Chapitre 1 : PREMIER RÊVE  

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Au cœur de Kinshasa, Nzinga vivait avec son oncle Kazi, un homme austère aux yeux durs, et à l’esprit pragmatique. Ce n’était pas une maison en brique rouge, mais plutôt un modeste appartement situé au-dessus d’une boutique de fruits. Le carrefour devant la maison était toujours bruyant, avec les cris des vendeurs ambulants, les bruits des klaxons et les voix des enfants qui jouaient à la corde. Les murs étaient simples, mais pleins de l’écho d’une vie qui avait dû se battre pour arriver à ce point. L’oncle Kazi, à peine plus vieux que son père, était l’un des plus jeunes, mais aussi l'un des plus respectés des frères de sa mère.

Nzinga n'avait pas grand-chose à lui offrir, sauf son esprit, ses rêves. Il n’avait que sept ans quand il commença à griffonner ses premiers mots sur le coin de ses cahiers. Ce n’était pas de la poésie ou des phrases élégantes, c’était juste des lettres éparpillées, des dessins maladroits, mais il sentait au fond de lui que c’était une manière de communiquer autrement, de poser ses pensées. Au fil des ans, il avait caché ces carnets dans des recoins sombres, là où personne ne pourrait les découvrir. Il n’avait pas l’intention de les montrer à quiconque. Écrire pour lui, c’était juste exister.

Un soir, alors qu'il avait 18 ans, son destin semblait tracé. L’oncle Kazi, assis à la table en bois, appelait des gens de la famille pour parler de son avenir. "Il faut qu'il fasse comptabilité à la fac, c'est ce qu'il y a de mieux pour lui," disait-il d’un ton catégorique. Nzinga écoutait en silence, son cœur battant plus fort à chaque mot. Il était là, dans l’ombre, observant sans pouvoir intervenir, captif de la décision qui se prenait sur sa tête.

"Mais on doit l'encadrer. Il a du potentiel, il est brillant, et la comptabilité, c’est un métier d’avenir," continuait Kazi. Il pensait que son neveu ferait un excellent comptable, un homme d’affaires respecté. Mais Nzinga, lui, ne voulait pas être ce que les autres attendaient de lui. Il n’avait pas besoin de chiffres ni de calculs ; ce qu’il voulait, c’était être libre d’écrire, libre d’exprimer ce qu’il ressentait au plus profond de lui. La comptabilité était une cage, une prison pour son âme.

"Et il faut qu'il arrête de passer son temps à rêver, Kazi. Écoute, il faut qu'il se mette à la réalité," disait l’oncle Juvénal, qui avait toujours cru qu’une place à la fac de compta était le chemin le plus sûr vers le succès. "Les rêves sont beaux, mais on ne mange pas avec des rêves. Il faut qu’il trouve un vrai travail. C’est ça la vraie vie."

Nzinga entendait tout, mais il était comme un spectateur, enfermé dans sa propre douleur. Les mots de ses oncles, ces gens qui se disaient ses proches, étaient comme des chaînes invisibles qui l’empêchaient de s’échapper. Dans ces moments-là, Nzinga se sentait comme un oiseau pris dans une cage en fer. Il ne pouvait pas s’envoler, il ne pouvait pas voler vers ce qu’il désirait réellement. Il avait envie de tout briser, mais il savait que s’il ouvrait la bouche, il serait encore plus étouffé.

Un jour, alors qu’il se trouvait seul dans la petite chambre qu’il occupait, il sortit son carnet. Ce carnet qui avait toujours été là, caché sous son oreiller. Il y écrivit : “Je veux être écrivain. Je veux que mes mots volent plus haut que ces murs.”

Mais les voix des oncles le poursuivaient. Ils avaient décidé pour lui, et ces décisions étaient comme des murs infranchissables. "Comptabilité. Comptabilité," ils répétaient, comme un mantra.

Ce jour-là, Nzinga s’assit dans son coin, et ses pensées se turent. Il n'écrivait plus. Il ne faisait que regarder les pages vides de son carnet. Le silence était devenu plus lourd que jamais. Et c’est là que son esprit retourna aux mots qu’il avait lus dans un vieux livre poussiéreux, celui de l’auteur Aimé Césaire. "Négritude," il avait lu, "une révolte contre l’injustice. Un cri de l’âme contre la violence de l’histoire."

Dans les mots de Césaire, il se sentait enfin vu, enfin entendu. Il comprenait que l’écriture était plus qu’un simple moyen d’expression. C’était une arme. Une façon de briser les chaînes invisibles qu'on lui mettait autour de ses rêves. Mais à ce moment précis, il savait qu’il était encore loin de pouvoir utiliser cette arme.

Un soir, son oncle Kazi entra dans la chambre, un air sombre sur le visage. "Nzinga, on m’a dit que tu n’étais même pas allé à l’université aujourd’hui. Qu’est-ce que tu fous, hein ?"

Nzinga baissa la tête, incapable de regarder son oncle dans les yeux. Il savait que Kazi se battait pour lui, qu'il voulait le meilleur pour lui, mais il ne comprenait pas ce qu'il ressentait. "Je... Je suis allé," répondit-il à voix basse, se sentant déjà accablé.

"Écoute-moi bien, fils. L’école, c’est pour ton bien. Il est temps que tu arrêtes de courir après des chimères. Rends-toi à la fac demain, tu vas voir qu’après ça, tu te sentiras mieux. L’écriture, ce n’est qu’un passe-temps. La réalité, c’est autre chose."

Nzinga se leva brusquement. "Je ne veux pas être un homme qui se contente de chiffres, un homme qui vit pour une feuille de calcul. Je veux écrire. Je veux faire entendre ma voix !"

Kazi se figea. "Ecrire ? Ecrire quoi ? Tu veux nous faire honte ? Il n’y a rien dans l’écriture ici. On mange comment avec tes mots ?"

Les mots de son oncle étaient comme des coups de poing dans le ventre. Mais Nzinga se tenait debout, son cœur battant fort, et dans ses yeux, on pouvait lire la flamme d’une rébellion naissante. "Un jour, je vous prouverai que l’écriture peut nourrir plus que vous ne le croyez."

Mais pour l’heure, il savait que la route serait encore longue, semée d’embûches. Il savait que, pour réaliser son rêve, il devrait faire face à bien plus que les objections de sa famille. Il devait se battre contre les illusions imposées, contre la société, et contre lui-même. Mais au fond de lui, une chose était claire : il ne se laisserait pas enfermer dans une cage sans se battre.

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