8. Mortalité inconsciente

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En soirée, Ken se réfugiât dans sa chambre pour feuilleter le livre à la recherche d’indices sur sa véritable nature. Poussé par ses lectures, il fut ravi de découvrir une excellente description de Vehuel. Il lut qu'il pouvait apporter une présence réconfortante et rassurante. Grâce à lui, on pouvait profiter de la vie tout en ayant une grande ouverture spirituelle. Il avait le pouvoir d’être d’une grande aide pour illuminer la vie et faire plus attention à chaque détail. Il savait apporter la plénitude et la sérénité lors d’un événement compliqué, telles les déceptions et les querelles. Il se repassait, peu à peu, les moments passés avec Amelia, chaque instant où elle lui avouait comment elle se sentait en sa présence et se reconnu dans la description. En réalisant par la suite qu’il était dominé par Haniel, il comprit enfin le lien entre la pierre précieuse d’Amelia et sa rencontre étrange qu’elle a eu avec cette dame mystique. Il fut convaincu qu’il était revenu sur terre, vivre cette vie humaine afin de la protéger d’un danger quelconque. Il continua de survoler les paragraphes du livre, mais il ne trouva rien dans les doctrines des détails de son histoire pouvant expliquer ce qui aurait pu causer sa chute. Il voulait tant avoir une étincelle dans ses mémoires, mais encore là, ses souvenirs bloquaient. Il s’efforça un moment en s’agrippant la tête, pour remémorer sa vie dans la peau de Vehuel. Il ferma les yeux et sombra subitement dans un rêve. L’espace devant lui devint blanc, puis il se sentit guidé par Angie. L’image se clarifia devant lui et il se retrouva à nouveau dans cette même forêt. Ken ne comprenait pas pourquoi il revenait toujours à ce même endroit. Dans la peau d’un jeune homme de vingt-cinq ans, il se tenait devant un mince tronc d’arbre décoré de fleurs et de lanternes. Pour une raison qu’il ignorait, il grimpa jusqu’à la cime. D’en haut, il vit les quatre coins d’un royaume à l'époque médiévale. Quand soudain, il entendit un prénom qui l’interpella.

— Kenelm ! répéta la jeune voix masculine qui lui fut subconsciemment familière. Cette voix, à la fois insistante et alarmante, comme si on voulait le prévenir d’un danger. Il balaya les yeux autour de lui cherchant d’où elle provenait. Il rabaissa alors son regard vers le sol, mais les branches feuillues de l’arbre l’empêchèrent de bien percevoir l’action sous lui. Il pouvait juste ressentir une énergie malsaine. Soudain, il s’est mis à trembler et une grande fatigue le submergea. Il s’agrippait à l’arbre du mieux qu’il pouvait pour ne pas se laisser tomber. Mais ses mains et ses jambes ne répondaient plus et il se sentit chuter. Pendant qu’il tombait, il discerna la même femme à la longue chevelure brune frisée qui lui projetait un regard plein de haine.

— Cynethryth… ? pensa-t-il grâce à un brin de mémoire qui se glissa dans son esprit.

Soudain, Kenelm se transforma en oiseau blanc et s’envola pour se mettre en sécurité.

Une lumière blanche envahit sa vision et Kenelm se réveilla de ce cauchemar. Il sentit un besoin urgent d’aller raconter son rêve à une sœur religieuse à l’église où il avait l’habitude d’aller. En marchant dans le chœur vers celle-ci, les souvenirs de Ken se mêlaient à ceux de Kenelm, il avait une forte impression que cette religieuse lui était familière. Aussitôt qu’il eut terminé de relater son rêve, la vieille femme sage et habile à interpréter les rêves, se mit à pleurer, sachant qu’il était destiné à mourir. Soudain le regard de Kenelm fut attiré vers l’entrée de l’église. Dans l’entrebâillement des immenses portes se tenait un jeune homme de son âge aux cheveux blonds. Il était accompagné d’une charmante fille un peu plus jeune que lui qui le regardait timidement en tenant un bouquet de fleurs fraîchement cueilli. Les deux possédaient des traits communs, comme s’ils étaient frère et sœur.

Ken ouvrit les yeux et se réveilla enfin de cet étrange rêve, revenant enfin dans sa réalité. Il se retrouva sur son plancher dans sa chambre après être tombé de sa chaise. Ken resta ahuri par cette vision. Miko lâcha un miaulement près de son visage. Il se ressaisit et rassura son chat par des caresses sur la tête. Lora pénétra dans la chambre troublée de le voir étendu sur le sol.

