Elle pourrait ne plus travailler, vivre nue dans la forêt, résister au froid, s’habiller de boue, se rouler dans les feuilles mortes de l’automne, se nourrir de neige l’hiver, chanter avec l’aubépine au printemps et fondre au soleil l’été, pour tout recommencer. Elle aimerait être une sorcière, connaître les plantes et parler aux chats. Elle pourrait choisir une autre vie, pour fuir autrement, pour enfin guérir de son chagrin. Elle pense à tout cela en se garant devant la maison des Delaunoy, comme tous les mardis matin. Elle prend la clé cachée derrière la vasque d’hortensias, ouvre la porte, tape le code de l’alarme et entre. Elle a trouvé le boulot idéal. Elle n’en changera pas de sitôt.

Elle caresse le persan endormi sur le fauteuil. Il s’étire dans un miaulement sensuel et se rendort zen, embué de confiance. Bientôt le bruit de l’aspirateur le fera fuir. Elle s’approche de la table de la cuisine où Madame Delaunoy a l’habitude de laisser ses consignes. Jamais un bonjour ou un merci sur le papier coincé sous le cendrier plein, juste une liste de tâches à ajouter au ménage régulier et une foule de points d’exclamation. Faire les carreaux baie vitrée ! Au vinaigre ! Attention !!! Changer drap petite chambre bleue. Vider litière !!! + vaisselle ! Comme à chaque fois, elle s’étonne de la grosse écriture enfantine de cette femme hautaine qui s’amuse encore à dessiner des ronds sur chaque i. Elle s’interroge aussi sur les limites de sa résistance au mépris avec lequel elle est traitée dans cette maison en particulier. Elle se dit alors que c’est plus que cela. Elle adore carrément l’arrogance de cette femme, elle adore lui répondre oui Madame Delaunoy comme une bonniche demeurée du siècle passé. Elle caresse une nouvelle fois le chat et se met au boulot. La maison est vide, elle chante à tue-tête, elle se vide de toute pensée. Au fond, elle se nettoie elle aussi.