11. L'affrontement

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Le lendemain, à la fin de son quart de travail, Mandy promena son chien près de la tour de Cabot. Son chien fidèle traînait derrière elle, reniflant l’herbe qui l’entourait, quand soudain, il s’arrêta abruptement lorsqu’il sentit une mauvaise énergie se dégager sous son nez. Il jappa affolé et grogna contre le sol.

— Qu’est-ce qu’il y a Winston ? demanda-t-elle curieuse face au comportement étrange de son compagnon.

Son chien gémissait en reculant, craignant ce qu’il percevait sous terre. Intriguée, Mandy s’empara d’une roche plate à proximité et l’utilisa comme outil pour creuser. Après quelques minutes à excaver la terre, elle déterra une urne en laiton et un vieux livre doté d’une couverture en cuir sans titre lisible. Elle examina ses découvertes avec une grande perplexité.

Après les cours, Ken s’empressa de quitter l’école, suivi de Blair qui courait derrière lui en le suppliant de l’attendre.

— Ken, pourquoi me fuis-tu ! s’écria Blair, je croyais qu’on devait y aller ensemble à ton ancienne maison ?

Ken garda le silence et accéléra le pas. Confuse de l’attitude distante de son ami, elle le rattrapa à la course et l’agrippa par le bras.

— Ken parle-moi ! Qu’est-ce qui se passe ?

— Je préfère y aller seul finalement… Je ne veux plus t’impliquer dans mes histoires, lui répondit-il avec désolation.

— Je ne comprends pas? Tu étais pourtant si content que je t’accompagne, fit-elle déconcertée.

— Curtis à raison. Je ne devrais plus te mettre en danger. Quiconque ose m’approcher meurt ou est blessé.

Blair le fusilla d’un air outré. Elle n’arrivait pas croire que son frère ait eu l’audace de le convaincre de la rejeter et l’empêcher de lui apporter son soutien.

— Comment a-t-il osé te dire une telle chose ? grommela-t-elle choquée.

— Peu importe… C’est mieux que j’affronte mon passé seul.

Sans attendre une nouvelle réplique, il reprit le pas vers l’arrêt d’autobus.

— C’est faux… songea-t-elle affligée, immobile le regardant s’éloigner.

En rebroussant chemin, elle croisa Brendan et Zoé qui marchèrent dans sa direction.

— Il y a un problème Blair ? s’enquit Zoé percevant clairement la déception sur le visage de son amie.

— Mon frère est mon problème ! rugit-elle, il a convaincu Ken qu’il devait faire face à ses problèmes seul !

Brendan et Zoé haussèrent les sourcils surpris par sa réaction. Impatiente d’affronter son frère, elle passa entre eux et sortit rapidement son téléphone portable de la poche de son manteau en laine gris pâle. Encore une fois, Zoe et Brendan échangèrent des regards perplexes et consternés.

Ils remarquèrent alors au loin, Ken embarquer dans l’autobus en direction de Torbay.

— Tu crois qu’il retourne à son ancienne maison ? demanda Zoé.

Brendan hocha simplement la tête, étant convaincu que c’était malheureusement le cas.

— On devrait le suivre, je n’accepte pas le fait qu’il doit tout affronter seul, dit Zoé.

— Je ne sais pas… cela reste risqué, surtout s’il retourne vraiment dans son ancienne maison… pensa Brendan, ça a mal tourné la dernière fois…

— Oui je sais… mais je ne crois pas que ça va se reproduire.

— Sa maison est hantée, Zoé. Il y aura sans aucun doute du danger.

— D’où la raison qu’il faut rester fort et faire face au danger avec lui, fit-elle avec courage.

Brendan la fixa incongru face à la ténacité de cette dernière.

— Pourquoi insistes-tu autant ?

— Il dit ne pas avoir besoin de personne, mais pourtant il fait toujours appel à Blair. Mais cette fois, elle ne sera pas là, il ne reste que nous…

— Je sais… mais c’est non.

— Je vais y aller seule dans ce cas, s’entêta Zoé en se détournant et enchaînant quelques pas.

Brendan la retint par la main.

— C’est bon ! Tu as gagné, soupira-t-il.

Ken descendit de l’autobus et ressenti aussitôt la présence d’Amelia apparaître à ses côtés.

