1.6) Volodia
Souvent, ces jours-là, lorsque je sommeillais, un rêve étrange s’emparait de moi : j’étais une dune, un amas de sable dans le désert, un vent torride balayait mes flancs mais je ne flanchais pas – et je me sentais seule et sèche, écroulée sur moi-même.
« Que disait Priss, déjà ? Se méfier. Oui. Se méfier de l’eau qui dort. »
Quelques fois, un serpent filait entre mes grains et s’arrêtait pour m’admirer. Ses anneaux recourbés réfléchissaient le soleil et la chaleur, comme un petit miroir, de ceux que l’on emporte dans son sac à main, et je tentais de voir mon reflet, en vain.
« L’eau qui dort. Qu’est-ce que cela veut dire ? De l’eau, ça ne dort pas. De l’eau ça coule, ça tombe, ça fouette. Ça ne stagne plus, plus dans ce monde. Mais ça ne dort pas. De l’eau, est-ce que ça rêve ? »
Parfois aussi, et sans plus être sous l’emprise d’aucune substance sucrée, je rêvais qu’une plante germait dans mes entrailles, irriguée par les soins quotidiens du fant'eaume ; qu’elle remontait autour de mes membres, mes jambes, mon buste, mes bras, que ses feuilles bourgeonnaient et que, bientôt des grappes de fruits poussaient. Je me réveillais toujours avant d’avoir eu le temps d’y goûter, à demi dégoûtée.
Les jours s’égrainaient, comme les poussières de ma dune onirique. Sakineh marchait de mieux en mieux dans sa combinaison mais, sans le concours du caoutchouc, elle retournait immédiatement à l’état liquide. Je m’habituais à son flux bouillant et je dissimulais bientôt sans peine mon plaisir, pourtant, quoique la situation me plût, je sentais aussi croitre en moi une sorte d’anxiété, la sensation constante qu’on me guettait, qu’on me tomberait dessus tôt ou tard pour m’arracher celle que je gardais jalousement – comme un petit trésor – et je redoutais à vrai dire les conséquences de mes actes hérétiques : héberger un fant'eaume, détourner l’eau, convertir secrètement mon être en réservoir.
Bien sûr, ce cas de conscience me rongeait, et je pensais souvent qu’il me faudrait la livrer, mais je pensais aussi que c’était mal car, à coup sûr, Sakineh en souffrirait. Mais peut-être souffrait-elle déjà de l’oppression déguisée et de la fausse innocence dont j’usais en vue d’abuser d’elle. La stricte vérité, c’est que je n’avais nulle envie de laisser mon plaisir s’évaporer et, me croira qui voudra, mon égoïsme éveillait progressivement ma culpabilité.
Un jour, alors que je me contentais de subir mes flagellations morales sans réellement chercher à y mettre un terme, elle me força la main – du moins, j’en eus l’impression. Alors que je m’extirpais au petit matin d’un sommeil agité pour extraire Sakineh de son réceptacle et l’aspirer entre mes cuisses, je la trouvai répandue sur le sol de l’arrière-boutique, la combinaison percée. Je devinai aussitôt qu’elle avait lutté pour se recomposer, car quelques résidus de chair, d’os et de glaires ponctuaient sa flaque, et je sus en la voyant ainsi décomposée que je ne pourrais supporter plus longtemps son calvaire.
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