6. Recrue inattendue

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Nous décidons de faire une pause. Le parcours dans les immeubles est très physique, il faut parfois monter dans les étages pour passer dans un autre immeuble, parfois au bout d’une longue progression il faut faire demi-tour car les décombres empêchent de passer, ou encore la structure paraît trop fragile pour continuer.

Je pose mon arme, sors la carte du sac à dos qui ne me quitte plus et qui contient toute ma vie. Je tombe sur une photo de mes parents et moi, prise l’été précédent l’anéantissement. Nous sommes dans le jardin, heureux, réunis autour d’un barbecue comme mon père aimait à les faire. Je caresse doucement l’image, puis la remet soigneusement à sa place.

Mon sac contient aussi une petite trousse de soins, constituée avant mon départ grâce à la pharmacie de la salle de bains.

Le reste du contenu m’a paru indispensable. Un couteau, une gourde, une casquette, des lunettes de soleil, une boussole et enfin une polaire pour la nuit.

Le couteau c’est celui de mon père. Un couteau suisse sur lequel je louchais étant gosse, pour moi c’était formidable d’avoir autant de fonctions sur un seul outil.

Je retourne à ma carte, la déplie. J’essaie de me situer, pas facile avec tous ces détours. Je décide de jeter un œil par une fenêtre pour voir si je ne peux pas identifier un monument, lire un nom d’avenue…

C’est alors que je vois dans la rue le père rencontré tout à l’heure. Son fils le suit à une bonne distance, il semble pleurer.

Victor est à mes côtés, Elsa reste assise, elle fouille son sac à dos à la recherche d’une barre de céréales qui aurait pu lui échapper, sait-on jamais…Elle a terriblement faim.

« Il est fou de marcher ainsi sans précaution » me chuchote-t’-il.

De fait il a raison. J’aperçois au loin un objet noir dans le ciel qui se rapproche silencieusement. Un drone…

Il a dû déclencher un capteur de mouvement ou de chaleur en progressant sans vérifier chaque coin de rue, chaque angle.

Les hommes du FIEXD ont très vite jugés chronophages de traquer les survivants, et ont installés un maillage de détecteurs et de pièges pour éviter les déplacements.

C’est mauvais signe ce drone. Il va envoyer des images et sous peu des hommes vont débouler pour mettre fin à ce déambulage urbain.

Le survivant sera pris en photo, leur ordinateur donnera un verdict, annonçant l’enlèvement ou la mort.

L’homme lève la tête, il a entendu le sifflement du drone. Il se met à hurler :

« Allez au diable ! je vais vous détruire ! Sales enfants de putain !! »

Sur ce il ramasse des cailloux et les lance un par un vers le drone, sans aucune chance de l’atteindre celui-ci modifiant automatiquement son altitude pour se mettre hors de portée.

« Il est foutu » me dit Victor en me prenant le bras.

« Il faut dégager de suite, les FIEXD vont fouiller les environs et nous trouver »

« Oui barrons-nous » renchérit Elsa, le sac déjà sur son dos.

Je réfléchis. On a plus de munitions ou si peu, on a plus d’eau, on a plus de bouffe.

Si le drone fait bien son rapport les FIEXD vont envoyer une patrouille. Trois hommes surarmés, avec de l’eau et quelques vivres de sécurité. De quoi être plus serein quelques jours.

« Allez-y ! je vais vous rejoindre plus tard »

Ils ne discutent pas. C’est ce que j’aime chez eux, et c’est un atout pour notre sécurité. Ne pas perdre de temps à discuter, faire confiance. Ils se doutent de ce que je mijote, et si j’avais dit à Victor de rester et à Elsa de partir ils auraient obéi. Mon instinct et mes coups de force réussis auparavant me donnent un crédit illimité.

Je montre un endroit sur la carte. Je leur demande de sécuriser les lieux, c’est dans le vieux centre, une librairie juste à côté d’une église facilement repérable, sa pointe bien que bancale pointe toujours vers le ciel, semblant défier la pesanteur.

Ils partent aussitôt.

Je retourne à mon point d’observation. L’homme s’est installé sur le capot d’une voiture, il parle tout seul, hagard et fou.

Je ne vois plus son fils. Il a eu la bonne idée de se cacher ou peut-être est-il parti chercher d’autres survivants pour tenter de raisonner son père.

Cette option ne me plaît pas. Les FIEXD sont réactifs, ils enverront plus d’hommes s’- ils détectent des mouvements supplémentaires…

Je compte les cartouches qu’ils me restent…six…je vais privilégier le couteau que je porte à la ceinture. Je dispose aussi de deux couteaux de lancer, accrochés à mes chevilles. Ils ne sont mortels que sur la peau nue, leur terrain de prédilection reste la gorge mais ils doivent être lancés avec vitesse et précision, sur des cibles à courte distance.

Je redescends les quelques étages et me tapit derrière la porte de l’immeuble.

L’homme est à une vingtaine de mètres. Il semble se calmer et appelle son fils.

