Mercredi - La bulle (partie 4)

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 Elle se redressa brusquement, le regard paniqué, balayant les alentours. Rien ne semblait réel, tout était trop parfait, trop contrôlé. Quelqu’un devait lui jouer un tour, une mauvaise blague. Une sueur froide perlait à son front. L’angoisse l’étreignait, la plongeant dans une réalité plus inquiétante que le paysage qui l’entourait. Elle vivait un enfer paradisiaque, un paradis infernal.

 De retour chez elle, elle se trouvait incapable de se concentrer sur les tâches quotidiennes. Les murmures la poursuivaient, même loin du casque de réalité virtuelle. Ils étaient indistincts, certes, mais bien là, toujours là. Les pièces de son appartement semblaient se refermer sur elle, chaque ombre prenant une dimension nouvelle et menaçante. Étienne, de plus en plus préoccupé, l’observait avec une inquiétude silencieuse.

 « Tout va bien, Julie ? » demanda-t-il un soir, son ton chargé de sollicitude. Il tendit la main pour effleurer la joue de sa femme.

 Elle esquiva le geste, croisant les bras et détournant le regard.

 « Oui, tout va bien », répondit-elle, sa voix tremblante trahissant sa nervosité.

 Mais en vérité, rien n'allait plus. Lors de sa dernière session dans « la bulle », elle avait senti une présence oppressante, comme si elle était constamment observée. Parfois, il lui semblait même sentir une main dans la sienne. Les ombres se mouvaient d'une manière presque consciente et les voix, devenues plus insistantes, la poussaient à quitter cet endroit autrefois réconfortant. Elle se mit à craindre chaque plongée dans ce monde virtuel, mais l'attrait irrésistible de cet étrange technologie la ramenait sans cesse.

 Un soir, alors qu'elle se trouvait dans une bibliothèque majestueuse, la voix se fit plus autoritaire, presque impérative.

 « Il faut partir maintenant ! »

 Elle sursauta, lâchant le livre qu'elle tenait. Elle sentait pourtant que la voix n’était pas pour elle, elle n’aurait pas su dire pourquoi, mais l’idée c’est pour les visiteurs, s’installa dans son esprit.

 Le livre au sol, les pages se dispersèrent autour d'elle, emportées par un vent invisible. Là, à cet instant, le malaise devint insupportable. Elle recula précipitamment, cherchant une issue. Les murs de la bibliothèque semblaient se resserrer, les couvertures colorées prenant une teinte inquiétante, leurs titres se modifiant en avertissements cryptiques.

 Le souffle court, elle arracha le casque de réalité virtuelle, haletante, les mains tremblantes. Elle fixa l’appareil, le cœur battant à tout rompre, consciente que quelque chose de profondément perturbant se cachait dans ce monde virtuel.

 Elle ne se souvenait pas avoir remis le casque, pourtant, elle se tenait au centre d'une immense salle de bal, les lustres en cristal jetant des éclats de lumière irisée sur les murs tapissés de soie. Des couples élégamment vêtus tourbillonnaient autour d'elle, leurs rires et murmures formant une mélodie enchanteresse. Mais cette fois, l'illusion ne la berçait plus. Chaque visage était flou, chaque sourire déformé : une danse macabre.

 « Julie... Julie... »

 Les voix résonnaient dans sa tête, un chœur discordant qui ébranlait son esprit. Elle porta les mains à ses tempes, essayant de faire taire ce tumulte intérieur. Pourquoi je n’arrive pas à enlever ce casque ? hurlait-elle intérieurement. Les visages autour d'elle se fondaient en une masse informe, menaçante, leurs yeux vides et fantomatiques fixés sur elle.

 Elle recula, heurtant une table chargée de mets somptueux qui s'éparpillèrent au sol. Les rires se muèrent en murmures, les murmures en une psalmodie malsaine. Les invités se tournèrent tous vers elle, comme attirés par sa panique. Un homme en redingote noire s'avança, ses traits fondant et se reformant sans cesse, un rictus cruel déformant ses lèvres.

 « Julie, pourquoi résistes-tu ? Rejoins nous ! » lança-t-il d'une voix éthérée.

 Elle fit volte-face et se précipita vers la sortie, ses talons claquant désespérément sur le marbre glacé. Les portes se dérobèrent sous ses doigts, se métamorphosant en murs solides. Le monde autour d'elle se resserrait, chaque recoin de « la bulle » devenant un piège.

 « Laissez moi sortir d’ici ! » cria-t-elle, en vain.

 Plus tard, Julie tentait de maintenir une façade de normalité. À son bureau, les chiffres et les graphiques dansaient devant ses yeux, devenus flous et incompréhensibles. Les voix ne la quittaient plus, murmurant constamment, même au milieu de ses collègues. Elle surprit Marc l’observant avec inquiétude, ses yeux plissés de préoccupation.

 « Julie, tu sembles ailleurs. Es-tu sûre que tout va bien ? »

 Elle esquissa un sourire forcé, les doigts serrant nerveusement un stylo.

 « Oui, tout va bien », mentit-elle, sa voix trahissant une fragilité grandissante.

 Mais les voix ne cessaient de la harceler, de plus en plus insidieuses, de plus en plus omniprésentes. Lorsqu'elle rentrait chez elle, chaque ombre dans l'appartement semblait prendre vie, chaque petit son amplifié par l’obscurité. Elle allumait toutes les lumières, espérant dissiper l'angoisse qui la rongeait. Mais même éclairée, la pièce semblait entourée de ténèbre.