– Amelia ? Je ne veux pas t’attirer plus d’ennuis… Reste loin de moi pour l’instant.

— Si c’est à cause de Curtis, tu ne devrais pas t’inquiéter. Tu sais qui tu es, dit-elle en touchant son bras.

Ken soupira, découragé. Il la regarda, seulement une seconde avant que ses yeux se posent sur le sol, une ride profonde entre les sourcils.

— Quoi ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

Il rencontra son regard.

— Je réalise que je ne connais rien sur moi… C’est même peut-être probablement moi qui suis la cause de tes malheurs, lui partagea Ken dans un murmure, l’air abattu.

Elle décela le désespoir dans ses yeux, nourrissant sa plus grande crainte montée à la surface.

— Mais j’ai besoin de toi, et tu as besoin de moi … ne m’abandonne pas, supplia Amelia la gorge nouée par l’émotion de perte.

— Je ne t’abandonne pas.

Amelia réprima un sourire. Ken voulait garder espoir, mais la déception l’avait envahi à la suite de la conversation avec Curtis. Malheureusement, ce dernier l’avait persuadé qu’il avait échoué ses chances d’avoir des réponses pour la sauver.

Ses pensées furent interrompues par la voix d’un jeune garçon qui retentit derrière lui.

— Ken ?

À son plus grand étonnement, lorsqu’il se tourna, son regard croisa Kyle qui passa à vélo à l’intersection.

Surpris de le revoir, Ken lui demanda comment il allait en s’efforçant de lui sourire. Il voulait évanouir son désespoir en présence de Kyle. Ken fut rassuré en le voyant dorénavant d’une meilleure mine. Le jeune garçon dégageait enfin une paix, contrairement à leur dernière rencontre l’année passée.

— Que fais-tu ici ? s’enquit Kyle.

Ken le contempla d’un sourire discret, hésitant à lui raconter la raison pour laquelle il était de retour. Il tenait à ne pas l’inquiéter ni à l’impliquer dans ses malheurs.

— Content de voir que tu t’es bien remis des événements de l’année passée, lui dit Ken en évitant sa question.

— Oui, ça n’a pas été facile de passer à travers ce que j’ai vécu. Par chance, mes parents m’ont été d’un énorme soutien.

L’attention de Kyle tomba soudainement sur la pierre attachée au cou de Ken qui paraissait à moitié du décolleter de son manteau noir.

— C’est ta tourmaline ? remarqua Kyle.

— Oui, lui répondit-il simplement en la dégageant de son manteau afin de mieux lui montrer.

— J’ai moi aussi une pierre. J’ai reçu une sodalite bleue, un matin, sur ma table de chevet, dit Kyle.

Amelia qui se tenait à l’écart piteusement, redressa la tête lorsqu’elle entendit les mots sodalite bleue, puis s’approcha d’eux. Étant très intriguée par ce que Kyle était en train de partager à Ken, elle les écouta attentivement.

— Que veux-tu dire ? s’enquit Ken.

— Je ne peux pas t’expliquer d’où elle vient exactement, mais pendant un certain temps je faisais sans arrêt d’horribles cauchemars. Quand je me réveillais en sursaut, j’avais peur de me rendormir. J’étais tellement épuisé, que je m’endormais presque en classe. Une de mes enseignantes s’inquiétait pour moi et quand je lui parlais de mon anxiété de dormir, elle m’a montré comment faire de la méditation pour reprendre le contrôle de mes pensées. Pour la première fois en plusieurs mois, je pouvais enfin dormir et le lendemain, j’ai trouvé cette sodalite sur ma table de chevet.

Les yeux ronds, Ken fut frappé par son histoire.

— L’as-tu avec toi ? demanda Ken.

Le jeune garçon la sortit de sa poche de son pantalon et la tendit pour qu’il puisse la voir de plus près. Ken admira la pierre polie qui était d’un bleu profond veiné de blanc.

— Depuis que je la garde auprès de moi, je me sens mieux et plus heureux, partagea Kyle.

Amelia se souvint de ses lectures sur les Archanges et les pierres précieuses. Elle devait confier ses connaissances à Ken.

