Le réveil
Lentement, Askr ouvrit les yeux. Cherchant à se situer, il regarda à droite, puis à gauche, il semblait seul dans sa chambre et cette observation le fit soupirer de soulagement.
“ Au moins, ils m’ont couché dans mon lit... J’ai dû dormir un moment par contre, le matelas est complètement creusé. “
Lui qui était si fier de sa force et de sa stature posa les yeux sur ses bras. Il fondit presque en larmes, c’était pitoyable, ses si beaux bras, fort et musclés, il avait soulevé un mat de langskip avec ceux-ci ! Comment pouvaient ils l’avoir trahi à ce point ? Il avait sommeillé longtemps, mais du tout de même ! Il n’avait plus que la peau sur les os et ce n’était pas un euphémisme, ses bras étaient aussi faibles et fragiles que ceux d’une mante religieuse. S’il l’avait pu, il serait en train de pleurer à cet instant. Sa force n’était plus qu’un vestige lointain. S’en était au point, ou il mit sur le compte de cette faiblesse le poids qu’il sentait sur ses jambes. Un poids dont il était convaincu qu’il était celui de la couette posée sur son corps. Il pensait que sa faiblesse était l’explication la plus logique du poids de celle-ci. Mais quand finalement, il rassembla la force de se dresser, il vit que ce poids n’était pas celui de la couette, mais celui d’Alcestis qui ne semblait pas non plus en un très bon état. Cette vue lui perça le cœur plus profondément encore que la lame de Mikaël. Elle avait sans aucun doute perdu beaucoup de poids, et sa silhouette autrefois si harmonieuse avait perdu de sa superbe. Elle semblait également manquer de sommeil, son visage était creusé, des cernes d’un noir profond couraient sous ses yeux. La fière Alcestis n’était plus que l’ombre d’elle-même, il comprit rapidement que son état était dû à son refus de quitté son chevet. Elle, qui ne cessait de le rabrouer, était aujourd’hui aux portes de la mort, car elle refusait de le laisser seul.
À côté de lui, posée sur sa table de chevet, une pomme était épluchée et coupée en morceaux, certainement l’œuvre d’Alcestis. Le travail avait été maladroit, mais il y voyait sans problème, les efforts qu’Alcestis avait faits pour éplucher cette pomme. Elle avait dû mettre de côté son ego, il ne s’agissait que d’une pomme, bien sûr, cela était insignifiant, mais elle était le témoignage de la dévotion de son amie. Elle qui se targuait sans arrêt d’être une guerrière, une créature qui ne vit que pour le combat et la grandeur, elle s’était abaissée à éplucher une pomme, un vulgaire fruit, une basse besogne, tout ça pour lui, pour un garçon. Cette perspective le faisait sourire, quel homme ne ferait-elle pas sourire après tout ?
Il resta longtemps à l’observer, malgré sa transformation physique, il pouvait toujours voir les traits doux de celle qu’il voyait bien plus comme une fille que comme une déesse. Il pouvait les retracer du bout de ses doigts et se mit sans s’en rendre compte à la détailler. Elle était, malgré tout, si belle. Combien de temps avait-il dormi pour que le corps de la dame finisse dans cet état ? Un mois ? Deux peut-être ? Qu’importe le temps qu’il avait dormi, ce sommeil aura été trop long. Il reposa la tête sur l’oreiller, incapable de se résoudre à la réveiller, elle était épuisée, cela se voyait sur son visage, et lui, ne voulait pas être celui qui l’empêcherait de dormir, il lui avait déjà causé assez de tort. Des torts qu’il ne pourrait redresser malgré toute la volonté du monde, il ne pouvait que la laissée dormir paisiblement.
Doucement, la porte de la chambre s’ouvrit et dans son ouverture se dessina Louis. Il posa son regard sur son ami, et quel choc, ce fut quand il le vit réveillé. Il s’imaginait à nouveau s’asseoir sur sa chaise à l’observer quelques minutes, lui parlait peut-être, sans espoir de réponse, mais il se disait qu’il devait l’entendre, après tout, il vivait encore. Mais pas cette fois-ci. Askr lui fit signe de ne pas faire de bruit, pointant du bout de son doigt la fille qui dormait à poings fermés. Ils discutèrent longuement en écrivant sur du papier, Askr lui raconta tout ce qu’il avait vus en Asgard, il lui fit le récit de son aventure, le commencement comme la fin, du trajet sur le Bifrost a son retour.
Louis l’écoutait avec la plus grande des attentions, émerveillé par ces événements que le lui racontait Askr, tout cela lui paraissait fou, incroyable, il avait pourtant lui aussi traversé le Grand Arc-en-ciel pour rejoindre cet endroit, et si ce qu’il avait vus en traversant le Pont était impressionnant, cela était incomparable avec ce qu’Askr lui contait. En retour, il lui raconta toutes les péripéties de ces derniers mois, le sort d’Alcestis, celui de Briccos et le siens, et comme on s’y attendrait de la part de Louis, il parla en détail de la nouvelle relation d’Amara et d’Himiko. Ce dernier détail amusa beaucoup Askr, il avait bien fait de se sacrifier au final, tout n’était pas mauvais dans sa mort.
Sur ses genoux, Askr pouvait sentir du mouvement. La tête de son amie bougeait enfin, Alcestis se réveillait lentement. Elle ouvrit les yeux et se mit à parler.