— Ken ! s’exclama-t-elle en se penchant à ses côtés.

Ce dernier tourna lentement la tête vers sa cousine et la contempla un instant silencieusement, essayant encore de discerner la réalité de son rêve.

— Dis quelque chose… est-ce que ça va ?

— Oui, ça va aller… lui répondit-il enfin en se redressant, désolé, j’ai fait un rêve assez étrange. Je peux te confier quelque chose ?

Agenouillée au sol avec Miko dans ses bras, elle acquiesça en fixant Ken avec ses grands yeux ronds attentionnés.

— Tu avais raison. J’ai l’impression que mes rêves lucides, ces derniers temps, sont de plus en plus présents et veulent m’apporter des réponses reliées à une vie antérieure qui influencera probablement ma vie actuelle. Il y a des personnes dans ce rêve que j’ai l’impression de connaître aujourd’hui.

Lora afficha un petit sourire tout en ayant la joue appuyée contre la tête de Miko.

— Vraiment ? fit-elle curieusement, donc Gabriel avait raison.

— Gabriel ?

— Oui Gabriel, mon Archange. C’est toi qui m’as dit de lui demander son nom. C’est lui qui communique dans mes rêves.

— Je comprends maintenant, lui sourit Ken.

— Est-ce que j’étais là ?

— Je ne suis pas certain, mais je crois que oui.

— Pour vrai ! Qui j’étais ?

– Umm.. Je ne suis pas certain, mais une sœur religieuse dans une église probablement. J’avais un lien très proche avec cette femme. Elle était très bonne pour interpréter les rêves.

— C’est excitant qu’on se soit connu auparavant, répondit Lora gaiement.

Elena appela Lora de l’autre côté de la porte entrouverte.

— Ah tu es là ma chérie. Allez, viens, il est temps d’aller au lit.

— J’arrive maman !

Elle se leva et enlaça Ken autour de son cou afin de lui souhaiter bonne nuit.

Aussitôt que Lora passa devant sa mère pour se diriger vers sa chambre, Elena sourit chaleureusement à Ken.

Le 1er novembre, une brise fraîche soufflait sur les plaines sauvages de Signal Hill. Des flocons légers tombaient doucement du ciel mais fondaient au contact de la terre. Amelia décida de ne pas rentrer chez elle immédiatement après les cours. Au lieu de cela, elle s'aventura sur le sentier, vêtue de son écharpe grise tricotée à la main, puis d'un chapeau de paille à larges bords enveloppé dans un cardigan en laine beige. Soudain, son regard fut attiré par une forme angélique perchée sur le toit de la tour de Cabot. Envoûtée par la silhouette énigmatique, elle s'avança vers lui alors que personne ne semblait s'en apercevoir.

Arrivé au sommet de la tour, l'Ange n'y était plus. Amelia s’approcha alors du bord tout en balayant les alentours. Tout à coup, un vent s’abattit sur elle et son chapeau s’envola. Dans une tentative d'attraper son chapeau, son élan fut interrompu par le mur de pierre. Une colombe survola la tour et attrapa le chapeau au vol. Elle baissa les yeux en se penchant, et une force l'attira vers le vide. Elle s’agrippa au rebord, ébranlée par ce qui se passait. L'Ange, vu plus tôt, est apparu dans sa lumière derrière elle. Elle tourna difficilement son regard vers lui, toujours penchée sur le mur, les cheveux tanguant dans le vide. Elle était confuse par ce sentiment. Devait-elle avoir peur ou être rassurée. Elle sentait l'énergie de cet Ange qui ne comptait pas la sauver. Puis un vent beaucoup plus fort la frappa et la fit basculer au-dessus du mur.

Brendan et Zoé s’aventurèrent eux aussi dans le secteur de la tour Cabot. C’était souvent leur activité d’après-midi de se promener sur les sentiers qui parcouraient les falaises de la côte. Leur moment plaisant se fit soudainement interrompre lorsqu’ils aperçurent au loin, une foule entourer un corps inerte au pied de la tour. Ils approchèrent la scène avec précaution et remarquèrent sous leurs yeux troublés le corps d’Amelia. Brendan fut épris d’une grande impulsion de panique et força les curieux à s’éloigner. Il se pencha au-dessus d’elle à la recherche de ses signes vitaux, mais plus rien. Son cœur avait cessé de battre. N’acceptant pas le fait qu’elle soit sans vie. Pendant que les gens sur place appelèrent les urgences, il tenta alors de la réanimer. Zoé restait à l’écart sous le choc.

