3.19) Volodia

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À mon réveil, sous le toit des Gardiens, on me raconta qu’on m’avait repêchée, inconsciente, dans le raz-de-marée de la sangsible. En me précipitant vers l’extérieur, je découvris les habitants d’Ekö affairés dans la cité, mouillée, comme après les Eaux Célestes. Les uns recueillaient les gouttes avant qu’elles ne s’évaporassent, d’autres couraient de cahute en cahute, les bras chargés de peau visqueuse qu’on avait découpée, pliée et empilée.

Comme je cherchai désespérément Sakineh, Ourson me remit sa bonbonne vide et, constatant ma profonde inquiétude, il m’entraîna d’un pas rassurant vers le quartier des tisserands. Là, je découvris, avec un soulagement aussitôt étouffé par un total ravissement, le nouveau visage de l’écolière fant’eaume. Licorne et Wendigo l’avaient transvasée dans un costume en peau de sangsible taillé à sa mesure, plus résistant que la vieille combinaison de caoutchouc. Une armature d’os semblable aux armures des cart’os renforçait ce nouveau réceptacle, au sein duquel elle bullait, visiblement comblée. Seul me peinaient ce crâne lisse, aux cheveux évaporés, et sa figure désormais vaseuse : un peu de glaise liquide destinée à combler les gouttes perdues dans la bataille — perdues par la faute de mon pelvis médiocre. Le remords m’empêcha de la serrer dans mes bras, et je craignais aussi d’abîmer cette enveloppe toute neuve, alors, gardant piteusement mes distances, je demandai seulement à quoi s’affairaient désormais les ouvriers et les métiers à tisser.

Un vaisseau. Tous les tisserands d’Ekö cousaient l’étoffe du monstre tantôt terrassé, autour d’une coque souple taillée dans un organe – mieux valait ignorer lequel. Ourson lui-même supervisait les opérations. Puis, quelques lunes plus tard, lorsque l’embarcation fût prête, on nous exorta, Sakineh et moi, à nous y installer. Poussé jusque là par la garde de la cité, le vaisseau luisant nous attendait sur le fleuve et, au loin, les échassiers au nez-de-corne nous toisaient d’un mauvais œil. Les techniciens me vantèrent les mérites des deux moulins à vent dont ils avaient coiffé le navire, inspirés par les cart’os qui en soudaient à leur armure, afin de survoler le Désert plus au-loin. Le singulier rafiot était aussi muni de jambes : deux longues mémomines plantées dans le limon vaseux, qu’il me fallait enfiler pour piloter l’engin.

À peine fus-je installée, Sakineh me surplombant dans la nacelle arrière, que tous les citoyens nous souhaitèrent bon voyage. Je n’aurais su dire alors – et j’hésite encore désormais – s’ils me rendaient grâce par pareil présent ou s’ils me chassaient obligeamment de leurs terres, moi l’hérétique qui, dans son sillage, décuplait les fléaux.

Seul le trio des Gardiens s’éternisa au bord des eaux : Licorne pour nous prodiguer ses encouragements les plus bienveillants, Wendigo pour louer notre bravoure et exalter notre zèle, Ourson enfin pour nous instruire de notre destination.

— En descendant le fleuve, dit-il, tu parviendras jusqu’à la mer. Mais tu ne tromperas pas la vigilance des Sirènes. Si tu veux actionner la Clé du Ciel, il te faudra récolter trois objets. Trois reliques. D’abord, si tu escomptes garder tes jambes, tu devras enfiler un dessous inscindable. Ensuite, pour ne point te dissoudre, il te faudra dégoter un morceau de figessève. Et afin de garder forme humaine, il est impératif que tu trouves une mue.

— Un string, un chewing-gum et une combi latex. C’est tout ?

— Non Indolore, il s’agit des Reliques de Lune. Elles ne sont pas interchangeables. Tu as besoin des exacts mêmes artefacts que portaient les Scaphandriers lorsqu’ils ont nagé jusqu’au Ciel.

— Mais Ourson, Shahin portrait rien de ça. Pas de culotte, rien dans le bec et rien qui ressemble à une peau de serpent.

— Évidemment, tes reliques n’existent pas encore.

— Je pige pas. Les reliques, c’est pas censé être des vieux trucs sacrés. Comment ça pourrait ne pas exister d’avance ?

— Tu le comprendras en te mettant en quête. Indolore la Porteuse d’Eau, je remets entre tes mains le plus grand trésor d’Ekö : la Carte-dé-rives. Cet atlas interdit fut transmis en secret aux Gardiens, de génération en génération. Il est temps à présent que tu l’emportes. Puisse-t-elle te guider jusqu’à ta destinée.

Et il glissa dans ma paume une fiole de verre aux culots cuivrés, à peine plus grosse qu’un tube de dragées, avec à l’extrémité le même embout nasal qu’utilisaient les sniffeurs de sucre de Néon. À l’intérieur de l’ampoule, il n’y avait pour poudre que du sable graveleux.

— C’est pas une carte, ça. C’est rien qu’un inhalateur ensablé.

— Inspire, insista Ourson, et laisse les sables te guider dans les pas des cart’os du passé.

Comme tous me sommaient du regard, je portai prudemment le poussiérateur à mes narrines et actionnai les poussoirs latéraux : les paillettes de cristaux me lacérèrent les cavités et se soulevèrent comme un nuage jusque dans mes méninges. Aussitôt, mes mémomines vibrèrent, en se rappelant de chemins que d’autres avaient arpentés avant moi, en des temps immémoriaux. La tempête dans ma tête, je me mis en marche sans dire au-revoir.

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