4. Vie de merde
Nous sommes prêts à sortir dans la rue. Moi en premier, puis Elsa et Victor qui ferme la progression.
Avant de partir nous avons épuisés nos dernières provisions. Un peu de viande séchée, des biscuits secs, le reste d’une gourde d’eau à trois.
Je pousse la porte lentement, et prend le temps de regarder attentivement chaque fenêtre et chaque carcasse de voiture. Puis je regarde le ciel à la recherche d’un drone espion.
Tout a l’air calme, juste un léger vent qui traverse les rues, soulevant poussière et détritus.
Je sors, me redresse et mes compagnons me suivent. Nous marchons espacés de 2 à 3 mètres, chaque pas doit nous permettre de nous mettre en sécurité si un danger survient.
Nous rejoignons un angle de rue, un boulevard s’étire devant nous.
La vision est comme dans toutes les villes que j’ai pu traverser, cauchemardesque.
Aucun immeuble n’a été épargné, des gravats partout sur les trottoirs et les voies, des voitures accidentées et bien souvent calcinées, témoins de la tentative de fuite des habitants, du chaos qui a frappé le pays trois ans plus tôt.
Seuls les corps innombrables qui jonchaient les rues ont disparu. Emportés par ces mystérieux convois qui déboulaient soudainement dans les artères et déversaient des commandos venus achever les mourants et embarquer les morts.
Toujours ce même blason, toujours cette même tenue.
Je sais qui ils sont. Je l’ai appris dès la première semaine de l’anéantissement.
Maintenant il faut les fuir ou les tuer. Il ne faut compter aucune pitié de leur part.
Je me suis juré de remonter à leur source, de détruire leur commandement.
Pour cela il faut des hommes, des résistants. J’en ai trouvé des dizaines au début de l’anéantissement mais trop jeunes ou trop vieux, voulant en découdre sans prendre de risques, ou au contraire prenant des initiatives inutiles qui les ont conduits directement à la mort. J’en ai perdu beaucoup et aujourd’hui seul Victor et Elsa me suivent fidèlement et sont des éléments forts, propre à suivre mon instinct et aptes à tuer sans précipitation.
Je sais qu’il reste d’autres survivants, des caches, des villages secrets, des villes souterraines, des bastions fortifiés.
Mais ce sont des gens terrorisés, dès qu’ils sont repérés ils sont détruits, alors je ne peux pas les forcer à se battre, à me suivre.
Ma jeunesse les fait douter, et puis je n’ai pas de plan, je n’ai pas d’armes ni de moyens.
J’avance, je cherche, je dois trouver des indices pour isoler ma cible et pour réussir à fédérer les gens.
C’est la raison de notre venue à Bordeaux. C’est une grande ville, susceptible de loger un nouveau pouvoir, susceptible d’être la base des FIEXD.
J’avais d’abord, forcément, pensé à Paris.
Mais cela était tout simplement impossible. Paris n’est plus. Anéantie totalement.
La capitale de la France ; l’Elysée, le Sénat, l’Assemblée Nationale, tous les grands ministères, en somme toutes les instances de la République ont disparues sous des tonnes de gravats.
Tout se devait d’être totalement rasé par les traîtres.
Alors je me suis dit que - comme lors du gouvernement de Vichy pendant la seconde guerre mondiale - les comploteurs avaient dû se choisir une nouvelle capitale.
Je stoppe, m’accroupis. Je serre contre moi mon fusil d’assaut. Il me rassure mais le chargeur est quasi-vide.
J’entends des chuchotements à l’angle de la rue.
Victor et Elsa ont adopté automatiquement ma posture.
Nous décidons sur un seul regard de rentrer dans un immeuble. La plupart d’entre eux communiquent via les murs effondrés. Nous n’avons pas longtemps à progresser. Les chuchotements sont plus près, plus audibles.
Nous observons un homme et son jeune fils. Ils sont recouverts de poussière, habillés de guenilles. Le père ordonne à son fils de traverser la rue. En face l’on distingue un supermarché de petite taille. Je comprends. Ils ont faim.
Mais l’enfant ne veut pas y aller. Il a peur. Il sanglote.
Son père le supplie, il le prend dans ses bras, caresse ses cheveux, le calme revient l’enfant s’abandonne et ses sanglots cessent.
J’ai envie de vomir. Je suis si désolé pour eux. Nous n’avons rien à leur donner. Aucun vivre. De toute façon même avec un don cela ne leur suffirait pas, le père nous attaquerait, tenterait de nous tuer pour récupérer nos armes, nos effets.
Les survivants des villes sont pires que ceux des campagnes, ils sont devenus fous.
Je ne veux pas devoir tuer un civil, encore moins laisser ensuite son fils seul abandonné.
Je fais signe de reprendre la progression. Nous décidons d’avancer d’immeuble en immeuble, nous garantissant une sécurité relative.
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