— Cette pierre est associée à l’Archange Michael, lui révéla-t-elle en chuchotant près de son oreille. Tout ce que Kyle ressent est exactement les signes qu’il est sous la protection de cet Archange. Il l’a protégé pendant son sommeil, il a veillé sur ses rêves pour apaiser ses peurs et ses craintes. Michael est le symbole de justice, de force, de paix et de sécurité.

Après l’avoir bien entendu, ses yeux s’écarquillèrent d’étonnement alors qu’il se souvenait de ce que Haniel avait divulgué à propos des Archanges affiliés à des personnes qui l’avaient connu dans son ancienne vie. Amelia a senti l’hésitation de Ken à lui dire la véritable signification de sa pierre.

— Ken, il a le droit de savoir. De toute manière, c’est l’un des Archanges les plus puissants. C’est probablement l’une des personnes dont tu devrais t’inquiéter le moins, si c’est ça qui te bloque, lui fit comprendre Amelia.

— Qu’est-ce qu’il y a Ken, tu ne dis plus rien, lui questionna Kyle, se doutant bien que quelque chose lui tracassait l’esprit.

— Tout ce que tu ressens lorsque tu es en contact avec ta sodalite ce sont les vibrations énergétiques de l’Archange Michael. Il offre sa protection et sa communication directe avec lui, comme ma tourmaline associée à Jophiel.

— Wow, vraiment ? Pourquoi moi spécialement ?

— C’est une longue histoire et pour te garder en sécurité je préfère t’épargner les détails. Mais la seule chose que je peux te dire, c’est que nous ne sommes pas les seules à avoir hérité d’une pierre précieuse, on serait sept au total à en avoir une.

— Et tu connais les autres ?

— Mon amie Blair, ma petite cousine Lora et Amelia.

— Je me souviens de Blair, mais Amelia ?

— C’est une bonne amie, qui est d’origine de Torbay et qui a emménagé cette année à St. John’s. Je l’ai rencontré dans ma classe. Mais elle a eu récemment un grave accident et elle repose maintenant entre la vie et la mort.

— Je suis désolé d’entendre ça… Mais alors qu’est-ce qui t’emmène ici, tu ne m’as jamais répondu.

— Je ne veux pas t’impliquer dans rien… surtout pas après ce que tu as subi l’année passée.

— Ne t’inquiète pas pour moi Ken. Je suis beaucoup plus fort dorénavant et tu viens de me le confirmer en me disant que j’étais sous la protection de Michael, lui sourit Kyle avec confidence.

— En fait… débuta-t-il, depuis l’accident d’Amelia, son esprit est resté parmi nous, mais pour revenir à son corps, elle a besoin de moi. Je suis convaincu que les réponses sont encore à mon ancienne maison.

Kyle le contempla affligé par la situation.

— Tu crois que c’est vraiment une bonne idée que tu y retournes seul ? demanda Kyle consterné.

— Je n’ai pas d’autre choix, mais je dois y aller. J’étais heureux de te revoir Kyle.

Ken lui sourit légèrement, lui faisant un dernier signe de la main en reprenant sa route. Kyle resta là en silence, le regardant s’éloigner inquiet.

Une petite brise agitait les cheveux bruns de Ken tandis qu’il contemplait son ancienne maison. Il prit un moment pour respirer profondément afin de se préparer à affronter les forces obscures qui l’attendaient de l’autre côté de la porte.

— Tu es sûr que ça va aller Ken ? s’inquiétait Amelia.

— Oui, mais je préférerais que tu restes ici, juste par précaution.

Amelia obéit et regarda Ken finalement entrer dans la vieille demeure abandonnée.

L’ambiance dans la maison fut surprenamment moins lourde et pesante que lors de sa dernière visite. Il avança vers la cuisine lentement, tout en examinant ses alentours. En s’arrêtant près de la porte du sous-sol toujours entre-ouverte, il ressentit à cet instant même, une forte présence provenant d’en bas. Il s’y sentit guidé et descendit avec assurance l’escalier tout en restant aux aguets. Tout comme dans la vision de son frère, il se dirigea immédiatement dans la pièce au fond du sous-sol où il avait été témoin de l’apparition de cette mystérieuse femme. Lorsqu’il entra dans la chambre vide et poussiéreuse, il remarqua que le sol était tapissé de cendre et des chandelles étaient éparpillées sur le sol. Il promena son regard dans la pièce, quand soudain après avoir effectué quelques pas, il remarqua une ligne tracée noire ensevelie sous les cendres. Il balaya le sol avec son pied et découvrit des symboles. Intrigué, il poussa tout le reste et découvrit un sceau dessiné qui devait sans aucun doute représenter un être spirituel. Ken scruta le plancher dans tous les recoins à la recherche d’autres indices. Ses efforts portèrent fruit, lorsqu’il discerna une planche mal clouée. En la soulevant, il remarqua un trou comme s’il y avait déjà eu quelque chose de caché à cet endroit.