« Coucou Askr… Tu dors bien ? J’espère que tu te comptes te réveiller dans pas trop longtemps… Tu nous manques à tous… Et surtout à moi… Je t’ai perdu il y tant d’années, et maintenant, je te perds à n… »
Elle ne fit pas sa phrase. Finalement redressée, elle le vit, le dos appuyé contre la tête du lit, il lui offrit un sourire et leva la main en signe de salut.
« Salut Alce’, je suis rentré. »
Alcestis ne réagit pas immédiatement. Elle ignorait s’il s’agissait d’un rêve ou de la réalité, mais cela n’avait que peu d’importance, la larme à l’œil elle lui sauta au cou. Rêve, ou réalité, il était enfin devant elle, il parlait enfin. Quant à elle en revanche, pas un mot ne voulait s’échapper de ses lèvres, elle se contenta de rester accrochée à lui. Mais elle se souvint d’une chose importante, Amara, il fallait qu’ils aillent la voir, c’était important, capitale même, elle les attendait. Ceci dit, Alcestis ne put se résoudre à quitter cette étreinte, elle était effrayée à l'idée qu’il puisse repartir si elle le lâchait, il était hors de question que cela arrive, pas encore. Askr l’avait bien compris, il posa sa main sur le dos de son amie et se releva, ses jambes flagellées et menacées de la lâcher à tout moment, mais si son corps était dans un état pitoyable, son mental lui n’avait pas été atteint, dans ses yeux et son cœur brûler toujours la même flamme. Il donna tout ce qui lui restait pour rester sur ses pieds, mais finit par lâcher et mordre la poussière. Il était bien trop faible, il lui faudrait du temps, beaucoup de temps pour se remettre sur pieds.
Louis vint à son secours, lui offrant son épaule en riant, le taquinant sur sa nouvelle faiblesse.
“ Eh bien, quand je pense qu’il y a quelques mois ces bras de phasmes m’ont arraché la tête, quelle triste vision.”
Difficilement, mais sûrement, le petit groupe sortit de la tente. Et devant eux, se présenta à eux un Sanctuaire bien diffèrent de celui qu'Askr avaient connu. Ses plaines, qui s’étendaient à perte de vue, étaient maintenant parcourues de montagnes dont les cimes s'élèvent au-delà des nuages, la rivière qui coulait au centre du Sanctuaire était sortie de son lit, créant lacs, rivières et fleuves, des forêts d’émeraudes étaient sorti du sol pour colorer les terres de leurs verdures douces, enfin, au centre de ce que la Dux appelait le “ Forum “ se trouvait une flamme qui semblait inextinguible. Askr était parfaitement confus devant ce changement, un changement radical, et dont il ignorait la source, mais un changement qu’il appréciait, de son vivant il trouvait cet endroit un peu... Plat.
Et la dénommée Dux Bellorum, qui, lorsque nos amis sortirent de la maisonnée se dirigeait justement dans la direction de celle-ci, accéléra le pas à la vue du revenant, agréablement surprise, elle prit rapidement la parole.
“Vous vous êtes enfin réveillé, dit-elle en cachant de son mieux sa surprise. Briccos s’est occupé de vous pendant votre coma, vous pouvez lui en être reconnaissant. Cela dit Amara et la fille d’Amaterau non plus n’ont pas chômé, vous avez de la chance d’avoir des amis aussi fidèles Askr, prenez en soin… Himiko ne devrait pas tarder d’ailleurs, je m’étonne de ne pas l’avoir déjà vue ici. “
À peine eut-elle fini sa phrase, que la fille d'Amaterasu serrée déjà Askr au creux de ses bras. Elle le remerciait de tout ce qu’il avait fait pour l’aider, du plus profond de son cœur. Bien sûr, malgré les protestations d’Askr, elle s’excusa de tout son être, s’inclinant devant lui pour les dangers qu’il avait courus pour la sauver. La situation était quelque peu... Gênante pour le pauvre Askr qui n’aimait pas les scènes similaires, être remercié, ce n’était pas sa tasse de thé.
Ce moment de gêne passé, Askr exprima un souhait à ses amis. Celui de se rendre sur le lieu de son combat contre l’Archange Mikael. Askr voulait voir l’endroit où il était tombé.
Le corps ankylosé après des mois d’immobilité totale, la marche jusqu’au lieu du duel fut longue et douloureuse. Ses articulations donnant l’impression d’être rouillée, ses muscles avaient perdu de leurs superbes, son jeune corps, âgé de pas plus de seize années mortelles semblaient en avoir des centaines. Cette marche était une véritable torture, une souffrance qu’il s’infligeait à lui-même. C’est après quelques minutes de marche, qu’enfin, sous ses yeux se dessinait le lieu de la bataille, une véritable zone de guerre, à la vue de cette terre désolée les images du combat lui revinrent en tête. Le combat, la lumière et l’ombre, la foudre, et la lame qui le perçait.
“ Louis, peux-tu m’aider ? “
En disant cela, il tapa du pied, puis, leva les bras devant lui. Ce simple geste lui arracha un grondement de douleur, était-il devenu si faible que même lever les bras le faisait souffrir ? Il enrageait devant sa propre faiblesse. C’est cette rage qui lui permit de continuer son œuvre. Sous les yeux de ses amis, la roche se mit à bouger, la terre tremblée et lentement, mais sûrement, le cratère s’effaça, les éléments qui composaient ce lieu reprirent leurs places. Par chance, même s’il avait atteint sa limite, Louis était là. Il soutint Askr, l'empêchant de chuter à nouveau, et lui offrant un répit bien mérité.
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