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Elle a quitté Bernadette Delaunoy sans recevoir de réponse à son au revoir Madame. Elle s’en contretape, elle a l’habitude de ses sautes d’humeur. Cela fait deux ans qu’elle travaille comme femme d’ouvrage pour les Titres-Services. C’est idéal, congés payés, assurances pension et maladie. Si une cliente devient trop hargneuse, elle peut même demander à sa directrice d’être déplacée. Cela n’est jamais arrivé. La Delaunoy est une emmerdeuse, mais ce n’est pas suffisant pour justifier une mutation, elle n’y travaille qu’une matinée par semaine.
Elle reprend les zigzags de la route du matin, s’arrête à mi-chemin, gare sa voiture, éteint le moteur, ouvre le coffre pour attraper le panier d’osier et s’enfonce dans le bois. Le printemps est là à chanter dans chaque arbre, elle n’a aucune raison de rentrer chez elle avant le ménage de cet après-midi. Après quelques étirements, elle étend sa nappe à carreaux rouges, une vraie nappe vichy, sort la baguette au levain, le Comté, la salade de lentilles et carottes qu’elle a préparée la veille au soir, débouche la bouteille de vin rouge, enlève la serviette de tissu du verre à pied coincé au fond du panier et se sert généreusement avant de renfoncer le bouchon de liège dans le goulot. On n’a évidemment que le bien que l’on se fait. Son pique-nique terminé, elle met l’alarme de son téléphone sur treize heures quinze et s’allonge sur la nappe, les mains croisées derrière la nuque, elle regarde la cime des arbres danser avec le bleu du ciel, écoute la grive des bois répondre au merle. Elle s’endort.
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