13. Une vérité blessante

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Ken était assis dans le fond de la salle d’attente isolé des autres patients. Amelia apparut devant lui et se joignit dans sa solitude en s’asseyant sur la chaise à sa droite. Malgré la tristesse qui l’inondait, il était ravi de la voir.

— Pardonne-moi pour plus tôt, fit-elle.

— Ne t’inquiète pas, c’est à moi de me pardonner…

Amelia lui sourit avec compréhension.

— Tu avais peur tout simplement.

Ken hocha lentement la tête, car elle avait tout à fait raison. Il s’en voulait profondément. Elle le contempla silencieusement.

— Tu me manques, dit-elle tristement en hésitant à lui prendre la main.

Il réussit à esquisser un léger sourire derrière la grisaille qui s’y cachait. En fixant la prunelle de ses yeux, Amelia pouvait percevoir une lueur qui régnait toujours. Cela la rassurait.

— Tu me manques aussi… avoua finalement Ken en s’apprêtant, lui aussi, à lui toucher la main, mais il se fit soudainement interrompre par la voix de Blair.

— Enfin je t’ai trouvé ! S’exclama son amie en s’approchant de lui.

— Désolé d’être partie sans rien dire, j’avais besoin d’être seul un moment.

Elle s’arrêta net et lui lança un regard inquisiteur.

— Oh, je ressens beaucoup d’émotions par ici, fit Blair en prenant le siège à sa gauche.

Amelia se questionnait intérieurement si son amie pouvait la ressentir. Cependant celle-ci semblait plus préoccupée par l’état de Ken. Il voûta le dos en prenant ses mains et baissa son regard.

— Je t’ai vu partir plus tôt, mais je n’ai pas osé te suivre, Blair pausa en voyant bien la mélancolie de son ami, ça va aller pour me raconter ce qui s’est passé ?

— Mon oncle était ici, et je l’ai vu mourir devant mes yeux.

— Oh… Je suis tellement désolée d’entendre ça Ken, dit-elle compatissante en lui touchant l’épaule.

— Merci, Ken s’adossa plus confortablement sur le banc et prit une profonde respiration je sais ce qui s’est passé à mon ancienne maison.

— Donc tu sais ce qui a pris possession de Brendan ?

– C’est Cynethryth.

— Qui ?

— C’était ma grande sœur dans l’une de mes premières incarnations. Elle m’a transmis des réponses de sa vie. J’aurais hérité le trône du royaume après la mort de mon père à cet époque. Mais elle était si jalouse, qu’elle a planifié mon meurtre. J'ai encore du mal à comprendre la raison de ses actes.

— Que veux-tu dire ?

— Après m’avoir tué, elle a vécu le restant de sa vie dans les tromperies, les meurtres, la haine et dans le remords de ma mort. Elle savait que c’était mal, elle démontrait clairement ne pas en prendre plaisir, mais acceptait toujours d’appréhender le mal.

Dans l’un des souvenirs qu’elle m’a partagé, elle était entourée d’hommes et d’une femme en tunique blanche et cela ressemblait à être une secte. Je suis convaincu que Cynethryth a fait un pacte avec cette étrange femme. Elle était si soumise à sa présence.

— Intéressant tout ça, et qu’est-ce qu’elle est venue chercher exactement auprès de ces hommes ?

— La paix et le pardon.

Ken lui décrivit ensuite en détail le rite que Cynethryth lui avait dévoilé.

Blair réfléchit quelques minutes.

— Je sais. Cela doit être la religion des manichéens. Leur philosophie est de transformer le Mal en Bien.

Ken tourna toute son attention vers Blair.

— Il divise le monde en deux entités ?

– Exactement. Dans la loi manichéenne, il n’y a pas de zone grise, un acte est bon ou mauvais, tout simplement. D’un côté, les Ténèbres, gouvernées par Satan et de l’autre, la Lumière, gouvernée par Dieu. Lorsqu’il y a eu la création de l’humanité, ils se sont faits à l’idée qu’il y a eu un mélange instable des Ténèbres et de la Lumière.

