Mercredi - La bulle (partie 2)

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 Marc s’éloigna, sa silhouette se fondant dans l’agitation des bureaux environnants. Elle contempla un moment la brochure, puis retourna à son écran, mais cette fois avec une étincelle d’anticipation dans les yeux.

 Après le travail, au point de rendez-vous avec Marc, elle ajusta le casque de réalité virtuelle sur sa tête, ses doigts tremblant légèrement. Le dispositif se mit en marche seul, projetant une lumière éclatante qui l’aveugla un instant. Puis, elle ouvrit les yeux sur un monde transformé. Devant elle, une prairie s’étendait à perte de vue, baignée d’une lumière douce et enveloppante. Elle sentit sous ses pieds la texture délicate des herbes, chaque brin vibrant d’une couleur plus intense que dans la réalité.

 « Incroyable », murmura-t-elle, sa voix se perdant dans l’immensité du paysage.

 Une brise légère caressait son visage, portant avec elle le parfum enivrant des fleurs sauvages. Des papillons multicolores dansaient autour d’elle, leurs ailes frôlant sa peau. La quadragénaire, d’un geste hésitant, tendit la main vers l’un d’eux, éclatant de rire enfantin lorsqu’il se posa doucement sur son doigt. Elle n’avait pas ressenti une telle joie depuis des années.

 Soudain, la prairie se transforma et elle se retrouva sur une plage paradisiaque. Les vagues s’écrasaient doucement contre le sable, leurs murmures formant une mélodie apaisante. Les pieds nus, elle s’avança vers l’eau, sentant la fraîcheur des vagues lécher ses orteils. Une cabane en bois se matérialisa à quelques pas de là, son architecture simple et élégante invitant au repos. Alors, sans même y réfléchir, elle y pénétra.

 À l’intérieur, une bibliothèque garnie de livres rares l’attendait, des volumes qu’elle avait toujours rêvé de lire. Un fauteuil confortable trônait près d’une grande baie vitrée offrant une vue imprenable sur l’océan. Elle s’y installa, prenant un bouquin au hasard. Chaque mot semblait résonner en elle, éveillant des émotions longtemps enfouies. La sensation de satisfaction était si intense qu’elle en oublia presque le monde extérieur.

 Les heures passèrent sans qu’elle ne s’en rende compte. Le retour à la réalité fut brutal. Le casque ôté, la grisaille de sa vie la frappa de plein fouet. Les chiffres et les graphiques reprirent leur place oppressante dans son esprit. Pourtant, une lueur d’excitation persistait dans ses yeux. Elle savait qu’elle reviendrait. Ce monde a quelque chose de magique, pensa-t-elle.

 Les jours suivants, Julie fit des allers-retours fréquents entre sa vie réelle et « la bulle ». Chaque incursion dans cet univers virtuel la plongeait dans des aventures nouvelles et exaltantes. Un soir, elle se retrouva dans une villa luxueuse, entourée d’amis imaginaires qui la célébraient. Une autre fois, elle explora une forêt enchantée, où chaque arbre semblait murmurer des secrets millénaires. Le bonheur qu’elle y trouvait surpassait de loin celui de sa vie quotidienne. Elle se sentait au paradis.

 Étienne remarqua rapidement les absences prolongées de sa femme, ses yeux perdus dans le vide lors des repas. Lors d’un dîner en tête-à-tête, alors qu’il feuilletait distraitement le programme télévisuel, il osa enfin demander :

 « Julie, tout va bien ? Tu sembles ailleurs ces derniers temps. »

 Elle leva les yeux, son regard flou trahissant son esprit encore envoûté par l’univers de « la bulle ».

 « Oui, tout va bien », répondit-elle mécaniquement, avant de replonger dans ses pensées.

 Son mari soupira, secouant la tête. Elle a l’air heureuse, c’est tout ce qui compte, se dit-il, tentant de se convaincre que ce changement soudain n’était pas alarmant.

 Mais pour Julie, chaque retour dans la réalité devenait de plus en plus pénible. Le contraste entre la magnificence de « la bulle » et la monotonie habituelle creusait un fossé grandissant. Les soirées passées à la maison, en silence aux côtés d’Étienne, semblaient interminables. Plus elle était éloignée de son paradis, plus sa vie lui semblait un enfer. Alors, elle attendait avec impatience chaque nouvelle session de réalité virtuelle, où ses désirs les plus profonds trouvaient enfin leur accomplissement.

 Un matin, elle réalisa avec une pointe d’angoisse que son travail en souffrait. Les tâches autrefois routinières devenaient des obstacles insurmontables. Elle rêvait éveillée de retourner dans « la bulle », où tout était possible et où elle se sentait vivante. Son addiction croissante à cet univers parfait prenait lentement, mais sûrement le dessus sur sa réalité.

 Elle se délectait des couleurs éclatantes du jardin luxuriant qui l'entourait. Les roses d'un rouge profond et les lys d'un blanc pur formaient un tableau idyllique, presque irréel. Ce paysage lui rappelait, elle n’aurait pas su dire pourquoi, le tableau de Henri Fantin-Latour : Roses et Lys. Elle aimait les fleurs, elle les avait toujours adoré. Elle se pencha pour inhaler le parfum enivrant d'une pivoine lorsqu'un murmure délicat s'insinua dans ses pensées.

 « Julie... »

 Elle redressa la tête, ses yeux parcourant les alentours. Personne. Un ruisseau serpentait tranquillement à travers les herbes hautes, ses eaux claires reflétant un ciel azur, immaculé. Le murmure se dissipa comme un souffle de vent.

Une illusion auditive, se rassura-t-elle, reprenant sa promenade à travers ce paradis virtuel.

 Plus tard, alors qu'elle s'installait dans un hamac suspendu entre deux arbres majestueux, le bruit doux des feuilles frémissantes accompagna sa rêverie. Elle ferma les yeux, savourant la sensation de légèreté. Soudain, la voix se fit entendre à nouveau, plus distincte cette fois.

 « Julie, s’il te plaît. »

 Ses paupières s’ouvrirent brusquement, le hamac se balançant doucement. Elle scruta l’horizon, ses doigts se crispant sur la toile. Le jardin restait paisible, aucun signe de présence humaine. En revanche, une goutte de sueur glissa le long de sa tempe.

 Lors de sa prochaine visite dans « la bulle », elle décida d'explorer un vaste château médiéval. Les murs de pierre imposants et les torches vacillantes créaient une atmosphère à la fois majestueuse et intimidante. Tandis qu’elle traversait une grande salle de banquet, la voix résonna une fois de plus.

 « Julie, reviens... »

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