Chapitre 4 – La punition
« On n'abandonne personne ! Vous m'entendez ! Personne ! Allez la récupérer ! »
Le capitaine Vinter nous hurlait dessus alors que nous peinions à nager dans l'eau glacée. Nous étions une équipe de quatre aspirants, notre barda était abrité dans un sac étanche et il s’évertuait à nous attirer vers le fond comme une ancre. Je tournais la tête pour voir Eva en difficulté derrière nous, elle maintenait son visage au raz de l'eau et par intermittence des vagues lui faisait boire la tasse. Elle toussait et tentait vainement de remonter alors qu’elle s'enfonçait inexorablement. Eva n'était qu'à quelques mètres derrière moi, mais j'avais déjà du mal à me maintenir au-dessus de l'eau, je ne pouvais rien faire. Heureusement Alistair nageait déjà vers elle pour lui porter secours. Au même moment le zodiac piloté par Ingrid se rapprochait d'Eva, le capitaine assis à la proue du canot pneumatique hurlait de plus belle.
« Qu'est-ce que vous foutez ! Vous ne voyez pas qu'elle se noie ? »
La tête d'Eva s'enfonça sous les flots, Alistair n'était plus qu'à quelques mètres. Il s’arrêta et plongea une première fois pour retirer son barda puis il replongea vers Eva. Déjà le Zodiac était au dernier emplacement de Eva et le Capitaine se préparait à plonger. Mais les têtes d'Eva et d'Alistair percèrent les flots, le jeune homme tenait Eva sur lui, sa tête sur son épaule pour lui maintenir le visage hors de l'eau. Il nagea sur le dos avec l'aide de ses jambes jusqu'au bateau pneumatique. Le Capitaine attrapa Eva sous les aisselles et la tira jusqu'à lui. Il pratiqua les premiers secours, nous faisions tous demi-tour vers le zodiac pour nous y accrocher. Après quelques secondes d'angoisse nous entendions une violente quinte de toux lorsque Eva se réveilla.
De retour au Shadows of the Seas le Capitaine Vinter nous sermonna en salle de débriefing. Il était debout et criait, une fois de plus, « Une prestation pathétique ! » selon lui, nous restions tous silencieux. Je regardais Eva qui tremblait encore de tout son corps, elle avait les lèvres bleues, une serviette sur les épaules et les cheveux mouillée. Elle baissait les yeux comme tous les autres... et puis merde-je ne pouvais pas le laisser continuer.
« Vous voyez pas qu'on n'en peut plus ?! »
Je sais pas si c'était parce que j'étais la plus vielle, en tout cas en apparence, mais je me sentais en devoir de dire au capitaine ce que les autres n’osaient pas. Il tourna son regard sanguinaire vers moi.
« Pardon ? »
Je ne me démontais pas devant son visage dur et sa tentative d'intimidation.
« J'ai dit : Vous ne voyez pas que l'on n'en peut plus ? » en parlant je le regardais droit dans les yeux et j'articulais lentement.
Le capitaine tourna la tête vers Ingrid et fronça les sourcils. Un ange passa, le silence s'éternisa, mes compagnons avaient levés la tête et regardaient alternativement le capitaine et moi. Puis le Capitaine s'assit, il regarda attentivement l'équipe et fixa son regard sur moi. Il sourit et je frémissais en voyant ses crocs de prédateur.
« Vos compagnons n'en peuvent plus c'est certain. Ils vont pouvoir se reposer les trois prochains jours... » me dit-il avec un grand geste du bras désignant le groupe. « Mais vous ! Vous êtes suffisamment en forme pour faire preuve d’insolence et j'ai exactement le boulot qu'il vous faut. Ainsi vous apprendrez où est votre place ! »
Alistair se redressa et parla d'une voix forte.
