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Août 1975
Comme chaque samedi, Yves rejoint sa bande au Café des Sports. Ils boivent quelques bières avant de partir vers la nouvelle discothèque, l’Étoile du Nord, en France, tout près. Moins de trente kilomètres. Yves est un gentil garçon, tout le monde est d’accord pour le dire, même les filles, surtout les filles, elles ne se précipitent pas pour s’asseoir près de lui. Yves a l’habitude. La nana à qui personne ne propose de danser fait tapisserie, mais quelle est l’expression pour qualifier le garçon auquel chaque demoiselle prétexte une entorse ou de nouvelles chaussures trop serrées pour décliner l’invitation à un rock ? Le gentil ? Le benêt ? Si encore il dansait bien.
Ce soir, Chantal fait fureur avec une robe indienne fleurie, mauve et violette, au profond décolleté perlé, Yves entrevoit sa douce peau hâlée, entrefrôle ses longs cheveux blonds détachés. Elle sent bon. Elle s’est transformée en vraie demoiselle de la ville, elle ne rentre plus chez ses parents que certains week-ends. Tout le monde l’écoute, elle raconte comment, grâce à ses réflexes fulgurants, elle a échappé à une agression quinze jours plus tôt à la Néo-Disco-Dance de la Semoy. Les garçons rigolent, ils imaginent ce que les deux types camouflés auraient bien pu lui faire, ils pensent tous à la même chose.
Une heure plus tard, les amis d’Yves se lèvent, ils vont manger des frites et fricandelles, boire une dernière bière avant de partir vers leur soirée. Yves s’éclipse, sa mère l’attend pour souper. Il est déjà en retard, il les rejoindra plus tard. Personne ne raille sa loyauté envers sa pauvre maman veuve depuis peu et flanquée d’un second fils qui est trisomique. Ses meilleurs copains, le Beau Thierry, le docteur Francis et le Gros Michel, déjà joyeux, lui lancent un tonitruant bon appétit mon vieux accompagné d’une tape cordiale sur son épaule trop maigre.
Le lendemain aux environs de midi, ils reçoivent tous trois un coup de fil de la mère d’Yves. L’assiette de son repas de la veille l’attend au frigo. Il n’est même pas rentré manger ! Ils se rendent alors compte qu’eux non plus ne l’ont pas vu de la soirée.
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