37 - Ne confinons pas nos sentiments 

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Alors qu’il était passé minuit, je n’avais toujours pas de nouvelles de Chris et mes messages sur nos points de contact restaient sans réponse. Epuisée et impatiente, je n’eus pas forcément les mots que j’aurais dû avoir. Ils n’étaient pas non plus irrespectueux. C’étaient juste ceux d’une personne en plein doute, qui venait de voir ses certitudes balayées en quelques échanges et qui se trouvait, de ce fait, dans une sorte de souffrance morale.

Le fait est que le retour de bâton fut assez cinglant, et selon moi assez injuste. Alors certes, il m’avait trouvée prompte à juger son attitude, mais en quelques mots méprisants, il m’avait condamnée sans aucune forme de procès. Il m’avait bloquée sur notre réseau principal, sans me laisser le temps de m’expliquer. Sur le coup, je songeai qu’un tel comportement confirmait mes craintes à son sujet. Mais avec le recul, je me doutais que rien ne devait être aussi simple. Même si, le jour même je m’étais sentie soulagée de ce poids que représentait une relation amoureuse en temps de covid, plus les jours passaient et plus il me manquait.

Alors, même s’il m’avait blessée de son mépris avec un « Pour qui vous prenez vous ! » comme simples mots d’adieu, je décidai quand même de mettre mon orgueil de côté et de tenter de renouer ce qui ne pouvait probablement plus l’être. Car, au delà de tous mes nombreux défauts, je suis une indécrottable optimiste. Je crois dans le coeur humain et je crois en moi. Si bien que je lui ai écrit une jolie lettre que voici.

« Cher Chris, me revoici dans vos messages et j’espère que ce mail arrivera jusqu’à vous.

Tout d’abord, j’espère vous trouver en bonne santé. Je connais vos engagements. Je vous admire.

Je sais que je vous ai fortement contrarié après notre dernier rendez-vous manqué. Cependant, je ne souhaite pas que nous nous quittions sur un malentendu. Je vous attendais en ligne ce soir là, voire vous espérais au téléphone. Je n’ai pas compris qu’il s’agissait juste pour vous d’une heure où nous serions juste connectés par la pensée. J’ai surréagit à votre absence. Vous savez que l’impatience est mon plus grand défaut. Et je sais trouver dans mes mots suffisamment d’hystérie et d’arrogance pour faire fuir n’importe qui. De cela aussi je vous avais prévenu.

Aujourd’hui, avec le recul, je regrette ces mots, tout comme je regrette d’avoir lu les vôtres. Je sais qu’en ces temps troublés, vous n’avez plus le luxe de l’introspection. Alors, je l’aurai pour deux. Et j’aurai aussi de l’humilité pour nous deux. Car, je sais aussi que le temps perdu ne se retrouve pas.

Vous m’avez demandé en colère : «  Pour qui vous prenez vous !? ». Vous m’avez blessée avec ces derniers mots méprisants, avant de me condamner en me bloquant. La pire sentence sur internet. Alors, certes je ne suis ni un Top model, ni un prix Nobel. Je suis juste une femme ordinaire, mais qui a suffisamment vécu pour percevoir des choses chez ses interlocuteurs. Partie de rien, je me suis faite seule. J’ai toujours douté de moi, alors que le temps m’a très souvent donné raison. Je suis debout, même après tant d’épreuves qui auraient pu me détruire. Cela peut passer pour de l’arrogance, je sais. Mais, ma fierté est tout ce qui me reste.

Je sais que le temps n’est pas favorable aux rencontres et aux sentiments. Chacun est concentré sur sa survie et celles de ses proches. Je pense, pour ma part, que j’ai volontairement sabré notre relation dans une sorte de réflexe de protection. J’espère pouvoir vous convaincre de renouer, mais je comprendrais très bien que vous ne le souhaitiez pas.

Je veux juste que vous sachiez que j’ai apprécié le temps que nous avons passé ensemble. Et que je souhaite, de tout mon coeur, que nous puissions un jour reprendre nos discussions là où nous les avions laissées. Profitons du temps présent et l’un de l’autre. Carpe Diem.

Vous me manquez. Je vous embrasse.

