tu vas enfin pouvoir saisir l’occasion et entrer dans ta pleine lumière. Ton chemin sera éclairé et te mènera vers la vraie joie, l’amour et l’épanouissement pour toi, répondit la femme de sa voix aimante.
Amelia hésita un bref instant, puis la prit dans ses mains. Elle ne comprenait pas pourquoi cette étrangère s’intéressait soudainement à elle, et lui offrant cette pierre précieuse. La femme caressa la colombe sur son épaule.
– Ton frère te salue.
Amelia la regarda confuse.
– Mon frère ?
Sans lui répondre. La femme se détourna d’elle, toujours accompagnée de son chaleureux sourire, puis s’éloigna. Sur son chemin, les pigeons prirent tous leur envol. Amelia resta médusée par la sagesse et la bonté de cette femme.
Lundi matin, Ken ouvrit son casier afin de prendre ses livres. En le refermant, Amelia se tenait juste à côté.
– Bon matin, Ken, voilà ton parapluie !
– Merci ! répondit Ken à la fois surpris de son énergie si joviale.
En croisant son regard, il percevait que quelque chose tracassait Amelia lorsque celle-ci remarqua le pendentif que Ken portait à son cou.
– Je ne l’avais jamais porté attention auparavant, mais qui t’as offert cette pierre ? interrogea Amelia intriguée, en pointant la tourmaline orange.
– Elle appartenait à ma mère.
– Tu crois que ta mère a déjà rencontré un ange ?
– Pourquoi cette question ? s’étonna Ken.
– Hier soir, j’ai rencontré une dame qui m’a offert une pierre de lune. Après avoir fait des recherches dans mes livres sur les anges, j’ai découvert que certaines pierres seraient affiliées à des anges spécifiques. Dont celle-ci et celle que tu possèdes.
Elle souleva la chaîne argent sous le collet de sa chemise blanche et montra sa pierre de lune sous les yeux épatés de Ken. Amelia attendait une réponse de sa part, mais un sourire se dessina sur le visage du garçon.
– Tu as effectivement bien effectué tes recherches. Je crois que l’un d’entre eux a bien entendu tes messages.
Amelia acquiesça en souriant à son tour. Elle fut rassurée et à la fois excitée à l’idée qu’elle eut enfin obtenu une réponse venant d’eux. Toutefois, Ken voyait que quelque chose d’autre subsistait, dont elle voulait lui dire. Cependant, sans plus discuter, Amelia soupira et rebroussa chemin pour se diriger vers la classe avec confiance. Ken la regarda s’éloigner et il pouvait ressentir quelque chose de différent en elle. Il ne pouvait l’expliquer, mais cela le rendait bien heureux.
En classe, Ken se dirigea directement vers Blair qui lisait tranquillement à son bureau. Debout à ses côtés, Blair voyait bien qu’il y avait l’air perturbé pour une raison quelconque.
– Qu’est-ce qui se passe Ken ? s’enquit-t-elle en refermant son livre.
Il déposa ses mains sur son bureau et se pencha sur elle.
– Tu te rappelles lorsque je t’ai mentionné mes étranges rêves ?
– Oui… ? répondit-elle d’un air très intrigué, en attendant la suite de son histoire.
– Ils sont devenus de plus en plus fréquents. Je réalise aussi que je peux m’endormir soudainement et je n’en suis pas conscient…
Sous le regard attentif de Blair, Ken raconta par la suite en détails ses rêves, la rencontre de cette femme démoniaque, puis la mort du père d’Amelia .
– Tu crois que la démone que tu as vue serait celle qui voudrait du mal à Amelia ?
– Probablement… Mais elle semblait plutôt une messagère, comme si elle était dominée par quelqu’un d’autre…
– Je vois que tu as énormément de questions, mais pas assez de réponses, affirma Blair.
– Tu crois que communiquer avec mon frère m’apportera davantage de réponses ?
– Probablement. Si tu veux, tu peux venir chez moi après l’école et je t’aiderais avec tout ça, lui sourit Blair, réjouie de pouvoir l’aider à élucider tous les mystères qui l’entourent.
Brendan et Zoé vinrent les rejoindre. En regardant de loin Amelia à son pupitre, Brendan ne put s’empêcher de dire avec étonnement :
– Je ne sais pas ce qui s’est passé ces dernières semaines, mais nous avons croisé Amelia plus tôt… et elle nous a salués avec un grand sourire.
– C’est vrai ! Elle a tellement changé, je suis heureuse de la voir plus épanouie et maintenant plus sûre d’elle. Je suis persuadée que tu y es pour quelque chose Ken,
ajouta Zoé joyeusement avec perspicacité.
– Je l’espère… elle est tout simplement reconnaissante de votre amitié, répondit Ken souriant légèrement.
– Oui j’en conviens, mais c’est certain que tu y es pour beaucoup dans sa nouvelle attitude ! Vous paraissez tellement plus proche ces derniers jours quand je vous voyais ensemble. Je suis convaincu qu’elle doit ressentir quelque chose pour toi, s’exclama Zoé en faisant un clin d’œil à Ken.
– C’est vrai ! je savais que quelque chose allait se développer entre vous. C'est le destin! dit Blair rêveusement, se penchant vers Ken et le regardant.
Celui-ci ne put s’empêcher de rougir, embarrassé par où la discussion se dirigeait.
– Ça ne veut rien dire, marmonna Ken d’un ton dissimulant ces allégations.
Brendan ne pouvait se contrôler de rire face à la réaction de Ken. Cela lui rappelait son dernier échange sur ce genre de sujet avec lui. L’innocence et la gêne de Ken furent toujours au rendez-vous.
Blair se rassit convenablement sur la chaise et retrouva un air plus sérieux en regardant du coin de l’œil Amelia au loin. Elle savait ce que Ken ressentait et elle était persuadée qu’il y avait bel et bien une forte connexion avec Amelia .
Annotations