XVI. Le jeu de la vérité

11 minutes de lecture

 Plus de deux semaines s’étaient écoulées depuis que Mara avait découvert la vérité à son sujet. Le mauvais temps avait déserté l’archipel, laissant au passage quelques branches arrachées après plusieurs jours consécutifs de tempête.

Refusant de rester inactif, Caelan avait ressorti la tablette universelle cherchant sans relâche à l’interpréter. Mais cette fois, il avait décidé de ne pas se faire happer par son hypnotisme. De ce fait, il continuait à consacrer du temps à Mara, dans l’espoir de déclencher quelques souvenirs utiles.

En parallèle, Mara redoublait d’efforts pour maîtriser sa magie. Elle connaissait déjà plusieurs petites astuces et pouvait lancer plusieurs sorts. Cependant, quelles que soient la concentration et la volonté qu’elle y mettait, irrémédiablement aucun d’eux ne daignait arriver à son terme, ce qui la démoralisait jour après jour. Alors pour oublier son incapacité, elle se défoulait dans l’arène avec Tréviane ou passait du temps à étudier l’histoire de ce monde avec Béruc. Heureusement pour elle, la loge d’Ilyiée était une ressource intarissable de savoir. Ce qui lui permettait de se changer les idées.

 Puis, au début de la troisième semaine, se fut au tour de Lumia de quitter Ilyiée. Elle avait reçu un message de son père qui sollicitait de ses nouvelles. Elle ne l’avait pas revu depuis plusieurs mois déjà, et sans attendre, elle avait empaqueté ses affaires pour partir en direction de Telhua Baha.

Caelan avait fortement hésité à l’accompagner, mais le bal organisé par l’Impératrice approchait. Il n’avait d’autre choix que d’être présent et ce détour vers Eredrïn n’arrangeait pas son planning. De toute façon, c’était mieux ainsi. Le voyage de Lumia était n’avait rien d’officiel. Considéré comme congé personnel, ce déplacement permettait de préserver le secret concernant les recherches étherianes d’Erendrïn.

***

 Il fallait plusieurs jours pour rejoindre Telhua Baha. Proche voisine de Telhua Abah. Ces planètes jumelles étaient un phénomène rare à Fairlor. Et plus exceptionnels encore, les Eforis étaient apparus au même moment sur les deux planètes, évoluant chacun à leur façon. Dès lors que le voyage spatial fut possible, les deux ethnies avaient fini par se rencontrer en cher et os. Cependant, même s’ils partageaient des gènes analogues, les deux peuples avaient développé une culture bien différente qui restreignait la mixité.

Arrivée à l’orée des planètes jumelles, Lumia les contempla avec appréhension. Sur Telhua Abah se trouvait la famille de sa mère monternite et sur Telhua Baha celle de son père edernite. Elle était née sur Telhua Abah, mais avait grandi sur Telhua Baha. Elle avait donc un contact plus intime avec la seconde planète.

Après avoir atterri au spatioport, Lumia abandonna son Rasvine pour rejoindre la cité d’Erendrïn. Cette dernière se dressait sur les flancs d’une montagne, au milieu d’une forêt. C’était une petite ville à la fois majestueuse et modeste. Très ancienne, elle semblait figée dans le temps. Bien qu’Erendrïn était la localité où se concentraient le plus d’Eforis métis : les Sylvernites, Lumia n’avait jamais réussi à s’épanouir autant qu’elle ne l’aurait voulu. Par moment, elle accusait l’absence de sa mère disparue lorsqu’elle était jeune adolescente, mais la vérité c’est qu’elle était faite pour voyager. Avec son père, ils avaient mainte fois déménagé, tantôt au-delà de Telhua Baha. Cependant Erendrïn était le seul endroit qu’elle considérait comme sa maison.

Lorsqu’elle fit les premiers pas dans le centre de la petite cité, son irruption fut remarquée. Tout le monde connaissait Lumia Doriël, fille d’Irin Doriël, Ambassadeur de l’Égis, devenue Agente venorie. Ne prêtant pas gage aux regards, Lumia continua son avancée dans les ruelles sinueuses où de pittoresques maisons de bois et de roches se dressaient avec charme. Toutes les demeures étaient décorées avec de délicates arabesques formant un ensemble harmonieux.

