Le soir de l’appel, délaissant mon mari, la vaisselle du repas et une télévision qui ne m’intéressait plus depuis fort longtemps, je me postais devant un ordinateur portable et suivais le lien reçu dans mes courriers. La page qui s’affichait devant moi me signalait que j’allais participer à programme de coaching particulièrement novateur et que j’allais devoir répondre dans un premier temps à 100 questions. Ce que je fis dans un état de ferveur indescriptible. À la fin de la dernière question, on m’informait que si j’acceptais un certain nombre de conditions, entre autres celle de communiquer mon numéro de téléphone, le coaching proprement dit pourrait débuter dans moins d’une semaine. Pas de numéro de carte bancaire, tout était gratuit sur cette version « bêta » à l’image des échantillons d’un nouveau produit alimentaire que l’on vous fait tester dans les grandes surfaces.

 Quatre jours plus tard, vers 16 h 00, un appel inconnu a fait vibrer mon téléphone. Un homme se présentant comme étant mon coach m’informait de détails techniques sur le nombre d’appels souhaités par semaine, l’heure qui me conviendrait et des paramètres de confidentialité auxquels je n’ai pas prêté d’attention. Il m’a interrogé sur ce que j’avais ressenti après avoir abouti à la dernière des cent questions. Je me suis livrée à lui sans retenue, revenant sur mes réponses les plus personnelles. Consultant les résultats de mon questionnaire, il se permettait d’aborder des pans entiers de ma vie que je lui dévoilais en toute confiance.

 Pendant près de trois mois, mon coach, qui s’appelait Etienne, m’appelait deux à quatre fois par semaine, selon mes souhaits, pour des conversations qui n’excédaient pas la demi-heure. La durée de nos conversations était la seule règle qu’il m’avait imposée. Ce furent trois mois extraordinaires. J’ai fait un voyage dans la vie. Je veux dire qu’Etienne m’a fait atteindre un état de conscience sur ce que j’avais vécu à un point que je n’osais pas imaginer. Mon mari ignorait tout de ces conversations et je révélais à Etienne une intimité que je n’avais jamais évoquée avec celui qui partageait pourtant ma vie.

 Comment qualifier Etienne et la place importante qu’il occupait dans ma vie ? Etienne n’était ni un gourou, ni un confident. Pas vraiment un père spirituel. Pas non plus un psychanalyste. Peut-être un peu tout cela à la fois. Il ne me disait pas ce que j’avais envie d’entendre et ne me poussait pas non plus à me faire souffrir et remuant des tourments passés. Mais il avait l’art de le faire quand même et je glissais dans ses bras. Etienne était l’homme avec qui j’ai eu si souvent l’envie de faire l’amour. Naturellement, je ne cessais de peindre et mon art se métamorphosait. J’étais plus sereine, j’osais cultiver avec vigueur ce qui constituait mon originalité. Mes toiles se vendaient bien dans cette galerie parisienne où Laurent Palanche avait changé ma vie.

 Quelques mois plus tard, mon programme de coaching arrivait presque à son terme. J’étais au téléphone avec Etienne lorsque mon mari a fait irruption dans l’atelier, ce qu’il n’avait pas fait depuis fort longtemps. J’ai recouvert le téléphone du plat de la main, irritée par cette intrusion soudaine. Le visage livide, une tablette à la main, il m’a simplement demandé ce qu’il s’était passé. Comme une femme surprise en plein ébat amoureux dans les bras d’un autre, je croyais qu’il avait découvert cette relation étrange que je nouais avec Etienne depuis des semaines. La vérité, lorsque je la découvris sur la page internet que mon mari avait lue avant moi était tout autre et me fit basculer dans l’effroi. Une tornade détruisant la maison et réduisant en poussières et gravats mon atelier m’aurait produit le même effet.