Chapitre 6 : LE FLOP

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Les premiers exemplaires de "Prose Religion" furent publiés en édition limitée, un tirage restreint, une tentative timide d’introduire ce livre dans le monde littéraire. Dès le début, la réception ne fut pas celle qu’on attendait. Les critiques, bien qu'en majorité positives sur le fond, semblaient incapables de passer outre le côté brûlant, le ton radical de l'ouvrage. Et, au fond, Nzinga le savait : le monde n’était pas prêt pour un livre qui dénonçait ouvertement l’impérialisme, le racisme et la spiritualité noire avec une telle intensité.

La première semaine de publication fut catastrophique. Les librairies ne recevaient pas les commandes. Les ventes étaient à peine perceptibles. Les critiques, dans leur majorité, commençaient déjà à qualifier le livre d'"inapproprié", trop politisé pour toucher un large public. Le téléphone de M. Lemoine, le propriétaire de la maison d’édition Équinoxe, sonnait constamment, mais aucun appel n’était porteur de bonnes nouvelles. Son visage, généralement calme, se fermait à chaque critique. Il était sûr de son jugement : ce livre était une erreur.

"Je n’ai jamais vu un livre aussi mal accueilli en si peu de temps. Ce n’est pas une simple question de marketing, Mboa. Ce livre va nous coûter bien plus que ce qu’il nous rapporte !" dit M. Lemoine, avec un ton sévère, presque accusateur.

M. Mboa, lui, restait calme, le regard brillant d’une certitude obstinée. "Ce livre est un cri de vérité, et parfois la vérité n’est pas reçue avec des bras ouverts. Il faut du temps, mais il marquera son époque."

Mais M. Lemoine n’était pas convaincu. Il voyait le flop se profiler et n'était pas prêt à accepter que son entreprise risquât autant. Au sein de la maison d’édition, les murmures commencèrent à se faire entendre. La réputation de Équinoxe était en jeu. Jamais un de leurs livres n’avait connu un tel échec.

Nzinga, dans ses moments de solitude, se retrouva pris dans une tornade d’émotions contradictoires. Son rêve était à portée de main, mais il se sentait en train de s'effondrer. La réalité qu’il avait tant désirée se transformait en cauchemar. Il se demandait : "Est-ce que j’ai bien fait de publier ce livre ? Ai-je mal jugé la situation ?"

Les critiques arrivaient de partout. Il se faisait traiter de "provocateur" et de "révolutionnaire inutile". Des militants, qui se revendiquaient comme ses soutiens, l’avaient attaqué dans les rues de Montréal, certains même se demandant s’il n'était pas devenu une victime d'un système qu'il avait tenté de dénoncer. Les débats autour de son livre étaient incessants. Certains le soutenaient pour son courage, d'autres le condamnaient, lui reprochant de trop secouer le cocotier sans tenir compte des conséquences.

Sa famille, encore au pays, entendait les échos de la situation. Et l’un de ses oncles, fidèle à son caractère pragmatique, lui asséna un coup de poignard dans le dos à travers un appel téléphonique :

"Nzinga, tu es arrivé là-bas, dans ce pays de promesses, et regarde où tu en es. Tu te retrouves à dénoncer ce que tu as vu dans ton pays, mais tu n’as pas pensé à ta vraie situation. Le Canada n’a pas besoin de ton livre. Peut-être qu’il fallait mieux te concentrer sur tes études et ne pas t'embarquer dans ce genre de projet."

Les mots de son oncle résonnaient dans son esprit. Il était pris dans un dilemme insoutenable. "Pourquoi ai-je choisi de publier ce livre ? Ai-je vraiment mesuré l’ampleur de mes actes ?"

Mais M. Mboa, loin de le laisser sombrer dans le doute, continua de le soutenir sans relâche. Il savait que le chemin serait long, que les obstacles seraient nombreux. Mais il était convaincu de la puissance de l’œuvre de Nzinga. "Tu vois, mon frère, parfois le prix de la liberté est lourd à payer, mais ce que tu écris, ce que tu portes en toi, c’est plus grand que toi. Il y a des générations qui attendent ce genre de parole."

Nzinga n’avait plus le temps de douter. Il se rendit à la première conférence sur son livre organisée par Équinoxe. Les critiques étaient toujours aussi acerbes, mais il était là, dans la salle, avec son regard fixé sur la foule. La voix du journaliste qui animait l'événement semblait bien moins puissante que le murmure des gens dans les coins sombres de la pièce. Il sentit la pression monter. Mais c’était là qu’il comprit : ce livre n’était pas seulement pour lui. Il était pour ceux qui n’avaient pas encore osé dire la vérité à haute voix.

Alors, dans une ultime tentative de sauver le livre, M. Mboa revint vers M. Lemoine avec plus d'ardeur que jamais. Il lui rappela les raisons pour lesquelles il avait tant insisté pour publier ce livre. Il se battit pour Nzinga, comme un père se battant pour son fils. Il savait que, si ce livre tombait, tout serait perdu. La réputation de Équinoxe serait ancrée dans l’échec.

Après de longues semaines de pression, de discussions sans fin, de menaces de poursuites judiciaires par des groupes opposés à ce que le livre dénonce, M. Lemoine céda. Il se rendit à l’évidence, non pas en croyant que le livre réussirait tout de suite, mais parce qu'il savait qu’il fallait aller plus loin. Il accéda à la publication du livre en format papier de masse, et une campagne de réédition fut lancée.

Dans un tribunal, le livre fut défendu par son propre auteur, son éditeur, et M. Mboa, avec la conviction d’un combat nécessaire. À la fin, il fut jugé que "Prose Religion" était une œuvre digne d’être entendue. Il fut classé parmi les ouvrages importants qui défient les dogmes, qui brisent les chaînes du silence. Le public, peu à peu, commença à lui accorder la place qu’il méritait.

Le retour fut long, mais le livre finit par devenir un succès, non pas par ses premières ventes, mais par la reconnaissance qu’il obtint au fil du temps. Les critiques cessèrent. Le nom de Nzinga, soutenu par la ténacité de M. Mboa, résonna dans les cercles littéraires du pays.

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