Amelia se réveilla. Elle était éprise d’une sensation de vertige suivie de légèreté. La vision brouillée, elle avança de quelques pas, abasourdis. Son prénom retentit derrière elle. En se retournant, tout se clarifia devant elle et fut interloquée en voyant son propre corps inerte. Ses yeux s’écarquillèrent de terreur. Elle fixa Zoé en larmes et Brendan tentant désespérément de la réanimer. Les paramédics arrivèrent peu de temps après et remercièrent Brendan de son bon réflexe. Amelia n’en croyait pas ses yeux. Elle analysa ses mains maintenant devenues translucides et se voyait à distance prise en charge par les ambulanciers qui la transportèrent sur une civière. Cela semblait si irréel que tous les sons et les émotions des gens firent le silence dans sa tête. Affolée, elle recula de la scène confuse et se recroquevilla sur elle-même en s’agrippant la tête. Elle tremblait de tout son corps, anéantie par une peine qui resurgit à la surface. Le visage crispé, elle ferma les yeux et se laissa envahir par sa noirceur intérieure.

Vêtu de ses ailes blanches lumineuses, Ken se retrouva au beau milieu d’un néant noir absolu. Il scruta le vide qui l’entourait, quand des pleurs étouffés attirèrent son attention. Il suivit le son des sanglots qui semblait devenir de plus en plus proche. Sous son regard consterné, il vit Amelia au loin, dos à lui qui pleurait à chaudes larmes. Il cria son prénom afin d’attirer son attention, mais elle ne répondait pas. Il fit quelques pas de plus dans sa direction en hurlant cette fois son prénom, malheureusement, plus il l’appelait, plus ce fut peine perdue et elle prenait la fuite. Une colombe atterrit sur l’épaule de Ken et lui dit par la pensée:

— Elle ne peut t’entendre.

— Mais je ne comprends pas… Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi est-elle si triste ?

Ignorant les questionnements de Ken, la colombe prit son envol en direction d’Amelia, puis tout cet espace noir éclata par une lumière blanche aveuglante. Ken se réveilla en sursaut, envahi d’une inquiétude subite.

Juste avant le début des cours du matin, Brendan, Zoé et Blair remarquèrent que des élèves se rassemblaient devant le casier d’Amelia. Ils déposaient des fleurs, accompagnées de petites notes de sympathie collées sur la porte du casier lui faisant hommage, la considérant comme celle-ci morte. Le trio resta l’air bête et choqué.

— Il ne faut surtout pas que Ken voit ça, s’inquiéta Zoé.

— Pourtant tu l’as sauvé Brendan. Je ne vois pas pourquoi tout le monde agit comme si elle était morte, se questionna Blair.

Soudain, Brendan entendit des murmures dans la foule et des pleurs provenant des filles qui connaissaient à peine Amelia.

— Pourquoi s’en soucient-elles maintenant alors qu’elles l’ignoraient ? grommela Brendan, insulté par l’hypocrisie dont ces filles faisaient preuve.

Non loin du groupe de filles se tenaient Kevin et Jimmy. En prêtant davantage l’oreille, il put entendre Kevin dire des propos dérangeants:

— Je ne comprendrais jamais pourquoi elle a pu choisir la voie facile pour mettre fin à sa vie.

— Vous avez entendu ça, le monde croit qu’elle s’est ôtée volontairement la vie ? s’exclama Brendan outré.

Zoé et Blair ne pouvaient pas en croire leurs oreilles.

— C’est dommage qu’elle n’ait pas pu faire face à la vie, ajouta Kevin avec déception, mais dont le jugement pouvait être ressenti dans son ton.

Brendan ne put retenir sa colère. Dégoûté, il fonça vers Kevin en se frayant un chemin dans la foule et s’arrêta devant lui.

— Retire ce que tu as dit ! projeta Brendan.

Ce dernier recula de quelques pas, le voyant beaucoup trop près de lui. Jimmy tentait de maîtriser Brendan en se plaçant entre eux.

— Calme-toi, s’exclama Jimmy en incitant Brendan de garder son sang-froid.

Brendan l’ignora et repoussa son ami d’un geste de bras, fixant Kevin.

— Qu’est-ce que tu en sais ? Les témoins l’ont vu se jeter d’elle-même en bas de la tour, lança Kevin.

Son commentaire arbitraire ne fit qu’empirer son état impulsif.

— Tu n’as aucun droit de penser comme ça ! Tu ne la connaissais même pas !

— Peu importe, au moins elle est dans un monde meilleur, affirma Kevin en s’approchant de lui, le regard provocateur.

