I - Nouveau départ

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Une éternité semblait le séparer depuis la dernière fois qu’il avait franchit les portes du hall immense de la Grande Bibliothèque. Après seulement cinq années d’absence, Eliam revenait se raccrocher à sa toute première vocation, espérant se perdre dans les livres et leurs secrets, oublier la tragédie qui avait réduit son cœur en cendres.

S’il était parti si longtemps, c’était parce que son cœur avait trouvé son homologue à la cour royale. Aléryn, l’une des princesses, lui avait montré que le monde ne se réduisait pas à quelques ouvrages poussiéreux et des pages fragiles en langues anciennes. Grâce à elle, il avait grandi. II était devenu un homme pour lui plaire, pour être digne d’être à ses côtés.

Et puis, il avait perdu Aléryn… Définitivement. Emportant sur son bûcher funéraire les restes des envies et projets d’Eliam tout comme ses espoirs d’une vie pleine de passion et d’amour.

Aujourd’hui, il s’en retournait à la Grande Bibliothèque auprès de son maître, le Vénérable Faustus.

Comme s’il ne l’avait quitté qu’hier, Faustus était toujours dans la même petite salle d’étude, avec un bureau étroit et débordant de piles de livres pourtant bien ordonnées. La légère odeur rance et de poussière rappela à Eliam le cocon familier qu’il avait abandonné. Et tout comme s’il l’avait quitté que de la veille, Eliam s’installa sur l’écritoire et commença à continuer de copier silencieusement les livres ouverts devant lui.

Pendant un instant, ou plusieurs heures, Eliam gratta le parchemin à l’aide de sa plume. Concentré, il oubliait tout. Sa fatigue, sa douleur et son désespoir. Il lui fallait recopier les ouvrages les plus anciens, les traduire et en faire de nouveaux livres plus accessibles aux jeunes générations : voilà en quoi consistait le travail d’un Silencieux.

Concentré, le jeune homme ayant dépassé la vingtaine, eut du mal à entendre la voix rocailleuse et enraillée de son maître qui l’appelait. Ce ne fut que lorsque ce dernier lui balança une boulette de papier qu’Eliam se redressa, le regard hagard, cherchant d’où le projectile pouvait bien venir.

— Pardonnez-moi, maître. Déclara humblement l’apprenti en reconnaissant la façon de faire de son tuteur.


Il y eut un long silence avant que le vieux Faustus ne laisse s’échapper un profond soupir et ne prenne la parole.

— Crois-tu qu’après avoir passé cinq années loin de mes enseignements, tu puisses encore répondre à mes exigences ? Eliam… Tu as vécu trop longtemps loin du silence des murs de notre Bibliothèque. Ta place n’est plus sur une chaise à copier sans relâche.


Faustus se leva difficilement de sa chaise, forçant sur des bras et des jambes squelettiques et tremblants. Si le Vénérable avait toujours semblé vieux et tanné, Eliam se rendait compte aujourd’hui que, pour un homme de l’âge de Faustus, les années qui s’écoulaient ne lui rendait pas service.

Eliam ne répondit pas. Même s’il l’avait voulu, il n’en n’aurait pas été capable, son cœur s’était figé dans sa poitrine. Il n’arrivait pas à croire ce que ses oreilles entendaient : Son maître, qui avait dit accepter son retour, le congédiait…

— J’ai toujours su que la voie du silence n’était pas pour toi. Maintenant, tu recevras tes tâches du Vénérable Klamelh… Sous ses ordres, tu pourras parcourir le royaume et propager notre Savoir. Viens me rendre visite lorsque tu rentreras…


Que dire de plus ? Les officiants de la Grande Bibliothèque avaient pour crédo de ne parler que lorsque cela était nécessaire. Faustus lui ayant tourné le dos pour ranger un livre signifiait que la conversation était close. Argumenter n’aurait servi à rien, son maître - Ou du moins celui qui l’avait été - ne lui aurait fourni aucune réponse supplémentaire. En outre, Eliam n’avait pas à contester l’ordre d’un Vénérable, encore moins après avoir abandonné son poste.

