Chapitre 5 : PROSE RELIGION 

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Nzinga était assis à la table d’un café chaleureux du centre de Montréal, les yeux fixés sur le carnet qu’il tenait entre ses mains. Il avait l’habitude d’écrire sur les bords de ses cahiers, comme un acte de rébellion contre tout ce qu’il avait vécu, contre tout ce qu’il avait enduré. Mais aujourd’hui, il avait un sentiment étrange. C'était l’instant où la reconnaissance qu’il avait cherchée pendant toutes ces années semblait enfin à portée de main. Le manuscrit qu’il avait écrit dans ses heures les plus sombres – "Prose Religion" – pouvait enfin voir le jour.

C’est là qu’il rencontra encore M. John, cet homme de l’autre fois à l'université. Ce dernier, un homme d’une cinquantaine d’années, avec des cheveux gris légèrement épars et une barbe soignée, portait un costume bleu marine qui semblait bien plus usé que son élégance naturelle ne laissait paraître. Il était l'exemple même de l'éditeur cosmopolite et pragmatique, un homme qui comprenait les arcanes du marché littéraire, mais qui était également sensible aux nouvelles voix.

"Il faut rencontrer quelqu’un," dit M. John cette fois-ci, une touche de malice dans la voix. "Il travaille dans une maison d’édition, une place où ce que tu écris pourrait faire une vraie différence."

Ainsi, après plusieurs échanges téléphoniques et quelques cafés partagés, M. John réussit à organiser une rencontre avec M. Mboa, un Camerounais qu’il décrit comme un homme aux racines africaines profondément ancrées. Mboa, à l’âge de trente-cinq ans, était tout de suite une figure imposante. Avec son costume élégant, une chemise d’un blanc éclatant et une cravate sobre mais distinguée, il semblait incarner le mélange parfait d’un homme ayant su naviguer entre ses origines et son environnement d’adoption. Il portait des lunettes à monture noire qui soulignaient l’intensité de son regard, un regard calme mais déterminé.

En lisant les premiers passages de "Prose Religion", M. Mboa se retrouva bouleversé. Ses yeux s'ouvrirent grandement, comme s'il voyait dans les mots de Nzinga une résonance avec son propre parcours, une part de son histoire. Il était frappé par l’audace de ce jeune Africain, qui osait dénoncer ce que tant d’autres avaient préféré ignorer. Les écrits de Nzinga n’étaient pas simplement des mots ; ils étaient le cri des peuples opprimés, l’écho des luttes passées et présentes, des luttes que M. Mboa avait lui-même vécues.

"Ce livre, il est nécessaire," dit-il en reposant le manuscrit, visiblement touché par les propos puissants de Nzinga. "Il a une force que je n’ai pas vue depuis des années. Il faut absolument le publier."

Mais la rencontre avec le propriétaire de la maison d’édition, M. Lemoine, un homme blanc d'une soixantaine d'années, au teint pâle et aux traits durs, ne s'annonçait pas aussi simple. M. Lemoine, vêtu d’un costume trois pièces impeccable et d'une cravate rouge sang, regarda M. Mboa avec une expression de doute. Il avait l’air de se demander si ce livre, aussi puissant soit-il, ne risquait pas de bousculer trop de certitudes dans son monde.

"Mais enfin, Mboa, il est clair que ce livre… il va créer des vagues. Nous n’avons jamais publié un texte aussi… engagé. Et puis, tu sais comme moi que la thématique… c’est difficile."

M. Mboa, loin de se laisser décourager, se leva, ajusta ses lunettes et dit d'une voix grave : "C'est précisément pour cela que ce livre doit sortir. Ce sont des voix comme celle de Nzinga qui doivent être entendues. Nous, en tant qu’Africains, nous avons toujours été marginalisés. Si nous ne faisons pas entendre notre voix, qui le fera ?"

Il insista, insista encore, convaincu que ce livre pourrait non seulement avoir un impact dans la communauté noire, mais qu’il pourrait aussi ouvrir une porte vers une compréhension plus large des luttes liées à l’identité et à la spiritualité noire.

"Mais il parle de l’Occident, de l’impérialisme, des blancs, Mboa. Tu sais aussi bien que moi qu’un livre comme ça… ça pourrait susciter des réactions. Il pourrait être censuré."

M. Mboa, ses yeux brillant d’une conviction inébranlable, rétorqua : "C’est justement pour ça qu’il faut qu’il soit publié. Parce que les gens doivent savoir, ils doivent comprendre. L’Afrique, la douleur de l’Afrique ne peut pas être ignorée plus longtemps. Ce livre pourrait changer la manière dont les jeunes Africains voient le monde."

Après plusieurs heures de discussions tendues, M. Lemoine, tout en hochant la tête, accepta enfin, mais avec des réserves : "Très bien, Mboa. Nous publierons ce livre. Mais j’espère que tu as bien conscience des risques."

Ce fut un moment de triomphe pour Nzinga, bien que tout cela se fît dans la discrétion. Il n’avait pas encore vu la gloire de la publication. Mais il savait au fond de lui que c’était le début de quelque chose de plus grand.

Prose Religion allait être publié, et Nzinga savait que c’était la première étape vers la reconnaissance qu’il avait toujours cherchée. Mais en attendant, il continuait ses études, toujours sous l’ombre de la guerre qui faisait rage chez lui. Chaque jour, il avait l'impression de se tenir entre deux mondes : celui de ses rêves, qu’il poursuivait avec ardeur, et celui de son pays, où sa mère, ses frères et sœurs, et les siens souffraient dans l’ombre du conflit.

Dans la solitude de sa chambre, entre les cours, les rencontres et les idées qui bouillonnaient en lui, il continuait à écrire. "Rêve Africain", un autre manuscrit qu’il avait en tête, attendait lui aussi son heure. Mais pour l’instant, il savait que le temps de "Prose Religion" était venu.

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