 Une nuit, alors qu'elle se lovait sous les couvertures, espérant trouver un semblant de répit, les voix s'intensifièrent, perçant le voile de ses rêves. Les murs de sa chambre semblèrent se rapprocher, le plafond s'abaissant lentement, transformant l'espace en une prison suffocante. Elle se redressa en sursaut, le cœur battant à tout rompre.

 « Laissez-moi tranquille ! » s’écria-t-elle dans le noir, sa voix se brisant en écho dans la pièce vide.

 Elle se leva précipitamment, titubant vers le salon. Les murmures la suivaient, des fantômes dansant à la périphérie de sa vision. Elle s’effondra sur le canapé, enfouissant son visage dans ses mains. Les souvenirs de « la bulle » s'entrechoquaient dans son esprit, chaque image transformée en cauchemar, un cauchemar d’où elle ne se réveillait pas.

 Les jours suivants, elle évita « la bulle », craignant ce qu’elle pourrait y trouver. Mais les voix persistaient, la poursuivant même au travail. Les collègues chuchotaient sur son passage, leurs regards emplis de compassion et de suspicion. Julie sentit sa réalité se fissurer, les frontières entre le monde virtuel et le réel devenant floues. Je deviens complètement folle, seigneur, aidez moi !

 Un soir, à bout de nerfs, elle se résolut à affronter « la bulle » une dernière fois, espérant y trouver des réponses. Le casque de réalité virtuelle semblait plus lourd que jamais lorsqu'elle l'enfila, ses doigts tremblant d'appréhension.

 Elle se retrouva dans un désert aride, le sable brûlant sous ses pieds nus. Les dunes s'étendaient à perte de vue, un ciel rougeoyant pesant sur elle. Les murmures devinrent des cris, le vent hurlant son nom. Les images autour d'elle prirent forme, des silhouettes indistinctes se mouvant avec une fluidité inquiétante.

 « Julie, réveille toi... »

 Elle se retourna, découvrant une figure spectrale, son propre visage reflété dans des yeux vides. Un rire sinistre éclata, résonnant dans l'immensité désertique. Elle recula, trébuchant sur une racine invisible. Malgré la rotation anormale de sa cheville, elle n’eut pourtant pas mal. Alors, la terre se déroba sous ses pieds, l’engloutissant dans une nébulosité glaciale.

 Le casque tomba, seul, de sa tête. Elle haleta puis pleura toutes les larmes de son corps.

 Elle ouvrit lentement les yeux, la lumière crue des néons perçant ses paupières fragiles. Le plafond blanc et aseptisé s'étendait au-dessus d'elle, un contraste frappant avec les paysages colorés de « la bulle ». Elle tenta de bouger, mais une douleur sourde irradiait de chaque fibre de son corps, la clouant au lit.

 À côté d'elle, Étienne était assis, son visage marqué par des cernes profondes et une barbe naissante. Ses yeux, habituellement si calmes, étaient rouges et gonflés. Il se pencha en avant, attrapant délicatement la main de sa femme.

 « Julie, tu es enfin réveillée », murmura-t-il, sa voix brisée par l'émotion.

 Elle cligna des yeux, essayant de faire le lien entre cet homme épuisé et la réalité qui l'entourait. Où suis-je ? Que s'est-il passé ? Les questions tourbillonnaient dans son esprit confus.

 Son mari caressa doucement sa main, la regardant avec une intensité mêlée de soulagement et de tristesse.

 « Tu as eu un accident de voiture, il y a trois semaines. Tu es restée dans le coma tout ce temps. »

 Le choc de ses paroles la traversa comme une décharge électrique. « La bulle », les voix, tout cela n’était qu’un rêve, une illusion née de son esprit tourmenté. Elle scruta le visage de son mari, cherchant des réponses dans ses yeux.

 « Les voix... » commença-t-elle, sa voix à peine plus qu’un souffle. « Les voix dans ma tête, c’était... toi ? »

 Il hocha la tête, une larme roulant lentement sur sa joue.

 « Oui, c’était moi. J’ai passé tout ce temps à te parler, à te dire que je t'aimais, que je t’attendais. Je ne voulais pas que tu te sentes seule. »

 Elle serra un peu plus fort la main de son mari, une vague de gratitude et de souffrance l’envahissant. Les souvenirs flous se dissipaient lentement, remplacés par la réalité brute de son corps meurtri et de l'amour indéfectible de son époux. Elle comprit que les murmures et les cris n’étaient que des échos de la voix d’Étienne, tentant désespérément de la ramener.

 « Merci », murmura-t-elle, une larme solitaire roulant sur sa joue. « Merci de ne pas m’avoir abandonnée. »

 Il se pencha et déposa un baiser tendre sur son front, ses lèvres tremblantes.

 « Je ne t’aurais jamais laissée tomber, Julie. Tu es tout pour moi. »

 Les machines autour d'eux bipaient doucement, rythmant le retour progressif de Julie à la conscience. Elle se sentait fragile, mais le lien avec son mari la rendait plus forte. Je suis de retour, et je ne suis pas seule, pensa-t-elle, serrant la main de son époux comme un ancrage dans cette nouvelle réalité.

 Le temps passerait, et les cicatrices de l’accident se refermeraient lentement. Elle savait que la route serait longue, mais elle n’était plus une simple spectatrice de sa vie. Avec Étienne à ses côtés, elle affronterait chaque défi, chaque douleur, chaque jour à venir. Cette bulle ne serait plus qu’un souvenir lointain, une prison dorée dont elle se serait enfin libérée.

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