Sous un autre angle...

5 minutes de lecture

Je suivais Paul et Joyce à la trace. mon regard vagabondait sur les empreintes que faisaient leurs pieds sur l'herbe du campus.

Je me demandais comment elle pouvait être aussi verte avec un temps pareil : le soleil cognait sufisamment fort pour faire se réfugier à l'intérieur toute personne saine d'esprit et l'air ambiant était constitué d'une brise chaude et sèche.

Et pourtant, nous étions là en plein milieu du parc universitaire, sous cette écrasante chaleur de fin d'été. Et j'étouffais.

Mes nouveaux amis formaient un sacré numéro à eux deux. Paul m'avait introduit à sa petite bande suite à notre rencontre dans une association sportive de la fac. Sa personnalité enjouée m'avait tout de suite plu.

Après quelques discussions, nous en étions arrivés à l'évidence que le courant passait bien entre nous et il m'avait présenté à ses deux amies, Joyce et Shirley.

Là où Joyce était elle aussi d'un tempérament très solaire, j'avais du mal à cerner Shirley.

C'était une artiste. Peut-être un peu tourmentée aux premiers abords. Elle avait un physique atypique au milieu de toutes ces étudiantes.

Cela n'enlevait rien à sa beauté, pourtant.

J'avais l'impression qu'elle ne m'aimait pas beaucoup.

Reportant mon attention sur le reste du groupe, je réalisai que j'avais pris un sacré retard à force de rêvasser. Je pressai le pas en conséquence.

— On va retrouver votre ami, c'est ça ? m'enquis-je au groupe, un peu gêné.

Paul hocha vigoureusement la tête. Joyce ne juga pas utile d'en dire plus.

Cela faisait un moment que j'entendais parler de ce qui semblait être l'événement de l'année. En effet, il s'avérait qu'un membre du groupe avait manqué à l'appel pendant quelques années.

Et c'était l'euphémisme le plus doux qu'il m'était possible de trouver pour désigner le fait que ce membre manquant avait en fait été combattre au Vietnam.

Je passai une main nerveuse dans mes cheveux. La transpiration les avait rendu moîtes.

Après une minute de marche, Joyce se tourna vers moi, jouant avec ses doigts.

Elle avait bel et bien quelque chose à dire, en fin de compte.

— C'est assez compliqué pour Reid en ce moment. Il faut que tu saches qu'il peut avoir des réactions un peu étranges, alors ne le prends pas pour toi s'il dit quelque chose de vexant.

Je haussai un sourcil, pas trop sûr de ce que je devais décrypter dans cette phrase.

Mon imagination dépeignit presque aussitôt ce Reid comme une armoire à glace baraquée qui allait nous parler comme un charretier et ne manquerait pas une occasion de m'insulter.

— De manière générale, tu devrais éviter tous les sujets de conversation... militaires. Ça le stresse énormément, ajouta Paul qui continuait son chemin d'un pas confiant.

Je grimaçai légèrement. Avec tous ces renseignements et ces mises en garde, j'étais celui qui allait finir par être le plus anxieux dans l'histoire.

Les jambes un peu ramollies, je me traînai un peu plus rapidement à la suite de mes camarades. J'essuyai mes mains moîtes sur mon pantalon, incapable de dire si elles l'étaient à cause de la chaleur ou de l'appréhension de rencontrer un mec qui avait très certainement vu la mort en face.

Je me demandai distraitement si le vécu d'une personne était réellement discernable dans son regard.

Si c'était le cas, je n'osais imaginer les yeux de ce Reid.

— Les voilà ! s'enthousiasma Joyce.

Je suivis son regard. Shirley était effectivement assise à une table de pique-nique, en compagnie du mystérieux camarade.

Plus la distance entre nous diminuait, plus je voyais que le mec qui accompagnait Shirley n'était pas du tout content de me voir aux côtés de Paul et Joyce.

Une fois à leur niveau, mes deux amis saluèrent la tablée. Je restai délibérément en retrait, dans l'attente qu'on m'introduise correctement.

J'en profitai pour étudier celui que je pensais être une armoire à glace : en fait, il n'en était rien. Bien sûr, le temps qu'il avait passé au front avait laissé des traces sur sa musculature, bien qu'il me fut difficile de juger son évolution sans comparaison avec l'avant.

Il avait beau être fin, il restait relativement élancé... et je ne voudrais pas qu'un mec de son acabit me foute une droite.

Son physique était étonnamment bien conservé, après toutes les épreuves qu'il avait dû endurer.

Il était même... agréable à regarder.

— T'as pas vu ce qu'il à fait ? demanda-t-il à Shirley, sans faire réellement attention à nous.

Il était attirant, c'était indubitable. Ceci dit, la politesse était à revoir.

— Qui ? rétorqua-t-elle.

Son regard transpirait d'inquiétude. Paul et Joyce n'avaient pas non plus l'air de prendre la situation à la rigolade.

— Le mec qui vient de passer... dévoila-t-il, la voix tremblante.

Il mima une arme à feu avec l'une de ses mains.

Il avait respiré trop d'agent orange, ou quoi ?

Je me pinçai discrètement l'arête du nez.

Qu'est-ce que je foutais ici, sérieux ?

Un regard autour de moi suffit à confirmer qu'aucune de mes connaissances ne se trouvait dans le coin. Autrement dit, personne ne viendrait me sortir de ce merdier.

Shirley insista sur le fait qu'elle n'avait vu personne et Reid eut l'air de réaliser qu'il passait littéralement pour un fou devant tout le monde. Il s'excusa platement. Ses yeux étaient ceux d'un animal apeuré.

Paul se décida enfin à me présenter en bonne et due dorme.

Reid serra ma main, les sourcils froncés. À travers ses cils, ses yeux me scannèrent en long et en large.

Sans même le connaître, je devinai que cette expression renfrognée était naturelle chez quelqu'un comme lui. Il devait être de ceux qui étaient toujours sur le qui-vive.

Je m'en voulus pendant un instant d'avoir pensé que c'était un fou.

Ma situation m'avait permis d'éviter de subir le même sort que lui. Il s'en était fallu de peu, finalement. Ça ne tenait à rien.

J'aurais pu naître comme lui, être appelé et rentrer bousillé chez moi dans la vingtaine après avoir combattu dans un conflit que personne ne tolérait dans ce pays.

Je ne souhaitais à personne la souffrance et l'aliénation que ça devait engendrer.

Pour cette raison, je décidai de prendre sur moi et de laisser une chance à cette amitié.

Me parant de mon plus beau sourire, je lui tendis chaleureusement la main, essayant tant bien que mal de véhiculer les intentions les plus pures qui soient.

Parce qu'après avoir vu ce qu'il y avait au fond de ses yeux, je n'étais pas plus avancé sur son passé.

Cependant, cela ne m'empêcherait pas de l'aider à avancer.

Annotations

Vous aimez lire MaelysMaziere ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0