2. Anéantissement

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« Réveille-toi…vite ! »

Je lève mes yeux gonflés de sommeil et aperçoit mon père dans la pénombre de ma chambre. Il a l’air bouleversé. Ma mère se tient dans l’encadrement de la porte, encore en robe de chambre. Elle sanglote.

Je regarde mon radioréveil, il affiche 5h02… Je peine à me lever, mon père me chuchote de descendre dans la cuisine les rejoindre et s’éloigne à pas vif, suivi par ma mère toujours en sanglots.

J’enfile mon jean et un polo, chausse mes baskets et descend.

La radio émet des grésillements et mon père tente de la régler.

Enfin l’on entend une voix nasillarde et hachée et ce que j’entends me glace de terreur.

« Nous avons encore très peu d’informations, mais selon nos sources plusieurs immeubles de la capitale ont étés soufflés par des explosions terribles, et … attendez je reçois une nouvelle dépêche… oh !! on m’annonce que des tirs d’armes automatiques résonnent dans plusieurs quartiers de Paris ; c’est sûrement une attaque terroriste de grande ampleur »

Nous nous regardons, terrifiés. Forcément les attentats de 2001 aux Etats-Unis et plus proche les attentats de Paris en 2015 ressurgissent de façon brutale dans nos esprits.

La tête me tourne je dois m’asseoir. Mes parents se tiennent la main, ils sont choqués tout comme moi.

Soudain un fracas terrible dans l’air. Un bruit assourdissant nous plonge à terre, la maison se met à vibrer, les cadres accrochés aux murs tombent, la lumière finit par s’éteindre dans une apothéose sinistre.

Nous ouvrons les volets, le ciel est rouge de flammes, au loin on aperçoit deux immeubles que nous connaissons bien, ce sont les tours Kipling du quartier des Lilas.

Elles sont en flammes, l’on entend au lointain des hurlements puis des sirènes.

Nous sortons dans la cour. D’autres explosions surviennent, nous obligeant à nous jeter par terre. Une vue à 360° nous révèle que l’apocalypse est bien là. Tout autour plus ou moins loin de notre lotissement des immeubles brûlent, donnant à l’aube une lueur vive et cruelle.

La panique s’empare de nous. Les voisins aussi sont dehors, certains nus comme des vers, d’autres déjà prêts à fuir, tous choqués et horrifiés.

L’incompréhension est totale. Paris est à 40 kms, et pourtant même la banlieue brûle.

Un voisin s’approche de mon père. Ses yeux sont hagards. Il lance dans un cri étouffé de peur :

« Mais que se passe t’il bon Dieu !! encore des djihadistes ?!! Comment ont-ils pu faire autant de dégâts à autant d’endroits ??!! »

Mon père lui répond aussi sec :

« Tu as des infos ? d’autres villes sont touchées ? »

« C’est partout comme ça en France » rétorque le voisin. Il poursuit :

« Je viens d’appeler mon frère à Bordeaux, tout le centre-ville est en feu ! »

Je deviens blême. J’ai peur…terriblement peur.

Nous rentrons dans la maison, certains voisins nous suivent. Mon père décide autoritairement que le sous-sol sera plus protecteur et nous descendons l’escalier qui y mène.

Il me surprend par son courage. Il demande à ma mère de se faire aider et d’y amener provisions et eau, lui-même se met à calfeutrer les soupiraux qui donnent de l’air à la limite du jardin, bientôt aidés par notre voisin et d’autres venus en soutien à la vue de notre organisation militaire.

Tout le monde se tait, les choses se passent dans un silence de mort, fait de chuchotements, de querelles silencieuses et de regards complémentaires.

Une heure se passe, nous sommes une trentaine désormais. Des voisins ont amenés des matelas, de l’eau, des biscuits, des lampes, des bougies. Chacun a tenté de se créer un univers dans ce qui nous semble un endroit protecteur pour survivre.

Nous sommes sous terre, seule la porte en bois qui mène à l’allée supérieure reste un point sensible d’effraction. Nous la barricadons tant bien que mal, laissant pour unique échappatoire le 4X4 de mon père pour nous permettre de fuir si la situation l’exigeait.

Tout le monde a peur, elle se lit sur les visages. Les enfants sont terrifiés, les mères en sanglots, les pères tiennent à garder un quota de sang-froid mais on lit l’incompréhension de leur vie soudain menacée par on ne sait quoi…

Depuis bientôt 1h plus de radio, même le téléphone ne répond plus, seules les flammes lointaines continuent de maintenir un halo de lumière.

Le jour est là, on décide d’ouvrir les soupiraux pour laisser entrer air et lumière. Personne ne veut sortir pour aller constater les dégâts…on attend les sirènes, la police, les interphones appelant la population à se rassembler… mais rien.

Le silence, quelques explosions de bouteilles de gaz cédant sous la pression des degrés, mais nul cri, nul bruit de portière, nul coup de sifflet, un silence anxiogène et terrifiant.

Je ne tiens plus en place. Tout le monde est assis, certains essaient de dormir, d’autres tiennent des conciliabules inaudibles.

