Famille
Les drôles d’événements enfin digérés, la vie repris son cours normalement. Askr et sa petite sœur Astridir passaient leurs journées à courir au milieu des bêtes, il leur arrivait régulièrement de se perdre dans la forêt, et à chaque fois, Gorm passait des heures à les cherchées. Les arbres étaient hauts sur ces terres, les nombreuses samares d’Yggdrasil donnaient chaque année naissance à d’innombrables bourgeons d’Arbres-mondes. Ces nombreux arbres, qui grattaient le firmament de leurs hautes branches, favorisaient la présence de différentes espèces animales qui n’aurait normalement aucune raison de venir s’installer dans un climat aussi froid. Sans ces arbres, il ne fait aucun doute que ces terres froides seraient, à ce jour, arides, sans la moindre vie, ils étaient la vie de ce monde. Nombreuses étaient les légendes sur ces arbres, certains disaient qu’ils recueillaient les rêves de chacun, d’autres, qu’ils les dispensaient. Les Celtes, plus au sud, eux, disaient que ces arbres étaient la source même de la vie, qu’avant eux, il n’y avait rien, qu’ils permettaient l’harmonie entre les êtres, que chaque souffle poussait n’était en réalité qu’un don, une offrande de ces arbres. L’Yggdrasil lui-même, n’était qu’un de ces arbres, l’origine de ceux-ci, il s’élevait à travers l’Au-Dela, ses racines se plongeant au plus profond de la réalité elle-même. Ses branches, ses feuilles étaient si grandes, si imposantes, que les voisins du Nord, notamment les Slaves, en apercevait régulièrement l’ombre par les jours de grand soleil. Oui, ce monde était magnifique, et les arbres qui y poussent nourrissaient bien des légendes.
L’une d’entre elle, la plus connue, raconte qu’un jour, le serpent Niddhöggr, l’ignoble créature, le dévoreur de cadavre, aura fini son œuvre, et après des milliers d’années à ronger les racines d’Yggdrasil, causera sa mort. Avec la mort de l’arbre, viendra celle de chacun des mondes se reposant sur celui-ci.
Ce soir-là, Astridir rêva de ce jour fatidique, du haut de ses huit ans, elle vit le monde chuté. Les armées d’Asgard et du Vanaheim se levant, Loki, menant les géants au combat. À travers, les vestiges de l’arbre monde, la guerre faisait rage, une guerre d’une violence inégalée à travers l’Histoire. Les frères s’entre-tuaient, un temps de hache et d’épées, un temps de bouclier brisé. Un temps de tempête, le temps des loups, une guerre qui arrêtera toutes les guerres, avant que le monde ne s’effondre, une guerre dont personne ne reviendra. Ses parents furent les premiers à tomber sous les coups des armées du Niflheim. Sous la lame de Surt, Askr les suivit rapidement, ne laissant pas la moindre trace de son existence, Astridir, vit de ses jeunes yeux, le plus terrible des jours. Il en était trop pour elle. Se réveillant, en sueur, au milieu de la nuit, les sanglots de la fillette se firent entendre, brisant le silence, et réveillant la petite famille.
C’est Askr, qui fut le premier à se réveiller. La maison n’étant pas bien grande, les enfants partageaient sans surprise leur chambre. Et si, les nuits ou Askr attrapait froid, et, ronflait à faire craquer les murs, Astridir priait les dieux pour un jour avoir sa propre chambre, en des soirs comme celui-ci, elle bénissait elle se réjouissait d’avoir son grand-frère avec elle. La nuit fut longue, Astridir la passa à pleurer, serrant Askr de ses maigres forces, refusant de fermer les yeux, craignant le retour de ce mauvais rêve. Il fallut trois à quatre heures pour qu’enfin, le sommeil l’emporte sur la peur, et que les rêves ne remplacent les cauchemars. Astridir, passa la nuit au creux des bras d’Askr, un Askr tremblant, et qui, au petit matin, avait attrapé froid. Le pauvre garçon était gelé, sa couverture lui avait été subtilisé, et après plusieurs heures à pleurer, la fillette avait trempé son pauvre grand-frère...
Les jours passèrent et se transformèrent en semaines qui devinrent des mois puis des années.