Brendan fut incapable de se contenir et explosa.

— Arrête de présumer qu’elle est morte ! Je l’ai sauvé ! hurla-t-il en poussant violemment Kevin et lui brandissant son poing au visage.

Jimmy se prit la tête, désespéré, ne sachant plus comment les maîtriser. Zoé et Blair bousculèrent les étudiants afin de venir contrôler Brendan maintenant qu’il s’était embarqué dans un combat avec son ami. Ken arriva sur la scène, mais il ne comprenait pas la raison de ce rassemblement et toute cette chamaille devant les casiers. Blair le repéra à travers la foule. Elle avisa Zoé qu’elle allait s’occuper de Ken, puis s’empressa d’aller à sa rencontre. Pendant ce temps, la direction de l’école et les enseignants se mêlèrent à la dispute pour enfin séparer les deux garçons.

— Qu’est-ce qui passe ? C’est Brendan qui s’est battu ? s’enquit Ken devant Blair qui semblait lui bloquer son chemin.

— C’est avec Kevin. Brendan tenait juste à défendre son point de vue, c’est tout, bredouilla-t-elle en essayant de banaliser la situation.

Elle ne savait pas comment le préparer mentalement à ce qu’il s’apprêtait à découvrir au sujet d’Amelia. Ken la repoussa doucement afin de continuer son chemin dans la foule. Elle tenta de le retenir en lui prenant le bras, mais il résista à son geste.

— Attends Ken ! lui cria-t-elle désespérée.

En se faufilant entre les étudiants, le silence se fit et ils s’écartèrent pour le laisser passer. Devant le casier qui étaient bombardés de notes inscrites repose en paix et des bouquets de fleurs au sol, ne voulant pas y croire, il reconnut que c’était celui d’Amelia. Sous le choc, il secoua la tête dans le déni face à toutes ces allégations.

— Non… non, finit-il par dire d’une voix tremblante.

— Ken écoute, ce n’est pas ce que tu crois ! Laisse-nous t’expliquer, s’exclama Zoé hâtivement pour le rassurer.

Malheureusement, le choc embrouilla les paroles de son amie et il ne l’entendit pas. Le regard fixe, il recula en retenant ses larmes, puis tourna les talons en courant vers la sortie de l’école. Ses amis étaient atterrés de la situation. Blair se résolu qu’il était mieux de le laisser tranquille et qu’il allait découvrir la vérité par lui-même.

Sur le chemin du retour, Ken ne pouvait pas regarder en arrière. Il tentait de maîtriser ses émotions. Il était furieux à l’idée de ne pas être capable de protéger tous ceux qui lui sont proches. Il se sentait impuissant et éprouvait de la difficulté à admettre qu’il avait laissé la mort s’en prendre à Amelia. Avait-il échoué lamentablement sa mission de la protéger ? Est-ce la vision qu’il avait eue la nuit passée ? La présence de cette colombe, serait-ce le frère de cette dernière ? Soudain, il entendit un cri d’oiseau s’approcher. C’était la colombe. Elle le survola et laissa tomber un chapeau de paille qu’il attrapa au vol. Ken l’examina curieusement. Épris par une lueur d’espoir, il leva les yeux vers le ciel, espérant revoir la colombe et comme de fait, elle rôda autour de lui en volant en cercle. Ken comprit qu’il devait la suivre. Il la poursuivit jusqu'au lieu de sa chute au pied de la tour Cabot.

En arrivant sur la place, Ken ne put s’empêcher de ressentir l’angoisse montée en lui. Il pouvait percevoir une énergie démoniaque sous ses pieds. Des images de son premier rêve défilaient partiellement dans son esprit et le cri d’Amelia résonna en lui. Il ferma les poings et ne pouvant plus retenir ses émotions, il s’effondra sur ses genoux et se morfondit sur lui-même.

— Je suis tellement désolé Amelia… sanglota-t-il contrarié, en serrant la terre et l’herbe entre ses doigts.

Angie apparut derrière lui.

— Tout va bien Ken.

— Cette colombe m’a amené ici… et cet endroit m’a fait revivre le rêve que j’avais fait en début d’année avant sa rencontre. Ce cri… c’était elle, larmoya-t-il, la voix cassante.

— Tu n’as pas échoué.

— Quoi ?

— Elle est encore ici. Allez, viens, laisse-moi te guider vers elle.

Ken tourna son attention vers Angie. Elle posa sa main chaude sur son épaule et apaisa toute sa peine. Il se releva ensuite avec un regain d’espoir et la suivit sans hésitation.

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