Chapitre 11.2

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Sautillant sur ses frêles chevilles, la fillette suppliait le tueur de lui montrer ce qu'il dissimulait dans son dos. Dans l'une des alcôves qui donnait sur la grande halle, la lueur pâle des torchères faisaient danser les ombres sur sa bouille de poupée.

« C'est pour moi, dis ? C'est pour moi ? Tu m'avais promis un nouveau jouet ! Tu l'avais promis ! »

D'une prodigieuse beauté, Hnoss était aussi une enfant pleine d'énergie. Capricieuse, colérique, elle menait la vie dure aux habitants du palais. Rares étaient les êtres assez patients et courageux pour la supporter ; contre toute attente, Grimnir, lui, semblait apprécier sa compagnie.

« Et si c'était pour quelqu'un d'autre, hein ? mentit le démon. Ce simplet de Thor n'a-t-il pas une jolie petite fille ?

— Thrud est plus bête que son père ! Elle ne mérite pas que tu lui offres de présent ! Donne-le moi, plutôt ! Ne suis-je pas ta préférée ? Moi, je t'adore !

— Quelle petite menteuse ! N'es-tu pas la première à me traiter de vieux tigre édenté ? Crois-tu que je n'ai pas entendu la stupide chanson que tu fredonnes à tutête ? Comment est-ce, déjà ? Qu'est-ce qui pue plus que l'vilain Grimnir ? Les vieilles culottes du iotun Hrungnir²³ !

— Ça ? C'est juste pour de rire ! Allez, ne fais pas ton rabat-joie et donne-moi mon cadeau ! S'il te plaît ! »

Il ne fit pas languir la gamine davantage. Gitz apparut, qui tentait d'échapper à la poigne vigoureuse de Grimnir. Ses jambes maigres remuaient dans le vide et des filets de bave s'échappaient de sa bouche tordue par la douleur.

« Beuark ! lâcha l'enfant, dégoûtée. Qu'est-ce que c'est moche !

— On appelle cela un nixe et c'est très rare, tu peux me croire. À Asgard, tu seras la seule à en posséder un.

— Je préférais le troll-nain de la dernière fois ! Il était plus rigolo !

— Faut-il te rappeler que tu lui as fait couper les bras et les jambes afin qu'il cesse de s'enfuir ?

— Il a perdu son sang, c'était répugnant. Et l'odeur a excité les chats ailés. Maman était furieuse.

— Avec celui-là, tu n'auras pas ce genre de désagrément, je t'en fais la promesse.

— Ah ? Qu'est-ce qu'il a de si remarquable ? Il a l'air chétif !

— Les nixes ont la particularité d'être immortels. Tu auras beau la découper en tranches, cette petite chose ne mourra pas. N'est-ce pas le cadeau idéal ?

Suffisamment diverti, Grimnir offrit son cadeau. Hnoss serra le nixe contre sa poitrine. Une scène attendrissante, à laquelle pourtant personne ne voulait assister. Dans les claires allées du palais, les soldats déambulaient avec nonchalance, leurs vêtements répandant dans l'air des effluves de chèvrefeuille, sucrées, printanières. La blondeur de leur barbe et de leur chevelure luisait comme de l'or sous l'éclat des lances accrochées aux murs. Ils étaient les élus de Vanadis, déesse de la splendeur. Dans la vie, ils avaient été de féroces guerriers ; dans la mort, ils évoluaient au milieu des danseuses et des fêtes, dans un sanctuaire sublime voué à la beauté et à la luxure ; jusqu'au Ragnarok annoncé, ils jouiraient, dans le stupre et l'oisiveté, des plaisirs que leur nouvelle matrone leur offrait. Pour eux, cependant, il était dangereux d'approcher Grimnir et Hnoss ; puisque ce duo de prédateurs était imprévisible et pervers, mieux valait ne pas attirer son attention ; prudence et sagesse constituaient ainsi les principales mamelles d'une existence tranquille lorsque l'on habitait Folkvang.

— A-t-il un nom ? demanda la fillette avec excitation.

— Che mm'appelle Gitzchh ! cria le nixe, bâillonné.

— Non, il ne me semble pas, mentit Grimnir.

— Chhhe mm'appelle Gitzchhhh ! insista l'esprit de la Nature, sans que personne ne semble remarquer ses efforts.

— Que penses-tu d'Amma²⁴ ? voulut savoir Hnoss. Ne trouves-tu pas qu'il ressemble à une vieille grand-mère, avec toutes ses rides ?

— Ammmma ? répéta le nixe, la trachée écrasée. Ch'est un nom de fille ! Che vous dis que che mm'appelle Gitzchhh !

— Voilà qui lui va à merveille ! répondit le démon masqué en décoiffant la petite déesse. »

Alors qu'il observait la fillette regagner les étages supérieurs, Grimnir se demanda ce qu'il pourrait ressentir en lui brisant la nuque d'un coup sec au lieu de lui passer doucement la main dans les cheveux. Elle l'amusait, soit, mais il en fallait plus pour endormir l'indomptable folie qui rongeait son cœur de monstre.

Après tout, il était celui qui avait absorbé l'âme de Odr, le père de Hnoss. Les gens croyaient que le dieu n'était pas revenu d'un long et éprouvant voyage ; la vérité était toute autre. L'époux de Freyia avait commis l'erreur de croire que le Dévoreur était l'un des siens. Fatale méprise : Grimnir avait décapité l'Ase venu lui demander conseil, puis avait bu son essence. La soif avait été trop grande, la tentation avait pris le pas sur la raison. C'était ainsi que fonctionnait l'assassin. Par coups de tête. Par coups de sang. Par simple envie de faire le mal.

Cependant, il fallait encore que la bête fasse preuve de patience. Dans une poignée d'heures, Valgard la rejoindrait à Folkvang et lui offrirait un spectacle digne d'elle : Asgard à feu et à sang.


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Lexique :

23 - Hrungnir : nom signifiant Le Criard. Célèbre iotun de pierre réputé pour sa force et son tempérament explosif. Il mourut au cours d'un duel mémorable contre Thor.

24 - Amma : mot vieux norrois signifiant justement Grand-mère.

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