Pendant ce temps, Zoé et Brendan arrivèrent sur les lieux. Amelia paniqua en les voyant. Malheureusement, elle n’arrivait pas à entrer en contact avec eux afin de les empêcher de rejoindre Ken. C’était peine perdue ! Ils entrèrent à l’intérieur. Amelia était si craintive à l’idée que quelque chose de grave allait leur arriver, qu’elle décida finalement de s’introduire à son tour. Elle voulait tant les protéger et s’assurer de les guider vers l’extérieur. Amelia les suivait de près, en essayant de toutes ses forces de toucher le bras de Zoé pour attirer son attention en criant leur nom. Mais elle n’y arrivait toujours pas. La frustration l’envahit en réalisant qu’elle ne pouvait pas rentrer en contact avec les autres ni avec les objets de son entourage. Découragée, elle fondit dans le désespoir et s’éloigna.

Zoé et Brendan examinaient les alentours quand soudain ils repérèrent la porte du sous-sol toujours ouverte. Ils hésitèrent à s’y approcher. Puis, avec prudence, Brendan fit les premiers pas vers l’entrée du sous-sol.

— Je suis convaincu que Ken est en bas… dit Brendan d’une voix laissant paraître une légère crainte.

Brendan mit le pied sur la première marche, quand tout à coup un vent glacial s’abattit sur lui, et le tira brutalement vers l’avant et le fit débouler les escaliers. La porte claqua violemment contre Zoé qui l’obligea à rester de l’autre côté de la porte. Elle cria, paniquée, en forçant la poignée qui semblait s’être verrouillée de l’intérieur.

Alarmé par le bruit, Ken sortit à la hâte de la pièce et courut vers les escaliers pour apercevoir Brendan inconscient. Zoé tenta une dernière fois de forcer la poignée de la porte, puis cette dernière se déverrouilla enfin. Elle se précipita vers Brendan qui gisait en bas des escaliers. Amelia observa la scène de l’étage supérieur avec nervosité. Ken n’en croyait pas ses yeux. Il ne savait pas quoi penser pour le moment. Il arriva aux côtés de Brendan, mais il ne répondait toujours pas. Du haut des marches, Amelia aperçut une aura noire émanant du corps de Brendan. Elle savait que c’était maléfique.

— Ken ! Fait attention, je crois qu’il est possédé ! lui prévient Amelia.

— Éloigne-toi de lui, Zoé ! lui ordonna-t-il

Brendan ouvrit subitement les yeux. Ses pupilles étaient dilatées ne reflétant plus du tout sa propre âme. Il se leva sans difficulté. Ken attira Zoé vers lui pour la protéger de Brendan qui avançait d’un pas menaçant. Terrifiée, Zoé recula en restant derrière Ken.

— Quel est ton nom ? Es-tu un esprit ? demanda Ken en gardant son calme.

Mais Brendan n’était pas coopératif et se jeta sur lui avec un premier coup de poing au visage. Saisi de ce puissant coup, Ken tomba au sol. Le voyant revenir à la charge, il recula péniblement, puis se fit aussitôt agripper par le collet de son manteau. Brendan le plaqua contre un mur, pour ensuite le soulever du sol d’une force surhumaine. En fixant le regard haineux de ce dernier, Ken ressentit les sentiments de vengeance et de jalousie qui émanaient de son ami. Cette énergie lui rappela son dernier rêve et grâce à ses souvenirs profonds provenant de son âme, il réalisa alors à qui il faisait face.

— Je sais qui tu es… tu es Cynethryth et tu m’as tué, lança Ken le souffle court.

