Mercredi - La bulle (partie 1)

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 La cafetière émettait son dernier gémissement d’un autre matin routinier. Julie, quadragénaire aux gestes automatiques, déposa la tasse fumante sur la table en formica éraflé de la cuisine. Les rides subtiles marquant son visage reflétaient une lassitude quotidienne, une fatigue accumulée au fil des années. Ses cheveux, autrefois éclatants de vie, tombaient maintenant en mèches ternes autour de son visage. Elle observa sans réel intérêt le liquide noirâtre se mêler à une cuillère de sucre blanc raffiné et bon marché.

 Son mari, Étienne, feuilletait le journal à l’autre bout de la table. Un homme banal aux cheveux grisonnants, silencieux et absent, il tournait les pages avec une régularité mécanique. Leurs échanges matinaux se limitaient à quelques mots anodins sur la météo ou les courses à faire. Leurs conversations avaient, depuis longtemps, perdu l’étincelle de la spontanéité.

 Elle leva les yeux et contempla les murs de la cuisine, jaunes de nicotine, témoin de trop nombreux matins semblables. Elle soupira doucement, observant par la fenêtre les gouttes de pluie s'écraser contre le verre, créant des motifs éphémères et sans signification. La monotonie de sa vie se reflétait dans chaque goutte, chaque moment répétitif et sans relief.

 En quittant la table, elle effleura machinalement l’épaule de son mari. Il répondit par un vague grognement, à peine conscient de ce contact furtif. Il replongea immédiatement dans les colonnes de son quotidien, un rituel immuable.

 Elle se dirigea vers la chambre pour se préparer. Elle enfila son tailleur gris, celui qu’elle portait chaque jour, ajustant distraitement son col. Dans le miroir, son reflet lui renvoya l’image d’une femme ordinaire, piégée dans une routine sans fin. Elle retira une mèche rebelle de son front, un geste familier, avant de se diriger vers la porte d’entrée.

 « Je pars », annonça-t-elle, sa voix se perdant dans le vide de l’appartement.

 Sans attendre de réponse, elle attrapa son sac et sortit, laissant derrière elle une maison plongée dans une torpeur silencieuse. Le hall d’entrée, avec ses murs blanchis par les ans, résonnait des bruits de ses talons, échos de son existence morne. Julie descendit les marches, son esprit déjà embrumé par les tâches prévisibles de la journée à venir.

 Sa vie était une bulle fragile, flottant sans but dans l’air stagnant de la banalité. Une bulle qui, un jour, éclaterait peut-être, mais pour l’instant, elle continuait son chemin, indifférente aux désirs étouffés qui sommeillaient en elle.

 L’écran de l’ordinateur projetait une lueur blafarde sur son visage, accentuant les cernes qui soulignaient ses yeux, pourtant si bien maquillée. Absorbée par les chiffres et les graphiques, elle ne remarqua pas immédiatement la présence de Marc, un collègue à l’allure décontractée, planté devant son bureau.

 « Julie, j’ai quelque chose à te proposer », lança-t-il avec un sourire énigmatique, son pouce et son index formant un rond.

 Elle leva les yeux, un sourcil légèrement arqué. Le visage de Marc, habituellement jovial, semblait aujourd’hui empreint d’une excitation contenue. Il déposa une brochure sur son bureau, ornée d’une illustration futuriste.

 « La bulle ? », lut-elle à voix haute, intriguée par ce nom qui résonnait en elle.

 Elle frôla du bout des doigts le papier glacé, où des silhouettes en apesanteur semblaient flotter dans un espace infini.

 « Oui, confirma-t-il, ses yeux pétillants d’anticipation. C’est une nouvelle expérience en réalité virtuelle, une sorte d’escape-game révolutionnaire. Enfin c’est pas tout à fait ça, mais ils disent que c’est tellement immersif qu’on en oublie le monde réel. J’ai pensé que ça pourrait te plaire. »

 Elle sentit une légère curiosité percer le voile de sa routine. Il continua, détaillant les promesses de cette aventure hors du commun, décrivant des environnements changeants, de potentielles énigmes à résoudre et une liberté de mouvement inédite.

 Elle prit la brochure, son regard passant de Marc à l’image captivante. Les mots « immersion totale » et « exploration sensorielle » semblaient danser devant ses yeux. Un frisson parcourut son échine.

 « Alors, qu’en dis-tu ? » Son collègue observait chaque nuance de son expression, attendant sa réponse.

 Elle hésita, jetant un coup d’œil à l’écran de son ordinateur où les tâches inachevées semblaient peser de tout leur poids. Puis, d’un geste presque imperceptible, elle hocha la tête.

 « Pourquoi pas ? », répondit-elle enfin, sa voix teintée d’une curiosité nouvelle.

 Un sourire complice illumina le visage de Marc.

 « Parfait ! Je te donne rendez-vous ce soir, à la sortie du bureau. On ira ensemble. »

 Julie acquiesça, reposant la brochure sur son bureau. Une bulle, pensa-t-elle, peut-être que c’est ce dont j’ai besoin, une évasion de cette monotonie étouffante.

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