Prologue (Lucile)
« Toi qui vis 2000 ans plus tard, fuis, fuis le plus loin possible. Ce monde dans lequel tu vis, détruis le, ou c'est lui qui te détruira. »
Cette voix grave mais charismatique, ces paroles résonnèrent maintes fois dans ma tête, sans pour autant me permettre d'en saisir le sens. D'où venaient-elles ? Avant de pouvoir comprendre ce qui m'arrivait, j'ouvris brusquement les yeux, me réveillant en sursaut dans mon lit douillet avant de tomber à la renverse sur le carrelage.
Les rayons du soleil filtraient à travers mon rideau débraillé d'un bleu foncé, agressant mes yeux n'y étant pas encore adaptés. Ma chambre était baignée de lumière naturelle, la rendant plus chaleureuse, accueillante. Elle se composait d'un lit simple avec à côté une table de nuit, d'un bureau en bois peint en blanc avec divers compartiments et la chaise qui allait avec, ainsi qu'une grande armoire. J'aurais dû trouver cela apaisant, mais tout ce que je retenais, c'était la douleur dans mon épaule et mon dos !
Légèrement groggy, je me frottai les yeux avec le côté de ma main pour tenter de me réveiller correctement. Cette journée, qui commençait plutôt mal d'ailleurs, était loin d'être banale vu qu'il s'agissait de mon dernier cours à l'académie de magie continentale de Midrios, ma patrie. Celle-ci accueillait des étudiants venant de n'importe quels pays de ce grand continent qu'était Urand. À l'exception d'un seul.
Enora.
Les Enoriens. Rien qu'à leur pensée, mon sang bouillonnait dans mes veines. Si la paix ne régnait pas sur ces terres, si les armées des différentes créatures magiques étaient à nos portes, c'étaient à cause d'eux. À tel point que le pouvoir en place à Midrios devait en venir à enrôler tous les jeunes dans l'armé magique à seulement seize ans pendant plus de cinq longues années ! Par leur faute, une foule d'adolescents Midrions avaient péri de la pire des manières sur le champ de bataille, tout juste diplômés de l'académie. On leur avait volé leur avenir.
Je secouai alors la tête pour sortir de mes pensées. Ces saloperies ne méritaient pas une seule seconde de mon temps. Je me préparai alors, faisant mon lit, me brossant rigoureusement les dents puis prenant une rapide douche fraîche.
Une fois que j'eus revêtu la tenue que j'avais sélectionnée, j'appliquai un peu de parfum. Je portais une robe vert pâle avec un motif floral blanc, ainsi que des chaussures adéquates pour courir à tout moment. Certes, c'était mon dernier jour de cours, mais je n'allais pas porter des talons lors d'un duel ! Ce serait de l'irrespect.
Mes longs cheveux blonds n'étaient pas attachés, bien que je gardais un élastique à mon poignet pour les nouer avant de commencer un combat. Sinon, ils me gêneraient. Mes yeux bruns étaient encadrés d'une paire de lunettes noires à monture rectangulaire qui me donne un petit air d'institutrice. Certains trouveraient cette comparaison peu flatteuse, mais c'était loin d'être mon cas.
Le corps professoral de l'académie était exemplaire. Leur ressembler serait pour moi un immense honneur qui ne me serait sûrement jamais accordé. Je n'étais même pas sûre de survivre aux cinq années passées dans l'armée magique. Les monstres puissants se multipliaient de plus en plus, si bien qu'une superpuissance comme Midrios était acculée.
Je descendis les escaliers pour aller déjeuner rapidement des tartines de beurre ou de confiture. En croisant ma mère dans le couloir menant à la cuisine, je m'inclinai respectueusement devant elle. Certes, elle m'avait dit de ne pas le faire, de la tutoyer, mais je ne voyais pas d'autres façons de témoigner tout le respect que j'avais pour elle. Ma mère était une femme exemplaire, qui avait même réussi à faire tomber l'un des généraux de l'armée d'Enora pendant son engagement. À Midrios, le respect de ses aînés était une valeur essentielle inculquée à tout un chacun depuis toujours.
Il existait trois corps d'armées. Thesmos, qui maintenait l'ordre dans tous le pays, et ses états alliés, c'était le symbole de la loi et de la discipline. Katakton, que je souhaitais rejoindre, s'occupait de conquérir de nouvelles terres prises aux légions monstrueuses ou démoniaques.
Leur technologie magique couplée à leurs puissants mages et guerriers leur permettait de ne jamais laisser passer les monstres dans le pays. Ceux-ci étaient généralement interceptés dans un état allié. Finalement, Marhe épaulait Katakton en s'occupant des offensives maritimes. Nul ne résistaient aux projectiles que délivraient leurs colosses de métal.
Ma mère avait choisi Katakton, tout comme moi. C'était d'ailleurs en partie pour cela que je souhaitais rejoindre ce corps d'armée, pour marcher dans les pas de celle que j'admirais plus que quiconque. Attablées, nous parlâmes de tout et de rien, ma mère me racontant divers anecdotes sur Katakton. Ce nom était inspiré d'une langue ancienne, aujourd'hui totalement disparue, paraissait-il.
Depuis la théorie de l'uniformité deux ans auparavant, tous les pays d'Urand, le seul continent existant, d'après les expéditions marines, parlaient le Midrien, sauf Enora, bien évidemment qui refusait de s'y plier, sans en expliquer la raison.
Ce régime politique croyait en la puissance de l'uniformité, d'où son nom. Si tout le monde était identique, alors les conflits seraient absents de ces terres. Un même dialecte, une même culture, une même histoire, les mêmes habitations, les mêmes droits et les mêmes devoirs.