Un sourire malicieux se dessina sur le visage de la femme à travers Brendan, puis d’une main, il l’étrangla avec réjouissance. Zoé se jeta dans le dos de celui-ci afin de le maîtriser. Il lâcha Ken brutalement et tomba lourdement au sol. Brendan se débattit de son emprise et frappa Zoé d’une grande force, ce qui la fit revoler violemment au loin et percuta son bras contre le mur. Amelia apparut au côté de Zoé qui tomba inconsciente saisie par ce coup. Sa frustration monta et se retourna vers l’esprit de Cynethryth.

— Hé ! Mais c’est quoi ton problème ! hurla Amelia colérique.

L’esprit vengeur se tourna vers celle-ci et la fusionna d’un regard méprisant. Amelia pouvait percevoir l’âme de cette femme à travers le corps de Brendan.

— Laisses mes amis tranquilles ! cria-t-elle.

La furie entre les deux âmes créa une forte vibration hostile qui affecta tout leur espace. Les lumières frétillèrent et un vent se leva doucement autour d’eux. Ken regarda la scène avec impuissance. La haine et l’indignation d’Amelia nourrissaient Cynethryth, la rendant plus puissante et affaiblissait l’âme de Ken. Il sentait peu à peu son énergie être drainée.

— Amelia arrête de la provoquer ! Tu dois partir immédiatement ! lui ordonna Ken voyant que cela ne faisait qu’empirer la situation.

Désemparée, Amelia disparut aussitôt de la scène. Blair arriva à l’improviste derrière Brendan. Lorsqu’il se retourna, elle lui plaqua une croix bénite directe sur le cœur en serrant son cristal. Elle récita une prière d’exorcisme en hébreu que son Archange lui insufflait. L’esprit de Cynethryth s’exila du corps de Brendan le laissant s’effondrer sur le plancher comme un pantin. Il reprit tranquillement ses esprits, mais n’avait aucun souvenir de ce qui s’était passé. Blair courut au côté de Zoé qui ouvrit enfin les yeux, réveillée par une vive douleur au bras. Elle craignait de l’avoir fracturé. Ken aida son ami à se relever. Brendan se ressaisit assez rapidement lorsqu’il remarqua enfin Zoé.

— Zoé ! Qu’est-ce s’est passé ?

— Tu l’as frappé quand tu étais possédé, expliqua Ken.

— Quoi… c’est moi qui t’ai fait ça ? dit-il affligé.

— Ne t’en fais pas, tu n’étais pas toi-même, répondit Zoé en s’efforçant un doux sourire, tentant de ne pas trop montrer sa douleur.

Blair croisa le regard de Ken.

— J’ai bien fait de ne pas écouter mon frère. Je savais que tu allais avoir besoin d’aide.

— Merci, Blair, lui dit Ken soulagé qu’elle soit venue malgré tout.

— Tu n’es jamais retournée chez toi finalement ? s’enquit Brendan.

— Non, j’étais sur le point d’appeler mon frère, mais j’ai changé d’avis à la dernière seconde quand j’ai vu que tu prenais le bus pour ici, répondit-elle en lui lançant un regard sévère.

— Hé, ne me blâmes pas comme ça ! s’indigna Brendan, se culpabilisant déjà de l’état de Zoé.

— Mon bras, se plaignit Zoé.

— Allez, il faut partir ! Elle doit aller à l’hôpital, elle souffre, s’alarma Blair.

Brendan souleva Zoé doucement pour la prendre dans ses bras et monta rapidement à l’étage. Blair fit signe à Ken de les suivre, mais ce dernier resta derrière en fixant la pièce où les phénomènes occultes ont eu lieu.

— Ken, tu viens ? s’enquit Blair.

— Allez-y sans moi, je dois faire quelque chose avant.

— Non Ken, je ne peux te laisser seul encore une fois.

— S’il te plait je dois lui parler, je suis si proche de la vérité.

— Alors, protège-toi de la lumière d’Angie.

Sans plus tarder, Blair monta les escaliers et alla rejoindre Brendan et Zoé qui l’attendait à l’extérieur.