Les dernières années furent, comme il s’y attendait, des plus paisibles. Le travail à la ferme de la famille ainsi que ses régulières marches au cœur des terres firent de lui un jeune homme déjà très solide et à la musculature robuste pour son âge. À ses treize ans, il fut enfin admis parmi les autres hommes au cours d’un raid sur les terres de l’est. Évidemment, sa première intégration fut accueillie avec crainte par ses parents, mais rapidement, celle-ci disparut, et le jeune homme se révéla être un atout phénoménal. Sa connaissance des vents et de la mer fit de lui un membre quasi-nécessaire à chaque levée des voiles. Sous sa volonté, la brise soufflait et les mers s’apaisaient. Là ou avant certains craignaient la mer et ses dangers, aujourd’hui, ils trépignaient d’impatience, les bateaux embarquant le jeune guerrier étaient réputés pour être béni par les dieux. Même les monstres à l’affût sous les vagues, semblaient refuser de s’attaquer aux navires qui embarquaient le garçon.
Et pourtant, malgré tout cela, ce n’étaient pas ces longs voyages que ses confrères attendaient avec le plus d’impatience, non.
Ce qu’ils attendaient, c’était cette vision ahurissante.Celle de la bête d’or qui se déchaînait sur le champ de bataille.
La terre qui se levait à chacun de ses pas, les flammèches se transformant en brasier, la foudre frappante. Ses souffles semblables à d’innombrables ouragans, avant la charge. Cette charge qui lui valut son titre “ Gullinbursti, la bête d’or “. Sa hache et son bouclier en main, il chargeait tel le sanglier de Freyr. Ses yeux empreints de la rage du combattant. À peine était-il âgé de 13 années mortelles qu’il marchait sur le champ de bataille comme au cœur d’un jardin. Les volées de flèches étaient repoussées par ses hurlements. Les lames se brisaient sur son bouclier. Les armures pliées sous ses coups. Il semblait impossible à arrêter. Les quelques épées parvenant à contourner son bouclier, venaient se fracasser sur sa peau, semblable à la croûte rocheuse de Galdhøpiggen. Les éléments répondaient à ses appels et aucun château ou aucune forteresse ne lui résistait. Les murs tombaient d’eux-mêmes, les douves se vidaient et les maisons de bois s’embrasaient spontanément. Askr était une armée à lui tout seul, l’être le plus craint du Middgard, un cataclysme qui se dissimulait sous les traits d’un adolescent.
Et pourtant, une fois rentré, une fois ses armes posées et son pied ancré sur sa terre, il semblait aussi inoffensif que les agneaux dont il s’occupait. Et cette impression se renforçait plus encore lorsqu’il se trouvait aux alentours de sa “ sœur “. À ses yeux, la demoiselle incarnait la pureté et l’innocence, la petite dame à peine plus jeune que lui se trouvait être l’objet de ses meilleurs sentiments, elle était sa petite-sœur bien-aimée et il se devait de la protéger à tout prix. Mais cette vision des choses lui était personnelle, et la dame elle ne le voyait pas de cet œil du tout. Aux yeux d’Astridir, lui représentait un idéal masculin, en effet, il était craint de ses ennemis et aimé par ses amis. Il était doux et aimable, souriait en permanence et s’occupait d’elle avec la plus grande attention. Sa force, n’était plus à prouver lui qui avait, du haut de son jeune âge déjà défait Ormur Stórólfsson. Devant ce jeune homme à l’aura quasi-divine, Astridir ne pouvait que tomber en pâmoison et passa bien des jours à le fantasmer. Et plus tard, ses nuits, également, furent occupée par l'idée d'une romance avec son " frère ". Du haut de leurs 14 années, ils ignoraient encore bien des choses à propos des cruels desseins des Nornir. À vrai dire, ils en ignoraient absolument tout. La vie était douce, paisible, chaque jour était rythmé par ce quotidien aux cotes des bêtes et de la terre ou des raids sur des terres inconnues.
Mais, rien n’est jamais simple, cette année-là, en 782, les armées de Charlemagne menèrent l’assaut sur la Germanie. 4 500 Saxons perdirent la vie dans cette guerre. Les troupes du Dieu Unique s’étaient mises en branle. Il était hors de question de laisser un tel affront passé. L’assaut serait mené par les hommes du Nord, ils frapperaient à leurs tour, fort, précisément, et sans pitié, ils vengeraient la mort de leurs frères et sœurs.
Ainsi, quelques semaines après avoir eu vent de ce massacre, les armées du Nord se levèrent, les premiers à subir seraient les enfants de l’Unique à l’ouest, sur une ile nommée Britannia. Askr fut assigné à la première expédition, celle qui avait pour but d’éclairer la voie, d’établir un chemin sûr. Et ils trouvèrent rapidement ce chemin, mené par les vents et les ailes noir du corbeau, les hommes et femmes du Nord posèrent bientôt le pied sur les terres de l’Unique.
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