Parole de soldat

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Qu'est-ce qu'il y avait après la mort ?

Rien.

J'en étais persuadé.

— Nous nous rassemblons aujourd'hui dans la tristesse et la gratitude pour rendre hommage à Eliott. Il servit avec courage, portant l'uniforme pour la liberté et la justice.

Je croyais qu'il pleuvait toujours pour les funérailles.

— Dans les ténèbres, il fut un phare d'espoir. Que son sacrifice ne soit jamais oublié, mais qu'il inspire notre quête de paix.

Aujourd'hui le ciel était juste dégagé. Néanmoins, le vent était déchaîné.

Il sifflait si fort dans mes oreilles que la voix du pasteur semblait s'étouffer dans une trombe à chaque mot prononcé. Seule la moitié de son discours réussissait à se frayer un chemin jusqu'à mon serveau.

Je réajustai le noeud de ma cravate, le souffle court.

Le boucan qui demeurait dans ma tête était déjà ingérable, alors je n'avais pas besoin que les éléments se liguent contre moi.

— Prions pour son âme, qu'elle trouve le repos éternel dans les bras du Seigneur, car comme le dit l'Évangile selon Jean : "Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures."

Conneries.

— Alors, que les anges l'accueillent. Que sa lumière brille dans le royaume céleste... et dans notre chagrin, souvenons-nous des paroles de Matthieu : "Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés."

Énormes conneries.

J'étais parti pour passer le restant de ma vie à pleurer sans jamais m'arrêter.

Et pourtant... à l'heure actuelle, mes yeux étaient ce qu'il y avait de plus sec.

Je fixai un point imaginaire devant moi. Un mouvement dans ma vision périphérique me fit rapidement tourner la tête.

La petite-copine d'Eliott tremblait comme une feuille. Le mouchoir qu'elle tenait était tâché de maquillage. Son nez coulait. Ses yeux étaient gonflés et rougis par l'eau qui ne cessait de couler sur ses joues.

Je me fis la réflexion qu'elle n'était pas belle dans cet état.

Personne ne le serait.

La Mort n'était pas belle.

Mes yeux s'humidifèrent soudainement. Peut-être qu'elle allait me donner l'envie de pleurer par procuration.

Son regard croisa le mien, et je détournai aussitôt les yeux.

Ma respiration s'accéléra.

La perspective de lui adresser la parole m'effrayait encore plus que celle de devoir dire quelques mots pour l'éloge funèbre de mon ami.

Ce compagnon d'armes qui nous avait quitté à peine un mois avant la fin du déploiement.

La main posée sur mon coeur, je me calai sur le rythme de mon souffle.

Aujour'dhui, c'était le jour d'Eliott. Je ne pouvais pas m'effondrer maintenant.

Quand les gens ses dispersèrent après avoir posé leurs fleurs sur le cercueil, je restai assis.

L'ombre d'une silhouette sur l'herbe verte se posta devant moi. Je relevai la tête et constatai de plus près encore les dégâts sur le physique de Sheila, la petite amie éplorée.

— Tu dois être Lawrence, je présume, sanglota-t-elle.

Je me hissai sur mes jambes, la bouche entrouverte.

— Reid, la corrigeai-je. Avec Will... Euh, Eliot... on s'appelait pas nos noms de famille.

Elle hocha la tête, pas le moins du monde vexée que je l'ai reprise. Elle ne pouvait pas savoir de toute façon.

Après un moment, je pris mon courage à deux mains et repris :

— Je suis désolé de ne pas avoir dit un mot en son honneur.

Sa main s'éleva au niveau de nos visages.

— Ne t'excuse pas. Même le plus courageux des humains aurait du mal à effectuer un exercice aussi éprouvant. Personne ne devrait vivre ça.

Mes épaules s'affaissèrent quand je laissai sortir tout l'air que je retenais dans mes poumons, dans un long soupir de soulagement.

Les mots de Willard me revinrent en tête.

Il avait prévu de fonder une famille avec cette jeune femme. De couler des jours heureux avec leur ribambelle d'enfants. De finir sa vie sur un porche, entouré de leurs petits enfants.

L'idée même que tous ces projets de vie soient partis en fumée aussi facilement me frappa de plein fouet. Sans réellement pouvoir y faire quoi que ce soit, je poussai un cri qui se mêla à un flot de larmes soudain.

Même si je détestais le contact physique, je ne réagis pas quand elle me prit dans ses bras. Au contraire, son étreinte me rappela à quel point la chaleur d'une autre personne pouvait être réconfortante dans le malheur de l'existence.

Bientôt, je calmai ma tristesse et pris le visage de Sheila entre mes mains.

— Je veux que tu saches que... Eliott t'a aimé jusqu'au bout. Et il... il n'a pas souffert, bafouillai-je, les yeux écarquillés.

Je savais que si je les fermais, je reverrais le moment de sa mort. Cette déflagration. Tout ce sang et ces morceaux.

C'était plus que ce que je pouvais supporter aujourd'hui.

Je jetai un dernier regard au cercueil fermé.

Je te souhaitais d'obtenir tout ce que tu voulais, première classe Willard.

Et pourtant, c'est moi qui était là.

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