Ken retourna dans la chambre vide. Il ferma les yeux et pria pour la protection d’Angie. Celle-ci apparut devant lui sous la forme d’un orbe. Sa lumière prit de l’ampleur et entoura Ken d’une aura fuchsia. En scrutant la pièce avec assurance, il ressentit la présence de Cynethryth. Il l’appela enfin, lui demandant de se montrer. Une brume tournoya devant lui, pour ensuite se matérialiser en une femme svelte, aux longs cheveux noirs épais et bouclé, le teint terne et ses yeux reflétant tant de malice. Son apparence était exactement comme son frère l’avait vu. Ken la confronta afin d’obtenir des réponses à ses questions sur son passé.

— Cynethryte écoute moi, je sais que tu me détestes pour une raison que j’ignore, mais j’ai besoin de toi pour m’éclairer.

Sa présence hostile laissa Ken sous ses gardes, mais il voyait qu’elle était prête à communiquer, même s’il ressentait que ce ne serait pas par des mots. Elle le fixa en silence, tint les bras devant elle et lui fit signe de la main de s’approcher. Ken prit le risque de diminuer sa lumière de protection et avança de quelques pas. Lorsqu’il fut assez proche, elle appuya ses deux mains sur ses tempes et le fit régresser dans son passé.

Son âme transcenda dans un voyage astral. Soudainement, il se retrouva à Mercie, un royaume anglo-saxon du centre de l’Angleterre, au début du 8e siècle. Il cheminait à travers la forêt du Worcestershire, la même qui apparaissait dans ses rêves. Toutes ses mémoires lui revinrent enfin. À travers les arbres, il repéra sa grande sœur, Cynethryth, la fille de Coenwulf, roi de Mercie. Il l’entendit conspirer avec un homme :

— Askeberd, tues mon frère, Kenelm, et ensuite interdit à quiconque de mentionner son nom sous peine de mort en espérant que sa mémoire s’effacerait plus rapidement.

Ken fut sous le choc en entendant le nom d’Askeberd. Il se souvient de l’avoir déjà entendu dans l’un des souvenir de son frère,Sam. Ken comprit alors qu’il lui succéda sur le trône après la mort de son père, le roi. Cynethryth enviait son jeune frère et croyait qu’elle pourrait régner en tant que reine s’il était tué.

Il fit ensuite transporter quelques heures plus tard dans le temps, près d’un arbre où son corps fut enterré. Il repéra l’âme de Kenelm sortir de la terre, puis prendre la forme d’un oiseau blanc. C’était comme dans son rêve. Cynethryth se tenait devant la tombe que son amant avait creusée pour cacher le corps de son frère. Ken percevait le remords dans ses yeux. Peu de temps après, il aperçut un jeune homme aux cheveux blond arriver à la course au loin dans le boisé. C’était le même qu’il avait remarqué à l’entrée de l’église. Au son de ses pas, Cynethryth prit aussitôt la fuite dans le fond de la forêt. Cet homme arriva auprès de sa tombe et s’effondra anéanti. Ken le fixa avec curiosité, car il avait une forte impression qu’il partageait une grande amitié avec ce dernier, mais son nom lui échappait. Toutefois, sans s’attarder à chercher à se souvenir de qui il s’agissait, il reprit le chemin de Cynethryth en fugue.

Il la rattrapa à l’entrée d’une grotte isolée. Lorsqu’elle pénétra à l’intérieur, quatre hommes aux longs cheveux blonds, vêtus d’une tunique blanche, vinrent l’entourer. Ken ne réalisa pas sa motivation de se retrouver auprès de ces hommes étranges qui lui donnait l’impression d’une secte. C’est alors qu’il entendit celle-ci s’apitoyer :

— Je vous en prie, je veux tant me purifier de ce sentiment ignoble qui m’envahit. Je crois en la Lumière. Je me sens à la fois très près de mon corps, mais loin de la réalité, leur partagea-t-elle désemparée.

— La Lumière est emprisonnée en toi, mais ne peut la représenter. La prière constitue un des moyens privilégiés pour y accéder, lui affirma l’un d’eux, d’un ton flegmatique face à la détresse de cette dernière.

— J’ai tout essayé… Prier sept fois par jour, chanté sept hymnes par jour, se plaignit-elle en se laissant tomber à genoux.

— Il est impossible de triompher du mal, car le mal est indestructible. Le seul moyen d’être totalement dans le royaume de la Lumière, c’est de fuir les Ténèbres, lui confia l’autre homme.

