Inquisition
Avec un piaillement électronique, le drone scannait son visage dans un petit crachotement de lumière bleue pâle. Un son de clochette résonna et une voix robotique s’éleva :
« Cicatrices effacées. Votre état est confirmé comme présentable. Bonne journée inquisiteur Stabat. »
Une main couverte par un épais gant noir saisit brutalement le petit objet volant pour le précipiter hors du chemin. Avec un soupir agacé, l’inquisiteur s’approcha des canaux de débarquement du vaisseau où l’attendait son équipe.
Anthanatos Stabat était un grand homme à la mine sombre. Son visage poudré pour masquer les horribles cicatrices laissées par ses rites de mortification, les lèvres peintes en noir et deux yeux blancs où dansaient des reflets d’opale. Une chevelure noire filasse lui dégoulinait sur un seul côté de la tête, coupés mi courts. Sa combinaison était à la pointe de la technique d’Alcibiade combinée à des emprunts à la culture martiale de Pendumive dont elle imitait les motifs archaïques et gothiques. Une substance noire moulait tout son corps, sertie de plaques de métal antimagnétique qui lui faisaient un semblant d’amure de chevalier gothique. Le tout était couvert d’un grand drap noir serré au niveau de son cou par un col romain d’un blanc éclatant. Une jupe longue cachait l’essentiel de ses jambes.
Les lèvres serrées, une colère rance au fond des yeux, il passa devant ses assistants et sentit, l’espace d’un instant, son tempérament s’attendrir. Un instant seulement.
Les trois jeunes gens le saluèrent avec une petite révérence, récitant en chœur :
« Salutation votre excellence Anthanatos Stabat. »
Il leur répondit en grinçant des dents, les dévisageant en vitesse. Tyane, le plus grand des trois en taille affectait un salut bien militaire, lui qui n’avait jamais connu l’armée régulière. Jambes droites, pieds joints, son fusil long tenu droit devant lui avec la crosse calée sur son pied. Une main au niveau de son front pour saluer, il souriait avec une joie sincère et une excitation qu’il ne pouvait pas dissimuler. L’implant tubulaire qui lui servait d’œil gauche clignotait avec des éclats amusants mais son autre œil, vert pétant, n’envoyait pas moins d’étincelles. On distinguait au milieu du fouillis chaotique de ses cheveux teints argentés une myriade de câbles métalliques qui rejoignaient chacun de ses membres où des équipements métalliques ; cogitateurs de ciblage, lance grenade à main, éclateur plasma de proximité et pointeur gamma ; couvraient sa peau là où ses vêtements pour le moins légers ne le pouvaient pas. Anthanatos songea avec une pointe d’agacement qu’il avait devant lui un garçon ayant l’air plus imprégné des mœurs et tactiques de l’École Guerrière d’Alcibiade que lui même qui en était originaire.
« Combien aujourd’hui, 15 ?
- 26, votre excellence ! »
Le jeune homme ne cessait de sourire. Le petit jeu qu’ils avaient fini par adopter comme un rite quotidien consistait à deviner combien d’armes Tyane parviendrait à camoufler sur sa personne. Anthanatos faillit presque sourire. Presque.
Son attention passa ensuite à Haendryk, qui sitôt après avoir salué s’était plongé dans un de ses rites en manipulant méthodiquement quelques unes des manettes qui jaillissaient de ses avants-bras. Anthanatos savait depuis le temps que son assistant devait être en train de télécharger des données directement dans son cerveau. Pour plus d’efficacité, il régulait le flux de données manuellement, prenant à chaque seconde le risque de dissoudre ses neurones s’il faisait la moindre erreur, mais le jeu en valait la chandelle. Aucun algorithme normal ne pouvait lui autoriser de telles vitesses. On pouvait voir les implants dépassants de son corps comme des bubons de métal et de plastique clignoter à toute vitesse et piailler des alertes devant le risque permanent de surchauffe, mais, le regard dans le vide, les jambes arquées, le dos curieusement cambré en arrière, Haendryk ne s’arrêtait pas.
« Quelque chose d’intéressant Haendryk ? »
L’inquisiteur dut attendre quelques secondes pour avoir sa réponse.
« Caestus n’a pas beaucoup changé depuis la dernière fois, hélas. Le collège des adeptes a simplement pris plus de pouvoir. Ils ont fait ratifier par Alcibiade une charte garantissant la pérennité de l’antépiphanie. Ils ont déployé plus de robots dans les rues, surtout après les récents signes de corruption psi. Castel Caestus a pris de l’altitude, ils se sont placés dans la couche externe de l’ozone pour être sûrs que la corruption n’atteindra pas les adeptes. La population civile de la capitale planétaire a commencé à acheter de l’huile de machine, bénie par des adeptes peu scrupuleux, pour en répandre autour de chez eux et se prémunir de la corruption…
- Quels imbéciles. Seule l’eau bénite a ce genre de propriété. »
Haendryk haussa les épaules.
« C’est Caestus, votre excellence. La population ne croit qu’en la sagesse mystique du collège des adeptes techniques.
- Est-ce qu’ils ont repéré la zone d’où partait la corruption ?
- Ils savent juste que c’est dans un quartier résidentiel de la capitale, d’après leurs messages du moins. Si j’en crois la disposition hasardeuse des robots, ils ne nous mentent pas.
- Ça serait bien la première fois. Tu connais leur modèle ?
- Non, c’est classé secret et ce modèle a été développé après mon départ du collège des adeptes. Je peux pirater les détails si vous voulez.
- Ils intègrent toujours le protocole Stossgebet ?
- À moins que le collège des adeptes ait décidé de se mettre toute la ligue à dos, oui.
- Alors ce ne sera pas nécessaire. »
Anthanatos reporta son attention vers le dernier membre de son équipe qui attendait sagement les ordres, debout, droit, les mains croisées dans le dos comme un enfant de chœur. Une vague de tendresse traversa l’inquisiteur l’espace d’un instant, mais seulement un instant. Mag était son atout personnel, et presque son enfant. Il l’avait découvert enfant sur les étendues glacées de Pendumive et l’avait élevée depuis pour en faire son chien de chasse. Iel était adolescent désormais, de plutôt petite taille, revêtu presque comme l’inquisiteur d’une redingote noire et d’une jupe longue. Ses longs cheveux étaient magenta brillant et ses grands yeux avaient des iris d’un rouge pulsant où dansaient des formes turquoises comme des têtards de feu glacé. Iel essayait de sourire timidement, mais quels que soient ses efforts, la mine charmante de Mag serait toujours inquiétante aux yeux du commun des mortels. Jusqu’à sa peau semblait émettre une lumière opalescente, et les couleurs autour d’iel paraissaient se distordre de manière inquiétante.
« Nous allons avoir besoin de tes talents pour localiser la cause des ces problèmes. » annonça l’inquisiteur en fixant Mag d’un regard froid. « Ce devrait être assez rapide.
- Certainement votre excellence. »
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