Désemparé et perdu, Eliam quitta tristement le bureau d’étude du Vénérable Faustus pour chercher celui de Klamelh.

L’office du Vénérable Klamelh n’était en réalité qu’une autre bibliothèque… Mais cette dernière était faite de désordre, de livre dans des brouettes ou bien au sol. Accrochées par des ficelles marquant les pages, des étiquettes de bois marquées d’adresses pendaient des ouvrages.

Au centre de ce bazar, se tenait un petit homme trapu aux joues rougies par le froid constant de la pièce mais au regard gris intelligent. Il ne devait pas avoir dépassé la cinquantaine, ce qui était exceptionnel pour un Vénérable…

Dès que Klamelh aperçu Eliam sur le pas de la porte, il lui ordonna d’approcher et lui fourra immédiatement une pile de livres lourds entre les bras.

— Ta première mission sera de rapporter ce livre à la forteresse des Guerriers-Sage, à Drafar. Sais-tu où trouver leur centre ?

Eliam hésita une fraction de seconde avant de hocher silencieusement la tête. de silencieusement hocher la tête.

— Par les étoiles ! Tu n’es plus chez les bureaucrates, tu peux bouger ta langue ici ! Ronchonna Klamelh.

— A la frontière du royaume, ils surveillent les barbares des déserts arides du Sud Est, expliqua brièvement le jeune homme qui peinait à comprendre ce qu’on attendait de lui.

— Quatre jours de chevauchée aller et cinq au retour, nous attendons ton retour dans dix jours ! Je ne veux pas te voir avant. Déclara le Vénérable d’un ton sans réplique.


Hébété, Eliam avait quitté la pièce avec le précieux livre dans ses bras. D’un coup d’œil à son étiquette, il avait compris qu’il s’agissait d’un ouvrage qui devait retourner chez les guerriers-sages de Drafar… S’agissait-t-il d’une sorte de livraison ? Le jeune homme avait entendu parler d’un tel service de la part de la Grande Bibliothèque…


*


Eliam se retrouvait à nouveau sur la selle d’un cheval, un magnifique coursier rapide et endurant à la robe alezane. Le garçon n’avait pas été très enjoué devant la perspective d’aller battre la campagne en solitaire pour une simple livraison et une aide de lecture. Néanmoins, c’était la mission qu’on lui avait confié. La première depuis qu’il était retourné à la Grande bibliothèque. Il ne louperait pas cette seconde occasion de faire ses preuves.

Même si le jeune homme faisait de son mieux pour ne prendre que le positif de sa situation, il n’avait pu s’empêcher de grimacer lorsqu’on lui avait tendu une épée pour l’accompagner dans son voyage. « Pour te défendre au cas où », lui avait-il rapidement expliqué.

Il aurait voulu avoir plus de détails sur cet « au cas où » qui l’inquiétait, mais on ne lui avait pas laissé le temps de poser davantage de question. On avait claqué la croupe du cheval et ce dernier s’était mis en marche.

Heureusement pour lui, il avait appris à manier l’épée lors de son séjour au palais royal. Il lui avait fallu connaître les bases de l’escrime pour pouvoir espérer être autorisé à demander la main de celle pour qui son cœur s’était mis à battre à l’époque. Aléryn.

Rien que de repenser à son prénom, son cœur se serra et il semblait à Eliam que tout autour de lui devenait encore plus froid. La peine et le désespoir d'avoir perdu l’amour de sa vie était toujours là…

Le visage camouflé dans une large écharpe, Eliam se protégeait du froid d’un printemps qui tardait à s’implanter véritablement sur les terres. Le sol était encore gelé de l’hiver. Au moins cela permettait au cheval de ne pas s’embourber.

Le chemin serait long, cependant, Eliam avait sur lui le laisser-passer ratifié par le Vénérable Klamelh de la Grande Bibliothèque, il pouvait se déplacer n’importe où sur le territoire, et se reposer dans n’importe quelle auberge…

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