Julia. »

Cependant, je n’eus aucune réponse. Ni à ce mail, ni au sms que je lui envoyai en parallèle, ni a toutes mes invitations sur le site où nous nous étions rencontrés. Rien. Même si je vérifiais tous les jours de la semaine suivante, c’était le néant. J’étais déçue. J’y avais cru. Enfin, j’avais voulu y croire. Même si je savais pertinemment que la fuite était son seul remède. Celui qu’il utilisait pour se débarrasser de toute situation ou personne gênante. C’était son réflexe de survie peut-être, comme de s’enfuir dans des missions humanitaires pour s’éloigner de son contexte familial devenu étouffant. Après ça, que dire ? Qu’écrire ? Que les héros sont aussi des humains, avec leur grandeur, mais aussi leur bassesse.

J’accusais le coup pendant quelques jours. Même si peu m’importait d’être rejetée, je n’appréciait pas du tout la manière. Etre ainsi ignorée, niée, déshumanisée, voilà ce qui me faisait le plus de mal. Il m’avait rayée du monde en un simple clic. Et son silence pesant ensuite, me culpabilisait autant que si j’avais fait un truc horrible, alors qu’il n’en était rien. J’avais juste pété un câble sous la pressions des émotions qui me taraudaient. Je me doutais que sa vie IRL devait être en plein chaos vus les chiffres terrifiants qui tombaient tous les soirs. Il ne voulait certainement pas se prendre la tête avec une emmerdeuse comme moi, mais plutôt s’évader de cet enfer du quotidien.

Cependant, les déceptions ne peuvent détruire ce qui est déjà fait de cendres. Comme le phénix, les gens comme moi renaissent toujours. Et ils renaissent encore plus facilement dans le monde numérique. Les coups du destin les traversent, car ils n’ont aucune prise sur eux, et encore moins dans le virtuel.

Alors, je repris mes errances sur les autoroutes de l’information. A la recherche de je ne sais quoi ou de je ne sais qui. Si ce n’était ce qui me donnerait l’ivresse. Cette douce griserie que j’avais retrouvée en jouant un rôle si longtemps abandonné. C’était comme si, en partant, Chris m’avait fait replonger dans des drogues dures sans me laisser ma dose. Dans un recoin mal famé du net, j’en avais pourtant retrouvé facilement. Du genre qui te met bien la tête à l’envers, qui t’envoie vers des ailleurs où tu ne voulais plus aller.

Ces drogues avaient le goût de soumis de tous les pays, et il n’était pas rare que je rédige en simultané des mots sales dans un chat en anglais, réponde en espagnol dans un autre et termine une conversation avec un francophone dans un troisième. Avec ce monde entier en confinement, je n’avais que l’embarras du choix. L’ennui et l’absence de sexe pour certains commençaient à peser et ils étaient près à tout pour avoir, eux aussi, leur dose de sensations. Je m’amusais de leurs désirs plus ou moins assumés. Ils étaient tous dominants en façade, mais si je creusais un peu ils étaient tous prêt à abandonner cul et âme à la louve que j’étais redevenue.

Côté boulot, au milieu de deux dossiers, j’étais tombée sur le compte Instagram personnel de Baby. Elle m’avait transférée, involontairement (?) une photo d’un emplacement sympa pour l’un des restaurants de notre client coréen. Naviguant sur ce joli compte plutôt bien alimenté, je l’y observais, avec effroi, faisant la fête avec quelques amis sur des toits de zinc parisiens. Je songeais que les jeunes n’avaient pas encore compris les risques qu’ils courraient avec le virus. Sur des clichés plus anciens, je notais aussi - en souriant - sa proximité linguale avec une belle femme qui semblait plus âgée. Et, je n’avais, d’un coup, plus aucun doute ni sur l’origine de son étourderie, ni sur QUI elle voulait charmer avec ses tenues affriolantes.

Mais, pour l’heure, je n’en fis rien paraître et gardais mes distances avec mon envoutante stagiaire. J’avais déjà du lourd en magasin en la personne d’un trentenaire suisse, bi, naturiste et soumis. Il avait coché toutes les cases de mes perversions et je n’avais pu retenir mes crocs qui étaient déjà plantés sur le rebondi de ses petites fesses. Du peu que je savais de lui, toutes les alarmes étaient au rouge. Mais, c’était déjà trop tard. J’avais ce goût de sang sur ma langue. Celui qui rend fou tout vampire trop longtemps affamé. Advienne que pourra.

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