— Comment ? supplia Cynethryth.

Une cinquième personne sortit de la noirceur, d’une silhouette féminine, habillée de la même tunique, mais son visage était caché dans l’ombre de son grand capuchon. Seuls ses longs cheveux noirs paraissaient en couvrant la poitrine. Elle avança d’un pas lent et assuré. Les autres hommes s’écartèrent pour la laisser passer, démontrant un grand respect. Ken observait la scène avec grande attention, mais avec méfiance. La femme s’arrêta devant Cynethryth qui restait agenouillée au sol la regardant de haut avec grande admiration.

— La mort n’est pas seulement un processus destructif, mais un processus d’élévation suprême, de libération de l’esprit, déclara cette mystérieuse femme.

Ken ne comprenait pas ce qui se passait, mais il était troublé en le voyant sortir un pieu de sa poche et faire signe à Cynethryth de lui offrir ses bras. Elle obéit en levant ses poignets au-dessus de sa tête, totalement soumise à ses ordres. L’un d’eux s’approcha ensuite avec un parchemin et le déroula juste au-dessous de ses poignets. Cette femme imposante lui fit une légère coupure sur la face intérieure d’un de ses poignets et laissa couler quelques gouttes de son sang sur le parchemin. Accablé par cette scène dont il n’était qu’un spectateur, Ken n’en croyait pas ses yeux.

— L’élu aura la motivation de faire incantation de la mort, Abaddon ! s’écrièrent les hommes en chœur et se prosternèrent.

Des ombres imposantes jaillirent du sol et se matérialisèrent autour d’eux. Ken se sentit alors projeté dans un espace-temps, défilant devant lui, la vie de Cynethryth. Tout le temps qu’il l’a espionnée, il était frustré qu’elle ait passé le reste de sa vie dans la tromperie et le meurtre, pour se retrouver dans un monastère pour contempler le divin.

Agenouillée au pied de l’arbre sur le site du meurtre de son frère, son visage se déforma sous les pleurs, puis dans un ton mélancolique à peine perceptible, elle se lamenta;

— Ma vie a été ruinée par ta faute… je veux être libérée enfin.

Ses mots frappèrent Ken. Soudain, il remarqua, sous ses yeux troublés, qu’elle tenait un pieu dans sa main. Dans un moment de désespoir incontrôlable, elle s’enleva la vie en se transperçant le cœur.

La noirceur envahit tout l’espace-temps et ramena brutalement Ken dans son corps dans le moment présent. Il fut projeté au sol par ce retour soudain.

— Cynethryth… débuta Ken , en se relevant tranquillement , complètement déboussolé par tout ce qu’il a été témoin.

Mais les paroles de Ken ne firent qu’irriter cette dernière. Les larmes jaillirent de ses yeux et elle cria avec furie, ne pouvant plus retenir sa peine et son mal-être. Angie protégea Ken de son aura et l’incita de s’enfuir. Sans plus discuter, Ken se précipita hors de la demeure en courant.

Sous le regard soulagé de Blair, elle s’écria ;

— Enfin tu es là !

— Est-ce que tu peux bénir la maison, proposa Ken essoufflé après avoir constaté l’absence de Brendan et Zoé.

— Je peux tout simplement essayer de créer un bouclier de lumière afin de limiter les énergies négatives de s’évader.

— Essayons ça alors.

Blair serra son cristal et avec intention, elle pria Raziel pour son aide et ce dernier lui insuffla des paroles en hébreu pour créer un bouclier de lumière. Ken imita son amie et répéta les paroles de Blair. Une lumière orangée et de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel émana de leurs pierres et enveloppa la maison de cette aura pure de protection.

— Je ne sais pas combien de temps cela va durer, mais ça devrait protéger pendant un certain temps, a déclaré Blair, Brendan et Zoe sont déjà en route vers l’hôpital après avoir appelé un taxi pour eux. Nous allons donc les rejoindre, l’autobus suivant passe dans quelques minutes.

— Merci Blair.

— Ce n’est rien, allez partons d’ici ! Et promets-moi que tu vas tout me raconter ce qui s’est passé, lui dit-elle en entraînant Ken dans sa course en direction du sentier de la forêt.

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