— Ce qui veut dire ?

— Que l’âme humaine est faite de Lumière et son corps, des Ténèbres. Donc ce qui est arrivé dans cette vision avec Cynethryth, c’est qu’elle devait séparer son esprit de son corps, afin de maximiser l’expansion de sa lumière. Donc en s’enlevant la vie, elle croyait pouvoir se libérer du cycle des incarnations et arriver à rejoindre le royaume de la Lumière.

— Ce n’est pourtant pas ce qui s’est passé.

— Malheureusement non, le fait qu'elle s'est associée à un démon via le pacte l'ont gardée piégée dans notre dimension. Elle s’est entièrement dévouée au mal. Elle n'a donc jamais atteint la lumière.

— Avant de mourir, mon oncle m’a avoué plus de détails concernant le meurtre de mes parents et de mon frère et à ce que j’ai compris, je crois que c’est Abaddon le démon en question…

— Ah oui ?

— Dans la pièce où ils faisaient leur incantation, il y avait des pentacles dessinés sur le plancher. Au début, je ne comprenais pas trop pourquoi. Mon oncle m’a alors raconté que ton père était curieux du futur et qu’il aurait incarné avec le livre, Ariton. Pendant l’incantation entre l’au-delà et notre monde, Cynethryth est apparue et elle influença ton père pour invoquer Abaddon lui faisant croire qu’il pouvait être sauvé de son horrible futur, cependant il n’a jamais réussi à sceller ce démon dans son urne de manière sécuritaire et le garder en contrôle. Ton père n’a jamais trouvé son symbole.

— C’est plus grave que je l’imaginais, fit Blair consternée.

— Je crois même que c’est Abaddon qui est venu me rendre visite dans mes rêves.

Amelia resta sous le choc en entendant ces mots. Blair tapota une lèvre avec son index.

— Donc si j’ai bien compris s’il y a un sceau manquant sur l’urne, le démon peut toujours avoir du pouvoir, même si scellé ? Et tu crois qu’il aurait un lien avec l’accident d’Amelia ?

— Je crois que oui. On devrait rechercher l’urne manquante et pas seulement le livre.

— Tu n’as rien trouvé finalement dans le sous-sol ?

Ken secoua la tête.

— Curtis m’a une fois raconté que ta mère était retournée à mon ancienne maison. Il croyait qu’elle voulait fermer le portail qui reliait notre monde de l’au-delà, mais en fait elle voulait prendre possession de l’urne et l’éloigner de la maison. Elle l’a sans doute trouvée et l’a cachée ailleurs, dit Ken.

— Je vois… tu sais quoi, revenons auprès de Zoé et Brendan, puis je verrais ce que je peux faire plus tard pour retrouver l’emplacement de cette urne, s’exclama-t-elle en se levant d’un bond.

Ken se leva lentement à son tour.

— Vas-y sans moi… Je vais partir.

Blair se retourna incrédule.

— Pourquoi ?

— C’est mieux que je reste loin d’eux, avoua-t-il d’un air maussade les mains dans les poches, en prenant déjà la direction vers la sortie de la salle d’attente.

Son amie le regarda s’éloigner les yeux ronds sachant bien qu’à ce point, rien n’allait lui faire changer d’avis. Elle le laissa alors partir à contrecœur. En le fixant, elle remarqua une silhouette floue près de Ken. En se concentrant sur la forme peu distinguée, elle reconnut finalement à qui appartenaient ces traits. Un sourire nostalgique se dessina sur le visage de Blair.

— Ah Amelia… Je savais que tu ne le quitterais jamais, pensa-t-elle mélancolique.

Blair retourna dans la chambre de Zoé. Le dossier de son lit était maintenant redressé afin de la maintenir bien assise après s’être réveillée depuis peu.

— Te voilà, fit Zoé heureuse de revoir son amie, je disais à Brendan que je pourrais retourner ce soir chez moi.

