Ch.1

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En un seul regard, pour peu que l’on prenne de la hauteur, il est possible d’apercevoir à la fois le désordre d’une friche qui étouffe toute la floraison et le plan d’eau scintillant d’un parc où glissent en silence de gracieux cygnes blancs.

Le mur du domaine du parc sépare les deux univers, néanmoins il reste envisageable qu’une ronce rampe jusque sur la limite de pierre, retombe sur l’autre versant et se faufile sournoisement jusqu’au plan d’eau. Mais il se peut aussi qu’un cygne, dans son envol, fixe son cap en direction de la friche.

Le terme de « friche » étonne au premier abord, car ce nom au singulier désigne diverses plantes. Mais il est vrai que dans ce fatras de feuilles et de branchages, l’œil peine à distinguer et à séparer les tiges. Nouées les unes aux autres, les espèces présentent une homogénéité, comme si elles n’avaient qu’un corps et ne formaient qu’un seul être informe et hirsute.

Illusion : leur unité n’est constituée que d’espèces empêtrées dans une lutte impitoyable, chacune acharnée à détruire leurs concurrents. Parmi les plus coriaces dans ces affrontements opportunistes, on compte les ronces. Féroces dans leur rapprochement, étant donné leurs épines acérées, les ronces enserrent leurs rivaux, dans des étreintes fatales, les privant ainsi d’air et de lumière.

En ce qui concerne les cygnes, oiseaux de mille grâces, géants mais jamais lourds, sauvages mais accoutumés aux jardins soignés des châteaux, parfois noirs, mais dans ce domaine-ci blancs, reflets du soleil et de la pureté du monde, ils se révèlent d’une beauté hypnotique. Tous ont l’air de se ressembler comme s’ils étaient issus d’un même prototype, d’une même perfection impossible à retoucher, or il en existe, en réalité, de différentes natures.

Toutefois, dans cette histoire-ci, il s’agira de se focaliser sur un seul cygne. De même on ne s’intéressera qu’à une seule ronce.

On pourrait ensuite être trompé par le fait que le cygne est un nom masculin et la ronce, féminin. Car, dans notre histoire, les genres s’inversent : le majestueux oiseau blanc est une jeune femme, tandis que la plante épineuse, un jeune homme.

Lui se prénomme Jordan. Quant à elle, Marjorie.

La porte du café Les Bons Amis est déjà grande ouverte. Marjorie franchit le seuil dans un éventail de lumière. Le contre-jour dessine une auréole à sa chevelure. Serrant contre elle un petit paquet de feuilles, elle s’engage dans une rangée désordonnée de tables et de chaises. Elle ne perçoit rien de la présence qui se rapproche dans son dos, mais sursaute au contact d’un étrange poids sur son épaule, comme une griffe coincée dans la laine de son pull… Elle réalise qu’il s’agit d’une main, se retourne d’un mouvement vif, se cogne à un sourire narquois.

– Bonjour, je voulais pas t’effrayer. Je m’appelle Jordan. Et toi ?

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