Escaladant des marches de pierre à hauteur variable, Lumia finit par arriver juste devant la résidence de son paternel. C’était une grande demeure de deux étages située à l’orée de la forêt. Derrière le mur se cachait un vaste jardin entretenu avec minutie. Le père de Lumia était féru de botanique et durant son temps libre, il se plaisait à cultiver des graines venues d’ici et d’ailleurs, en prenant soin de ne pas laisser la flore exotique se répandre hors de ses serres.

Lumia s’arrêta devant la porte-archée et finement taillée à la main. Les rayons du soleil perçaient le ciel, illuminant les dorures de l’encadrement. Dès à présent, Lumia allait devoir endosser le rôle de fille. Même si mentalement, elle se savait qu’elle n’était pas là pour se faire sermonner son manque de contact avec les siens, c’était inévitable. Son père pouvait parfois être traditionaliste. Elle prit une profonde inspiration et entra.

***

 Deux jours avant le bal, le Commandant Kane et l’équipage avaient établi leur quartier à bord du Lyria en direction d’Alkian. Pendant le voyage, Mara continua à suivre ses suivre ses leçons auprès de Caelan qui remplaçait Lumia. De ce fait, la jeune femme avait retrouvé la salle spéciale où elle avait fait ses premiers essais. Depuis, il y avait à la fois si peu et beaucoup de chose qui avait changé. Certes, elle était moins novice, connaissait désormais quelques parades à l’épée et pouvait prétendre manipuler la magie sous sa forme la plus élémentaire. Mais à vrai dire, puisque ses sorts étaient toujours inaboutis et que sa mémoire lui faisait défaut, Mara était persuadée de ne pas avoir évoluer. Et puis, même si elle s’était rapprochée de Lumia, Tréviane, Béruc et Caelan, le tourment de la révélation étheriane planait sous ses épaules et assombrissait cet étrange tableau.

Lorsque Mara rejoint la salle d’entraînement, le jeune officier l’attendait déjà. Plus muet que d’habitude, en un mot, il l’invita à commencer tout en restant assis derrière une table au fond de la pièce. Mara essayait de contrôler ses pouvoirs. Elle y parvenait mieux, beaucoup mieux, mais encore et toujours, cela se terminait en queue de poisson.

Elle décida alors de créer une sphère d’énergie, une manipulation magique qu’elle n’arrivait jamais à maintenir longtemps : elle n’apparaissait pas plus large qu’une balle de tennis et disparaissait. Mais cette fois-ci pour une raison inconnue, la sphère prit de l’amplitude devant les yeux ébahis de Mara. Émerveillée par sa prestation, des gouttes coulaient le long de ses tempes et sa gorge était sèche. Il faut dire que la magie qu’elle mobilisait en cet instant demandait une grande concentration de sa part.

Tout à coup, la boule rougeâtre grésilla et un projectile vint se fracasser sur une rangée d’épées d’entraînement disposées au fond de la pièce. Se rendant compte de son moment d’absence, Caelan recracha le contenu de son verre, s’étouffant presque et se leva d’un bon.

 — Grand Lokma !! Détendez vous, Mara. Résorbez l’énergie que vous avez créée en la récupérant. Vous êtes en train de vous épuiser.

 — Je n’arrive pas ! Je n’arrive pas à la contenir, s’égosilla-t-elle voyant que sa création avait pris une ampleur inattendue.

Désormais trois fois plus grande qu’elle, Mara avait perdu le contrôle de sa sphère tandis que le feu magique qui s’en était échappé continuait à consumer les épées.

Face au danger, Caelan fut contraint d’intervenir : quelques secondes plus tard, une trombe d’eau s’abattu sur les flammes, tandis qu’il siphonnait la boule d’énergie du bout de ses doigts.

 — Que s’est-il passé ? s’écria Mara paniquée.

 — C’est ma faute ! déclara Caelan une fois la magie résorbée. J’avais la tête ailleurs.

Il secouait sa main devenue brûlante.

 — Non, c’est moi qui ai mal contrôler ma magie où je ne sais quoi ! insista Mara essuyant la sueur sur son visage.

 — On a eu chaud, c’est le moins que l’on puisse dire !