— C’est super, répondit Blair soulagée en lui souriant de façon encourageante, le perdant aussitôt qu’elle tourna les yeux vers Brendan assis à l’opposé.

Elle le fusilla du regard avec sa rancune. Cependant, il n’y prêta pas trop attention, car il se doutait bien de quoi il s’agissait. Zoé fut confuse par l’énergie hostile entre les deux.

— Mais où est Ken ? s’enquit cette dernière en balayant la pièce à sa recherche.

Ils gardèrent un instant le silence. Voyant clairement que Brendan lui cachait les détails, Zoé éclata :

— Vous allez enfin m’expliquer ce qui se passe ? Vous avez l’air d’en savoir bien plus que moi !

Brendan ouvrit enfin la bouche.

— Il ne reviendra pas à cause de moi…

— Quoi ? Mais que veux-tu dire ? questionna Zoé d’un ton laissant paraître une certaine inquiétude.

— Je lui ai dit de ne plus s’approcher de nous… car on risquait nos vies avec lui… finit-il par avouer.

— Je n’arrive pas à croire que tu as, toi aussi osé lui dire ça, grogna Blair l’air renfrogné.

— Mais c’est la vérité Blair ! On essaie d’être de bons amis. Ken m’avait lui-même prévenu de ne pas m’en mêler et ni même de développer une amitié avec lui. Je ne comprenais pas à l’époque, mais maintenant oui.

Zoé resta sans mots. Elle n’était pas sûre si elle ressentait de la frustration ou de la tristesse face au propos de Brendan.

— Tu es incroyable Brendan, projeta Blair avec amertume.

— Tu n’as pas l’air de saisir ce que je veux dire ?

— Oui je t’ai très bien compris Brendan, mais je ne vais pas l’abandonner pour autant, s’exclama Blair en se levant de sa chaise pour les quitter, choisissant de ne pas argumenter davantage.

Brendan porta son attention vers Zoé qui paraissait déprimée en voyant son amie partir contrariée.

— C’est ma faute tout ça… c’est moi qui t’ai poussée… j’étais si obstinée à vouloir aider Ken. Je pensais bien faire. Je suis désolée, marmonna-t-elle attristée.

— Non, tu n’as pas à t’excuser, tu voulais bien faire. Je tiens juste à te protéger surtout après cet incident, je ne veux plus que ça se reproduise, expliqua gentiment Brendan en tentant de la rassurer.

Elle acquiesça piteusement, mais ne sembla pas convaincue.

— Pardonne-moi, j’essaie juste de prendre les meilleures décisions, ajouta-t-il en s’assoyant sur le bord du lit pour l’étreindre avec affection.

Zoé se laissa enlacer.

— Je sais, lui dit-elle doucement en lui serrant le dos avec son bras intact, j’ai l’impression que tu fuis les gens quand tu n’as pas de contrôle sur eux. Comme tu l'as fait avec ta mère…

Elle termina sa dernière phrase avec un certain regret. Brendan s’éloigna lentement de son étreinte, mais resta silencieux.

— Je m’excuse, je n’aurais pas dû parler de ta mère comme ça, déplora Zoé.

— Non, tu as raison. J’ai longtemps pensé que ma mère allait m’éloigner de mon bonheur…

— Pourtant, c’est elle qui t’as le plus encouragé dans tes passions et qui a toujours eu une bonne écoute contrairement à ton père.

— Oui pour ces raisons-là… Mais plus tard, elle est restée dans le passé. Chaque fois que j’étais avec elle, ça devenait difficile émotionnellement. Le fait qu’elle buvait et vivait dans sa tristesse après leur divorce, je n’ai jamais su comment l’aider. J’avais l’impression qu’elle s’éloignait de la réalité et moi aussi.

— Mais contrairement à ta mère, Ken veut faire face à son passé pour aller mieux. Même si sa vie tourne autour du paranormal, fit-elle avec un léger sourire en coin, il veut être heureux et il veut affronter ses peurs.

Brendan acquiesça.

— Tu as probablement raison…

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