Puis Célestine décide de laisser tomber, ce serait dommage de le mettre de mauvaise humeur. De toute façon, il croit tout ce que papa et maman disent, même l'histoire du chat-ours que papa adore raconter.

— Le premier arrivé sur le canapé !

Le pas des enfants se transforment en bruit d'éléphant alors qu'ils dévalent à toute vitesse l'escalier pour arriver presqu'au même moment sur le sofa, haletant. Célestine qui est arrivée une fraction de seconde avant, concède :

— Ex-aequo ! Grandis pas trop vite, tu vas finir par me battre.

— Je vais manger plus de soupe ce soir !

Ils rigolent tout en allumant l'écran qui capte suffisamment l'attention de la blondinette pour oublier la peur nocturne.

La journée chargée se déroule tranquillement : dessins animés du matin, danse classique, dîner avec la famille Martinet et jeux avec leurs enfants. Juste après le dîner, Célestine part prendre son bain. Lorsqu'elle retourne poser ses affaires dans sa chambre, elle constate, effarée le bazar encore présent de leurs jeux de l'après-midi. Elle n'a pas du tout pensé à ranger.

Sa gorge se noue. Elle a chaud.

Sa mère arrive sur le pas de la porte :

— Prête à aller au lit ?

Célestine ne bouge pas, hésite un court instant avant de répondre :

— Je range et je vais au lit.

— Ça peut attendre demain, on est dimanche.

—Non, je préfère que ce soit ranger pour la nuit, répond-elle avec un sourire forcé.

— Bien, je couche Ernesto et je reviens.

— D'accord maman.

Célestine se hâte de tout remettre en place : les peluches alignées, les livres rangés, les habits pliés et déposés dans l'armoire. L'esprit apaisé, la fillette grimpe dans son lit où sa mère lui lit une courte histoire avant de lui souhaiter une bonne nuit.

Le sommeil accueille rapidement l'enfant avant qu'une voix n’emplisse la pièce :

— Comment peut-on être nulle à ce point ? Tu as déjà oublié ?

Célestine sursaute, déglutit avec peine.

— Qu'as-tu à répondre ?

Le ton est devenu encore plus agressif. Elle doit se dépêcher de parler.

— J'ai... J'ai rangé.

— Et les bougies ? Stupide gamine !

Célestine voudrait disparaître. Ne plus avoir à entendre cette voix. Ne plus sentir son ventre gronder de terreur.

Pourtant elle se force à sortir du lit, à passer près du monstre sombre qui maintient ses yeux brillants braqués sur elle. Les gestes de Célestine sont imprécis tant sa main tremble. Elle sent un souffle la pousser en arrière et la plaquer au mur. Un coup dans le menton, la mâchoire claque. Célestine n'a jamais eu aussi peur de toute sa vie. Elle voudrait pleurer mais ses yeux sont secs. Elle voudrait appeler à l'aide mais sa voix s'est envolée. Le vent s'arrête soudain et le monstre ordonne :

— Plus vite et mieux !

Les jambes s'entrechoquant, Célestine revient devant le meuble et replace chaque objet avec précision. Aussitôt, la bête disparaît. Au même moment, une larme coule le long de la joue de la fillette. Puis le torrent de sa terreur se déverse sans pouvoir l'arrêter. Elle se recroqueville et reste ainsi jusqu'à ce que ses joues la brûlent et que son pyjama soit trempé.

En zombie, elle se dirige vers la salle de bain pour se moucher et passer de l'eau sur sa peau irritée. Un mot se répète en boucle dans sa tête pendant qu'elle se nettoie : Parfaitement-Parfait. Voilà le nom du monstre qui hante sa chambre.

Ses pas la guident jusqu'à la chambre de ses parents. Elle toque puis ouvre le battant. La lumière réveille son père :

— Encore un cauchemar ? demande-t-il la voix ensommeillée.

Les mots restent bloqués? Elle hoche la tête.

— Allez, viens. Pour cette nuit.

Elle se glisse auprès de son père et trouve enfin le sommeil.

Les jours suivants, Célestine est très attentive à ce que sa chambre soit parfaitement rangée, chaque soir. Ses parents la félicitent. Tout semble rentrer dans l'ordre.

Sauf que dans la tête de la petite fille, la terreur met son cerveau en désordre. Avant de grimper dans son lit, elle repasse la liste : A-t-elle bien replacé les bougies ? Les habits sont-ils ramassés ? Les livres bien alignés ? Les peluches toujours installées dans le même ordre ?

Alors elle redescend. Mais comme à mesure que les jours passent ses parents s'impatientent, Célestine se couche tôt et attend le « bonne nuit » pour se relever et contrôler sa chambre. Tout doit être à sa place, parfaitement rangé. Tout doit être plus que parfait.