Célestine a beau faire, elle ne se réveille pas. Pourtant, des cauchemars elle en a déjà fait et grâce à son mot magique elle a toujours réussi à sortir de là. Elle chuchote "arc-en-ciel", "arc-en-ciel"...

— Alors ! Qui t'as autorisé à faire ça ?

Pourquoi cela ne fonctionne pas ! La fillette se cache sous le drap, tremblante. Autant jouer le jeu de ce rêve.

— Je suis désolée, je ne comprends pas. De quoi parlez-vous ?

— Ne me prends pas pour un idiot, j'ai horreur de ça ! Ta chambre bien sûr ! Tu as vu ce bazar !

Sur ce dernier mot, le timbre devient aussi froid que de la glace.

— Je... Je pensais ranger demain, c'est encore le weekend.

— Demain ? hurle-t-il. Demain !

Un rire sinistre se répand dans la chambre. Célestine ressert le drap autour d'elle comme une armure protectrice. Plus elle se recroqueville, plus elle a la sensation d'étouffer. Chaque respiration demande un effort plus grand.

Quand va-t-elle, enfin, se réveiller ?

— RANGE !

— Je...

— MAINTENANT !

Célestine est paralysée. Cette voix est pire que tout ce qu'elle a connu jusque-là, on dirait un monstre sorti de l'enfer. Avant de perdre le peu d'énergie qu'elle possède encore, elle ôte d'un coup sec le drap, transpirante.

— Après, vous...

— ASSEZ ! Je ne t'ai pas demandé de parler.

La fillette a l'impression qu'elle ne pourra pas faire le moindre geste. Elle essaie malgré tout, terrorisée par les conséquences de son inaction. Par miracle, son bras bouge. Elle bouge l'autre bras et attrape à pleine main la rambarde de la mezzanine. Il suffit ensuite de tirer pour parvenir au niveau de l'échelle. Elle scrute rapidement la pièce et voit une ombre près de la porte. Elle tremble tellement qu'elle préfère se retourner pour éviter la chute. Le pied touchant le sol, une pensée la traverse soudain : Et si j'allais réveiller papa et maman ?

Puis la logique implacable : si je rêve, ça ne sert à rien et si c'est réel, le monstre m'empêchera forcément de passer. Je crois que je préfère ne pas savoir de quoi il est capable. Autant faire ce qu'il demande, de toute façon ma chambre est mieux une fois rangée.

Sa main attrape une première peluche. Une paire d'yeux marron cerclés d'un jaune étincelant l'observe. Elle agrippe un autre doudou et part les déposer sur le petit canapé.

— Mmmmh ! entend-elle grogner.

On dirait que la bête est contente quand les jouets reprennent leur place.

Plus la fillette range sa chambre, plus les yeux se parent d'un jaune doré. Les gestes de Célestine se font plus précis malgré la peur qui la tenaille tout du long. Lorsqu'elle pose le dernier livre dans sa petite bibliothèque, le monstre soupire d'aise :

— Comme c'est bon, une chambre bien rangée !

Célestine reste immobile, ne sachant que faire désormais. Soudain elle sursaute, un frisson parcourant tout son corps jusqu'à la racine de ses cheveux : la silhouette sombre a laissé place à un nuage doré qui s'évapore rapidement dans l'air.

L'enfant se pince le bras plusieurs fois, puis la joue. Elle est bien éveillée. Comment est-ce possible ? Les monstres n'existent que dans les histoires.