« Louis, Louis…Viens mon fils !!! »

Soudain un homme passe juste devant la porte ou je suis caché…Pffft je me suis laissé surprendre je ne l’ai pas du tout entendu arriver.

Faut dire qu’avec le survivant qui braille…pas évident de se concentrer.

Comme prévu ils sont trois. Un autre homme passe, puis un troisième moins discret que j’entends arriver avant même qu’il n’ait dépassé la porte.

Je vais commencer par lui. A peine passe t’il devant l’entrée que je le saisis par la gorge et le tire dans l’immeuble. Il n’a pas le temps de crier je l’ai déjà tué, d’un mouvement vif sa gorge est tranchée. Il gargouille de douleur et s’éteint.

Je prends son arme. Le premier homme vient juste de tuer au pistolet le survivant. Le drone avait déjà dû prendre une photo, le commando venait d’appliquer la sentence.

Il se retourne vers son collègue, puis jette un œil par-dessus son épaule.

« Ou est-il encore ce con de Terry ? »

L’autre se retourne à son tour.

« Ben je sais pas… il me suivait à distance pourtant »

« Putain il fait chier, va le chercher il doit pisser quelque part »

Il ajoute « Moi je finis avec lui ». Sur ce il se penche vers le corps et enfonce sur son front un pin’s qui déclenche aussitôt une petite lumière rouge, ce qui permettra aux équipes de nettoyage de mettre à jour leur circuit de collecte des Sint.

Il se retourne pour mourir. Le premier couteau l’atteint dans l’œil, le second lui sectionne la carotide. Il s’écroule.

Le chrono a été parfait. Le temps qu’il s’agenouille pour coller son détecteur son collègue lui s’est retourné pour aller chercher Terry, s’enfonçant sur les 22 cm de mon couteau de chasse.

Je l’ai accompagné au sol et sans prendre le temps d’enlever la lame j’ai balancé coup sur coup mes deux couteaux de cheville sur le dernier.

Je suis assez fier de moi. Bon je dois continuer à m’entraîner au lancer de couteau car la précision était limite… je souris.

Je les fouille minutieusement. Je récupère dans mon sac six chargeurs, je prends aussi le pistolet de celui qui semblait être le plus gradé plus les deux fusils automatiques.

Je prends aussi leurs gourdes, et chance dans la besace du nommé Terry je trouve des barres de céréales et du chocolat.

Je scrute les environs. Le drone n’est plus là, d’ailleurs il est parti aussitôt sa photo prise. Surement d’autres clichés de malheureux à réaliser…

Je me mets en quête de leur véhicule. Bien sûr je ne pourrais pas le prendre, le démarrage est codé et il est indiqué au chauffeur seulement lors du départ en patrouille. Une clé ça se vole, un code plus difficilement sur des gens prêts à mourir pour leur idéologie de crétins.

Je trouve facilement leur petit blindé léger. Il est ouvert. A l’intérieur bonne surprise je trouve encore quatre chargeurs et six grenades dont deux fumigènes.

Je dégote aussi une paire de jumelles, pratique pour l’observation et j’ai cassé les dernières lors d’une chute récente.

Côté bouffe pas grand-chose de plus. A croire que seul Terry avait de l’appétit.

Dans la boîte à gant je trouve une fiole d’alcool. Je la laisse, puis me ravise et la prends. Je n’aime pas avoir les idées floues mais pour désinfecter une plaie cela peut servir utilement.

Allez, je dois partir. Il faut que je rejoigne mes amis.

Je me retourne et me trouve nez à nez avec le gosse de tout à l’heure. Il ne pleure plus du tout et me dévisage.

« Emmène-moi »

« Non… tu es trop jeune. Retourne te cacher d’autres vont venir »

Ses yeux deviennent rouges. Il doit avoir 10-11 ans. Il semble désespéré. Il me fait de la peine. Je regarde ses grands yeux noisettes et son visage parsemé de taches de rousseur. Il est habillé comme un sac, avec des vêtements déchirés, seuls ses chaussures ont l’air d’être récentes.

« Tu marches vite avec tes chaussures ? »

Il sourit. « Oui, on les a volés la semaine dernière dans un magasin de sport. Elles sont top ! »

« Alors suis-moi, et porte ça »

Je laisse tomber une besace remplie de mon pillage et commence à avancer.

J’espère secrètement qu’il va laisser tomber devant le poids du sac, mais il me rattrape, me colle même. Il me fait chier !

Je le regarde tout en marchant. Il revit ce gosse, oh la-la je vais me faire éclater par mes compagnons d’armes…un enfant, un poids, un frein !! ce que je suis con !!

Mais il est trop tard. Je ressens même un soulagement de faire quelque chose de bien pour une fois, de ressortir l’amour qui peut rester en moi, moi qui tue bien plus souvent que de sauver. Finalement je suis presque normal, j’ai de la compassion. Je pensais que ce genre de sentiment avait totalement disparu de mon âme.

Je m’arrête pour lui expliquer le principe de la progression. Il a l’air de percuter.