Je m’approche de mon père, qui tient ma mère extenuée dans ses bras, et lui dit :

« Ecoute papa, le jour est levé, je vais aller dehors. Je dois voir ce qui se passe, essayer de trouver du secours, tenter de comprendre ce qui est arrivé… »

Il me fait un triste sourire.

« Sois prudent et reviens vite, tu devrais pouvoir guider les secours, et nous sortir tous de cette terreur »

Il ajoute « Fais attention je ne veux pas te perdre »

Je mets mon blouson et remonte l’escalier qui donne dans la maison.

J’ouvre la porte. Je sors. Me redresse… la maison a l’air solide, les murs sont encore là, le toit aussi. Je me rassure, me motive.

Lorsque j’atteins la porte d’entrée je sens un danger et m’accroupis pour l’ouvrir.

J’entends « Pschitt Pschitt » et le bois de celle-ci vole en éclats…on me tire dessus !

Je ne comprends plus rien, m’enfuit à quatre pattes jusqu’à la salle à manger.

Qui peut donc bien me tirer dessus avec un silencieux ? nous sommes en banlieue parisienne bordel ! qui viendrait ici pour faire un génocide ??!!

Pas le temps de réfléchir. Je me trouve un courage soudain à comprendre, enfin à tenter de comprendre l’ignominie qui nous tient en otage.

Je sors par la porte vitrée de la salle à manger et cours me jeter dans la haie de thuyas qui borde la maison. Je remonte sous les arbres la clôture, griffé et brûlé par les branches. J’arrive à la hauteur de la porte d’entrée et me met à observer les alentours.

Qui a bien pu tirer ? et d’où ? et pourquoi avec un silencieux ? et pourquoi notre maison ?

Ce que je vois me terrifie. Les maisons du lotissement sont là, debout mais en bien mauvais état. Le sol est parsemé d’éclats de verre, les voitures sont abandonnées, et des corps jonchent le sol.

Je vois quelque chose bouger près d’une voiture. C’est une femme, je la reconnais, c’est une nourrice qui a toujours habité le lotissement. Je voudrais attirer son attention mais elle ne me voit pas et soudainement, rassemblant son courage elle se redresse pour courir vers un muret protecteur.

J’entends sourdement « Pschitt Pschitt » et je vois une gerbe de sang sortir de sa gorge, elle s’effondre sur le sol tel un pantin désarticulé.

J’ai vu instinctivement une petite flamme, très légère, sortir d’une fenêtre. Je crois bien avoir localisé le tireur.

Je constate alors avec froideur et sans aucune gêne que je veux trouver ce tueur et lui faire la peau, lui qui a lâchement assassiné une femme que je connaissais et que tout le monde aimait.

Je ne ressens que vide en moi. Je veux juste trouver le moyen de m’approcher de cette cible, de la contourner, puis de la terrasser !

Comment faire. D’où je suis-je je reste une cible facile. Si je sors des thuyas je me retrouverais devant la porte d’entrée, donc dans la même situation que lors de ma première tentative.

Je réalise alors que mon instinct m’a vraiment aidé tout à l’heure. J’ai senti comme un danger et cela m’a sauvé la vie. Je dois suivre cet instinct.

A cet instant je me sens fort. Comme un GI commando qui ne transpire jamais, qui sait tout faire. Je souris intérieurement. Calme-toi !! T’est qu’un gosse de 16 ans, tu ne sais même pas ce qu’est la vie, l’Amour…alors reste sur terre.

Je décide de rebrousser chemin, toujours sous la protection de la haie.

Une fois derrière la maison je cours de l’autre côté du jardin.

Je franchis la clôture et me retrouve chez le voisin. Je longe son pavillon, sur le qui-vive, et me blottis dans son massif de fougères.

Je m’y sens bien. Je me sens au chaud et indétectable. Je me retrouve de biais par rapport à ma maison, et je peux observer la rue et la maison supposée dans laquelle le sniper se terre.

L’angoisse monte car je ne sais pas quoi faire. Avancer en rampant ? je serais vite détecté…Et puis un sniper aime changer de position. Peut-être qu’il l’a fait et qu’il est ailleurs, me lorgnant déjà dans sa lunette…

Je ne comprends plus rien. Tout est sujet à questionnements…mais où sont tous les habitants du quartier ? de la ville ? pourquoi je n’entends pas de sirènes ? pourquoi les gens ne crient-ils pas ? Ce ne sont pas quelques dizaines de terroristes qui tiennent la ville tout de même ?

Il n’y a pas un bruit, tout est silence. Le soleil est là, les flammes descendent d’intensité, la vie a l’air d’avoir fait ses bagages pour aller voir ailleurs.

Je tente de me rassurer. Après tout rien que dans mon garage une trentaine de personnes sont en vie, et attendent sûrement mon retour pour se sentir mieux.

C’est sûrement la même situation dans plein de maisons… les gens sont terrés et attendent un signal

Et alors ? je vais les laisser sortir et tomber un à un sous les balles de ce sniper fou ?

NON ! mon courage me revient. Je dois agir.

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