Professeure Nectarine
Le lendemain de son affectation à l'équipe de la terrible inspectrice Litchi, le sergent Laitue fit un effort pour se lever tôt et régla son réveil pour qu'il sonne à 10h pile. Malheureusement, la vie de ce petit objet innocent s'acheva lorsqu'il fut violemment projeté sur le mur alors qu'il n'accomplissait que son devoir. Laitue n'émergea donc qu'une bonne heure plus tard.
Assise dans son bureau de la Police Criminelle Terrestre, l'inspectrice attendait en rongeant son frein. Elle avait retrouvé son passe-temps datant de sa dernière enquête avec le sergent Laitue, et ruminait les noms d'oiseaux toujours plus créatifs dont elle allait pouvoir le traiter, en plus de chercher des moyens de le forcer à venir à l'heure au travail. Elle fut interrompue dans sa profonde réflexion par le voyant bleu qui s'alluma sur son bureau pour lui annoncer que son subordonné était bien entré dans les bâtiments et avait validé son pass. Litchi prit donc une pose sévère en attendant qu'il pose les pieds dans son bureau. Quelques secondes plus tard, la porte s'ouvrit et Laitue apparut, essoufflé et le dossier confié sous le bras.
— Bien le bonjour, Laitue. Dis-moi, quelle heure as-tu sur ta montre ? Il semblerait que je doive régler la mienne sur l'heure de Rio pour ne pas arriver trop en avance...
Elle avait réfléchi à cette punchline toute la matinée et était très fière de pouvoir enfin la sortir. Sans laisser le temps à Laitue d'ouvrir la bouche, elle enchaîna.
— As-tu trouvé des indices qui t'ont interpellé dans le dossier de l'enquête ?
— Oui, en effet, particulièrement le mode d'exécution de Banana Split... improvisa Laitue, professionnel du baratinage.
— Dame Blanche, le corrigea Litchi. Malheureusement, tu ne risquais pas d'apprendre quoi que ce soit dans ce dossier puisqu'il ne contenait rien par rapport à l'enquête.
— Quoi ? Mais qu'est-ce qu'il y a dedans alors ? interrogea Laitue en ouvrant le dossier, ahuri.
— Lâche ça immédiatement, l'avertit sa supérieure. Ce qu'il contient ne te regarde pas. Je te l'avais confié pour confirmer mes doutes uniquement, à savoir que je ne peux pas compter sur toi pour faire avancer cette enquête. À présent, rends-moi ce dossier.
Laitue s'exécuta à contre-cœur et le lui donna en prenant soin de lui écraser la main au passage ; il avait eu le temps d'entrevoir le contenu de la chemise secrète, des feuilles typographiées en Times New Roman 12 interligne 1,5. Il en déduisit que Litchi lui cachait quelque chose d'important et qu'il devait trouver ce dont il s'agissait.
— Bien, peu importe, reprit l'inspectrice Litchi en frottant sa main endolorie. J'ai pu de mon côté étudier les premiers éléments de l'enquête, et quelque chose à éveillé mon attention : la Dame Blanche laisse toujours des messages à côté des corps de ses victimes, écrits sur des papiers noirs avec un crayon de couleur blanc, manifestement.
— Quelle étrange technique, observa Laitue.
— En effet, on dirait une pratique occulte sinistre... Cette piste pourrait nous mener vers des sectes sataniques pratiquant des sacrifices humains, mais aucun pentagramme n'a été identifié, seulement des hexagones réguliers. Non, ces messages cachent autre chose. J'ai d'abord songé à analyser leur contenu, et pour cela, j'ai fait appel à la professeure J. Nectarine, une criminologue parmi les plus compétentes. Elle saura nous aiguiller.
Litchi décrocha son combiné et composa un numéro sur le téléphone à fil et cadran, malgré la désuétude de ce type d'appareil.
— Allô ? Professeure Nectarine ? C'est moi, Litchi. On a besoin de vous, pouvez-vous venir aussi rapidement que possible ?
Elle raccrocha sans attendre la réponse et croisa les bras.
— La spécialiste est en route, affirma-t-elle à son collègue perplexe.
Quelques secondes plus tard, on toqua à la porte.
— Entrez ! invita l'inspectrice. Ah, c'est vous ! Vous avez fait vite !
— Je travaille dans le bureau d'à côté, expliqua la nouvelle arrivante.
Laitue détailla la professeure Nectarine : elle lui rappelait désagréablement Litchi, notamment par la couleur de ses cheveux... Mais autant l'inspectrice préférait les tailleurs qui lui donnaient l'air sérieux et professionnel, autant la criminologue était dans l'exubérance et le relâchement, avec son chemisier fleuri et son jean troué.
Sans plus attendre, Nectarine se dirigea vers le bureau de Litchi et étala le fruit de ses recherches sur la surface plane.
— Voilà ce que j'ai trouvé en étudiant votre dossier, annonça-t-elle. Tout d'abord, la Dame Blanche doit être une femme.
— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? demanda l'inspectrice. Bien sûr, c'était l'intuition que j'avais, mais je ne voyais pas de preuve...
— L'écriture plus ronde et régulière des messages, justifia Nectarine en montrant les papiers. Statistiquement, une écriture telle que celle-ci à 95% de chances d'appartenir à une femme. Il y a ça et puis le fait que des tampons usagés aient été retrouvés dans les poubelles des victimes, toutes des femmes ménopausées et vivant seules.
— Hm, je vois... Autre chose ?
La criminologue saisit un papier noir plié en douze et l'ouvrit, révélant son message.
— J'ai tenté d'analyser la teneur des messages, mais en vain. Ils ont été rédigés dans une langue étrange qui m'est inconnue. Même Google Trad n'a pas été d'une grande aide. Mais je demeure persuadée que si nous parvenons à les déchiffrer, nous comprendrons beaucoup de choses au sujet de la Dame Blanche.
L'inspectrice fronça les sourcils et acquiesça.
— Oui, je m'étais fait la même réflexion en lisant ces messages...
— Vous avez essayé de les lire en les faisant se refléter dans un miroir ? intervint Laitue.
— Non, reconnut Nectarine, ça pourrait être une...
— ... Une idée complètement stupide, la coupa Litchi. Excusez mon collègue, professeure, il manque encore d'expérience. Nous restons donc bloquées sur cette énigme...
Un sourire se dessina sur le visage de Nectarine.
— Je connais quelqu'un qui pourrait peut-être nous aider...
— Qui est-ce ? releva Litchi en haussant un sourcil.
— Une des mes amies, spécialiste des langues. Elle s'appelle Sardine et est en M1 de paléontologie avec mineure langues du monde.
L'inspectrice se mordit la lèvre, pesant le pour et le contre.
— Hm, normalement nous ne devrions pas mêler des civils à cette enquête... Mais je ne vous pas d'autre solution. Professeure, pouvez-vous la contacter et lui exposer la situation ? Elle a forcément dû entendre parler de la vague de meurtres dans la ville...
Nectarine hocha la tête et sortit son portable. La sonnerie retentit dans le vide cinq ou six fois, puis la voix de son interlocutrice se fit entendre.
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