Nous repartons, rapides et précis. Je me retourne cependant bien plus souvent que lorsque je sais Elsa et Victor à ma suite.

Fais chier ! je me suis déjà attaché à ce môme que je ne connais même pas.

Je sais qu’il s’appelle Louis, son père l’a assez crié.

Mais je suis égoïste…jamais il ne tiendra dans notre vie de baroudeurs, jamais il ne mangera à sa faim, jamais il ne verra ou reverra sa mère…

J’aurais dû lui demander où elle était. Peut-être que j’aurais pu lui ramener son gosse.

Il a compris mon regard vers lui et son sens. Il s’approche et me chuchote à l’oreille.

« Ma mère est morte lors de l’anéantissement, ainsi que mes deux sœurs »

Il pleure. Il a peur. Il a faim. Je fouille dans mon sac et lui tend une barre de céréales.

Il la dévore en deux secondes, me sourit la bouche pleine. J’ébouriffe ses cheveux, gêné de ne pouvoir lui donner plus.

On repart. Il a répondu à ma question, on se comprend du regard. C’est bon signe.

Je l’observe à la dérobée, il a du mal avec son énorme besace sur le dos. Ca pèse les munitions mais à chaque fois qu’il me surprend à le regarder il presse le pas et redresse la tête.

Il a peur que je l’abandonne ça crève les yeux.

Je réalise soudainement, de façon limpide, que je l’ai adopté et que personne ne lui fera du mal, que dans ces temps de mort et de souffrance je prendrais soin de cette recrue inattendue comme de la prunelle de mes yeux.

Nous rejoignons enfin la librairie. Je fais le code convenu dans toutes nos planques, m’assurant par cette action que Victor ou Elsa ne me trancheront pas la gorge à peine rentrés.

La porte s’ouvre, je rentre et fais signe à Victor de laisser ouvert.

Un petit sifflement et Louis arrive à toute vitesse et se rue à l’intérieur.

Victor le regarde, le reconnait, ne dit rien.

Il nous mène vers l’arrière-boutique. Elsa n’est pas là.

Je l’interroge. Il est gêné.

« En arrivant nous sommes passés devant une épicerie…elle a voulu y aller pour tenter de trouver de la bouffe ».

Je prends ma tête dans mes mains…que c’est dangereux…mais bon moi aussi je crève de faim, Victor aussi, le petit aussi, je comprends son expédition.

Pas le temps de réfléchir. Un code discret à la porte. Nous ouvrons et laissons passer Elsa qui a un sourire à décrocher la lune. Elle file dans l’arrière-boutique, découvre Louis assis par terre.

Je m’attends au pire.

Elle se tourne vers moi, les yeux pleins de larmes.

« J’ai trouvé un jambon !!!! » dit-elle en sortant un énorme morceau de jambon fumé de son sac.

Nous nous regardons tous les trois et éclatons de rire. Louis nous regarde, il n’ose sourire il doit nous prendre pour des fous.

J’avance mes arguments « Pour le gosse j’ai… » mais Elsa et Victor me font un signe de silence avec leur index posé sur leurs lèvres.

Ils ont compris, ils sont même contents de constater que j’ai un cœur, moi qui parait si dur en opération.

Je leur souris. Rassuré je l’avoue. Heureux de leur réaction.

Je leur fais l’inventaire de mon pillage, ils sont très satisfaits.

Nous nous répartissons les munitions, Elsa met de côté son fusil un coup récupéré dans une ferme pour prendre un fusil d’assaut. Le pistolet me revient en ma qualité de chef, les jumelles aussi.

Victor lorgne sur la fiole d’alcool. Je lui fais non de la tête. Il acquiesce.

Nous sommes là à nous féliciter de notre journée, oubliant notre nouvelle recrue, un peu à l’écart, se sentant de trop mais prêt à donner sa vie pour rester.

Elsa et Victor lui souhaitent la bienvenue, Elsa lui accorde même un petit câlin dont nous sommes instantanément un peu jaloux.

Le morceau de jambon nous fait signe, nous voulions nous jeter dessus avant toute chose mais ce met de luxe doit se savourer et nous aimons souffrir.

Enfin je sors mon couteau, je découpe de fines tranches, que nous avons peine à mastiquer pour en prendre le goût tellement nous voudrions le gober pour remplir vite nos estomacs.

Le jambon y passe, bon il n’était pas entier comme ces énormes jambons basques qui pendait au crochet du boucher de mon quartier mais depuis longtemps nous n’avions pas mangé autant.

Nous décidons de rester demain, histoire de découvrir si dans ce vieux quartier de Bordeaux il n’existerait pas d’autres boutiques de victuailles.

Sur ce chacun se couche, Victor s’endort très vite comme à son accoutumée.

Elsa s’endort contre Louis, qui s’est endormi dès la fin du repas, terrassé par la fatigue et le stress de sa journée ou il a vu son père se faire exécuter.

Moi, dans mon rôle parfait de chef, je me cale contre une étagère remplie de bouquins poussiéreux pour veiller et je replonge dans mes souvenirs…

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