 — Mais attendez… Comment avez-vous fait ? s’exclama-t-elle réalisant que Caelan avait contenu l’incident.

 — Les venoris ont l’habilité d’absorber l’énergie magique, souvenez-vous, éluda Caelan en vérifiant que le feu était bien éteint.

 — Mais… vous n’avez pas sorti votre épée. Et l’eau d’où provient-elle ?

Caelan soupira, légèrement contrarié. Devant le fait accompli, il ne pouvait pas se dérober. Et puis tant pis, se dit-il. Après tout, il était temps que Mara sache.

 — Savez-vous que la magie laisse une trace lorsqu’elle est utilisée ? (Mara fit non de la tête). Les astroms et les Venoris sont capables de détecter cette trace.

Mara ne bougea pas, dans l’expectation d’une réponse moins évasive.

 — Étant donné le danger qui guette, il devient essentiel que l’on comprenne pourquoi vous n’êtes pas capable de détecter ce signal d’alerte ! reprit Caelan.

 — Je n’ai peut-être pas encore réussi à maîtriser ce talent ! Comment pouvez vous êtes certain que je ne ressens rien ? balbutia Mara un brin dépité.

Personne ne lui avait appris comment faire.

Caelan se rapprocha de la jeune femme, son regard pointé sur elle. Il semblait si pesant qu’elle se sentit minuscule.

 — Mara, si vous aviez cette sensibilité, vous auriez compris depuis le départ que je ne suis pas qu’un simple Venori ! Il n’y a qu’un astrom qui peut enseigner à un astrom, ne serait-ce que pour…, révéla Caelan en pointant du regard les épées calcinées.

Mara dégluti, incrédule. Elle n’était pas certaine d’avoir bien entendu.

 — Mais… je ne vous ai jamais vu utiliser votre magie !! argua Mara en observant les dégâts qu’elle avait provoqués.

Elle comprit alors que n’était pas la première fois que Caelan contenait ses débordements et cela la laissa encore plus sans voix.

 — Si c’est vrai, pourquoi m’avouer ça maintenant ? Pourquoi vous cachez-vous ? bégaya-t-elle.

Caelan soupira et baissa le regard.

 — Il y a plusieurs raisons à cela…, entama-t-il d’une voix à peine audible.

 — Vous ne me faisiez pas suffisamment confiance ? Mais qu’est-ce que ça change ?? gronda Mara sans laisser Caelan terminer.

Se rendant compte de son accusation précipitée, elle se tut. Heureusement, Caelan ne lui en tenu pas rigueur.

 — Les Venoris sont adulés, vénérés de part et d’autre de l’empire, à l’inverse les astroms provoquent de la méfiance et de la crainte. Paradoxalement, sans astroms, les venoris n’existeraient pas, mais ça même si ce n’est pas un secret, peu de personnes en ont conscience. La marque de sang est offerte aux Venoris par les astroms…

 — C’est parce que vous êtes un Commandant que vous cachez votre véritable nature ? s’étonna Mara.

 — C’est une des principales raisons, oui, éluda Caelan laissant planer le doute.

Il l’observait avec ce regard touchant qui empêchait Mara de le considérer d’un mauvais œil. En réalité, elle n’était pas vraiment en colère, plutôt choquée. Après tout, même si elle avait passé beaucoup de temps auprès de lui, elle ne pouvait exiger de lui qu’il se livre à elle du jour au lendemain. Et à vrai dire, un sentiment de reconnaissance inattendu naquit en elle : pour la première fois Caelan ne cherchait pas à la leurrer avec des explications hasardeuses.

 — Merci, murmura-t-elle laissant apparaître sur sa fine bouche, un sourire discret.

 — Vous ne m’en voulez pas ? s’exclama Caelan à son tour étonné.

 — Pourquoi ? D’avoir jardin secret ? Vous avez vos raisons et honnêtement je suis la dernière personne qui peut vous juger pour cela.

 — Et pourquoi me remercier alors ?

 — Vous vous êtes confié à moi, je crois que c’est une première…

Caelan sourit à son tour. Il se sentit soudainement allégé d’un poids dont il ne s’était pas douté. Il regarda Mara, admiratif. Il l’a trouvait courageuse et malgré la situation, elle prenait sa mésaventure avec beaucoup de philosophie.