Midrios avait maintes fois tenté d'engager le dialogue, sans succès. Pourtant, les faits étaient là. Tous les états alliés au mien connaissaient une ère de paix et de prospérité depuis presque deux siècles. Enora était l'élément perturbateur à cette sérénité, rien de plus. Seule une égalité parfaite garantirait une paix durable. Si seulement ce pays pouvait disparaître, tout serait réglé.
Hélas, c'était impossible. Enora possédait une force de frappe équivalente à celle de Midrios. Après tout, ces deux pays étaient jadis alliés, bien que cela semble impensable aujourd'hui. Si ma patrie tentait une quelconque offensive contre eux, les pertes humaines seraient colossales.
Je faisais confiance au gouvernement en place pour privilégier la sécurité des citoyens. Pourtant, la tension augmentait de plus en plus entre les deux ennemis de toujours, surtout avec l'évènement de la semaine dernière, lors de négociations entre les deux pays dont nul ne connaissait l'origine.
Ayant fini de déjeuner, je me mis en route pour l'académie, non sans m'incliner respectueusement devant ma mère et lui souhaiter une agréable journée. Le trajet me prit une dizaine de minutes durant lesquelles j'admirai les rues et habitations de ma ville natale, Lusilia.
Mon prénom en était inspiré. Les rues étaient parfaitement entretenues, les habitations identiques et à la peinture impeccable. Des buissons bordaient certains trottoirs, tous taillés à la même hauteur. Tout était symétrique et ordonné, comme le voulait la théorie de l'uniformité. Un lieu de vie agréable, tranquille et ordonné aidait bien évidemment au bien être des habitants.
J'arrivai finalement devant l'établissement, soit un immense bâtiment de plus de vingt mètres, aux murs beiges et inévitablement symétrique et d'une propreté impeccable. Il comptait un premier étage pour les salles de cours.
Le deuxième contenait diverses salles d'entraînement aussi bien magique que physique, et des arènes de combat. Le troisième contenait le bureau du directeur et des pièces qui m'étaient inconnues. Sûrement avaient-elles une utilité quelconque au corps professoral de l'établissement.
Après quelques minutes passées à vagabonder dans les couloirs labyrinthiques de l'académie, je retrouve Susan, mon amie de longue date. Elle aussi était bien habillée, avec une sublime robe noire. Ses courts cheveux bruns foncés étaient parfaitement lissés et ses yeux vert pomme brillaient d'excitation. Nous discutâmes avec entrain jusqu'à ce que la cloche nous sommes de nous rendre dans la grande salle de combat.
Nous y arrivâmes assez vite et il ne fallut pas longtemps avant que tous les étudiants, un peu plus de cinq cents, soient réunis ici. Jusqu'à dix sept heures, des combats auraient lieux pour désigner les futurs diplômés. Les perdants passeraient une année de plus ici.
Personnellement, cela ne me dérangerait pas. Mais je me devais de réussir pour marcher dans les pas de ma mère, cette femme forte, et de venger la mort de mon défunt père, ayant péri sous la main d'un Enorien. Les combats s'enchaînèrent dans l'arène, leur durée allant de deux minutes à une demi heure. À seize heure, ce fut mon tour.
Je montai dans l'arène en pierre avec confiance. J'avais perfectionné ma magie de l'eau et ma maîtrise de la dague avec ma mère. Je n'avais pas à rougir devant mon adversaire, un des meilleurs élèves de l'établissement, Ethan. Il possédait de courts cheveux noirs ébouriffés et se tenait avec désinvolture devant moi, me toisant de ses yeux d'obsidienne sans une once de peur, seulement de la malice. Il était sûr de sa victoire, si bien qu'il me le fit savoir assez rapidement d'une voix pleine d'assurance :
- Pas trop déprimée de passer une année de plus ici, Lucile ?
- C'est plutôt toi qui devrais t'en inquiéter, Ethan. Je vaincrais, sois en sûr.
On annonça alors le début du combat. Ni une ni deux, il embrasa son sabre et se jeta sur moi avec vivacité, tentant une attaque circulaire au niveau du ventre. Je l'esquivai de justesse, ayant vu venir son geste. C'était dans son caractère de foncer tête baissée pour en finir au plus vite.
Je répliquai avec un sort aqueux basique mais puissant. Il condensait ma magie de l'eau en un projectile aussi rapide et puissant qu'une balle de revolver. Il le reçut au niveau de la jambe. Pourtant, grâce à un sort offensif de dernière minute, les dégâts furent amoindris.
J'entourai alors ma dague d'eau et engageai un bref échange avec lui. Nos lames tintaient l'une contre l'autre avec puissance. Hélas, ses compétences d'escrime dépassant les miennes, je fus blessée et désarmée en quelques minutes, mon arme atterrissant derrière lui.
Mes plaies saignaient, bien que moins abondamment que lors de mes entraînement. Je grimaçai alors de douleur et un rictus s'étira sur mes lèvres. Je lançai alors divers sort aqueux pour l'empêcher de s'approcher de moi, en vain. Il les tranchait tous avec son sabre. Pourtant, je n'étais pas inquiète.
Alors qu'il s'apprêtait à m'achever, j'utilisai le sort secret que m'avait enseigné ma mère. La dague revint vers moi avec vivacité, taillant légèrement la joue du jeune homme qui fut paralysé. En effet, la lame avait été enchantée au préalable avec un puissant sort de poison.
Le professeur annonça la fin du combat. Je tombai alors au sol, euphorique et exténuée. J'avais gagné ! J'allais pouvoir rejoindre Katakton, marcher dans les pas de ma mère, et détruire ces saloperies d'Enoriens tout en découvrant leurs sinistres desseins. Ils payeraient, quoi qu'il m'en coûte.
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