 — À vrai dire même si je ne sens pas votre magie, je ne suis qu’à moitié surprise…, avoua Mara rétrospectivement.

 — Ah oui, pourquoi ?

 — Vous en connaissiez un rayon sur la magie, et que dire des leçons. Ça parait logique… Je n’ai jamais vu Tréviane ou Béruc tenter de débloquer mes pouvoirs.

 — J’aimerais tellement trouver la bride qui vous empêche de vous accomplir…, balbutia Caelan.

Il était désolé de ne pas pouvoir aider Mara davantage.

 — Est-ce que ça veut dire que désormais j’aurais droit à des démonstrations de votre part ? s’exclama Mara pour dédramatiser.

 — Peut-être…, rétorqua-t-il sourire en coin. Ce qui est certain c’est que vous venez de prouvez que vous êtes loin d’avoir réalisé votre plein potentiel.

Il y a encore des choses qu’il aurait voulu lui partager avec elle et il espérait de tout cœur ne pas se tromper sur Mara. Il faut dire qu’il n’était pas insensible à son charme. Toutes les défenses qu’il avait mises en place depuis des lustres s’effritaient un peu plus à chaque fois qu’il la voyait. C’était à la fois plaisant et perturbant et il ne savait pas comme appréhendé ce sentiment confus.

***

 Au même moment en des lieux perdus au milieu de l’espace, Istovir détenait enfin les informations nécessaires. Il pouvait aller à la rencontre de son maître pour lui présenter ses dernières découvertes. Extatique, il quitta son petit office encombré.

Déambulant dans les coursives du Forteraine, il évitait des flaques d’eau sur le sol. L’humidité était omniprésente sur les parois irrégulières. Le vaisseau était probablement ancien. Plus étonnant encore, des lignes rougeâtres, presque noir traversaient de part et d’autre les lieux, reflétant la vie, comme le sang qui coule dans les veines.

Comme annoncé, Mephrine avait déployé son navire à partir de son médaillon. L’immense engin était alors apparu dans le ciel, visible uniquement par une poignée d’élu. Quoique fût l’origine du Forteraine, il n’était pas ordinaire. Il semblait être autonome, guidé par les pensées de son propriétaire. Istovir en avait conclu qu’il s’agissait peut-être d’une extension de son nouveau maître, mais cela restait une spéculation.

Istovir bifurqua et arriva devant les quartiers de Mephrine. Il écarta les rideaux et se faufila à l’intérieur de la haute pièce et s’arrêta. Mephrine se tenait au milieu psalmodiant dans une langue inconnue à travers une fenêtre immatérielle. Elle était lumineuse et semblait permettre de voir un autre lieu. Sentant l’intrus, Mephrine effaça d’un coup de main l'étrange magie, empêchant Istovir de déceler quoique ce soit.

Le Danarien balbutia gêné.

 — Parle Istovir, susurra Mephrine s’asseyant sur son siège.

 — Ceux qui ont découvert la révélation sont morts. Désormais, les Venoris ne peuvent que jongler sur des suppositions, commença timidement Istovir.

Même dans la pénombre de la pièce, il avait peur de croiser le regard de Mephrine dont le visage restait dissimulé sous une capuche. Mephrine écouta attentivement les déclarations du Danarien. Ce qu’il entendit ne lui plus pas, mais il s’efforça de garder son calme.

 — Tout est espoir est dangereux. Nous devons éradiquer cette espérance futile. Les révélations ne sont que des mots manipulables et interprétables. Qu’ont-ils compris ?

 — Ils pensent que vous êtes une menace et la chose qui est arrivée en même que vous, est leur sauveur.

 — Alors comme ça, ils croient que « le catalyseur » pourra les aider ? C’est trop de crédit accordé à un corps aussi fragile. Ces Venoris ne comprennent rien aux révélations, obnubilées par leur arrogance, soupira Mephrine.

Il resta une longue minute silencieux, réfléchissant.

 — Il est temps d’éradiquer ce vain espoir.

 — Nous ne sommes pas encore assez nombreux pour attaquer une base venorie, souligna Istovir. (Mephrine jeta un regard méprisant à Istovir.)… Mais on va s’arranger pour isoler le catalyseur, ajouta Istovir en bafouillant.

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Valae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0