« Attendez Capitaine, s'il y a bien quelqu'un d'épuisé ici c'est Anya, elle endure autant que nous alors que ce n'est qu'une mortelle et... » il me regarda prenant subitement conscience que ses paroles pouvaient me blesser. « Enfin si elle vous parle ainsi c'est justement parce qu'elle est épuisée. »
Le capitaine fixa son regard écarlate vers Alistair.
« Vous pensez que c'est une réunion de quartier Alistair ? Vous croyez peut-être que vous pouvez donner votre avis quand ça vous chante ? »
Alistair sera les dents et répondit d'une voix sèche.
« Non capitaine. Mais c'est de mon devoir que de porter à votre attention la réalité. De plus, on n'abandonne personne mon Capitaine. » dit-il en esquissant un sourire en coin.
Le capitaine toisa Alistair et finit par sourire à son tour.
« Assez-vous Alistair, je ne vous tiendrai pas rigueur de votre intervention, c'est la deuxième fois aujourd'hui que vous accourrez pour aider l'un de vos équipiers. Mais je ne peux accepter l'insolence de votre ... camarade. » dit-il en me regardant d'un air mauvais.
« Vous pouvez tous aller vous reposer, profitez bien de vos trois jours de temps libre. Anya vous restez là, j'ai a vous parler. »
Helmer et Eva sortirent, mais Alistair resta debout à sa place. Le capitaine jeta un regard assassin à Alistair.
« Sortez Alistair ! »
Ingrid qui n'avait rien dit jusqu'à présent se leva et se dirigea vers Alistair. Elle lui parla doucement.
« Alistair vous devriez rejoindre Helmer et Eva, eux aussi ont besoin de vous. Eva surtout, après cette épreuve elle doit être secouée. »
Alistair me regarda puis tourna sa tête vers le doux visage d'Ingrid. Il hocha la tête et sortit non sans me lancer un dernier salut de la tête. Lorsque Alistair fut sorti Ingrid ferma la porte derrière lui puis s’apprêta à rejoindre sa place à côté du capitaine mais celui-ci leva la main avant d'ajouter.
« Vous aussi Ingrid, laissez-moi seul avec Anya. »
Ingrid s’arrêta, se posa face au capitaine et parla calmement d'un ton toujours aussi doux.
« Vous savez que c'est impossible capitaine, j'ai mes ordres. »
Je sentais alors une colère contenue dans la voix du capitaine lorsqu'il répondit.
« Comme vous voulez ! Mais pas de commentaires. »
Ingrid se rassit sans dire un mot. Le capitaine me regardait de ses yeux rougeoyant de haine.
« Vous n'avez aucuns talents, vous êtes en dessous de tout, vous ne devriez même pas être là ! Et je compte bien montrer à tous que vous ne pouvez pas faire partit de notre unité d'élite ! »
Je répondais du tac au tac.
« Vous savez, rien de ce que vous m'apprenez ou de ce que vous représentez ne me plaît. »
Le Capitaine eut l'air outré devant mes propos et ne répondit pas immédiatement.
« Anya vous êtes la plus insolente, la plus récalcitrante de tous les aspirants, je ne peux le tolérer plus longtemps, ce comportement mérite une sanction. »
Nettoyer les chiottes ! Tu parles d'une sanction originale ! Décidément le capitaine était vraiment un pauvre type sans aucune originalité, acariâtre et sans humour. Je frottais la cuvette en énumérant la longue liste des défauts du capitaine et une fois finit je recommençais en cherchant des synonymes, puis je passais aux insultes en m'occupant des autres nettoyages. Je frottais de plus en plus énergiquement en imaginant des moyens de faire souffrir le capitaine.
Tout à coup je recevais une éclaboussure d'eau savonneuse dans la nuque, je faisais un bon et me retournais vivement. Je découvrais planter devant moi un jeune homme à peine pubère et pourtant déjà musculeux. Ils frottaient ses larges mains encore humides l'une dans l'autre en souriant. J'étais déjà suffisamment énervé pas besoin qu'un petit con vienne me chercher des noises.
« T'es con ! Qu'est-ce que tu fais là ? »
Il regarda autour de lui de ses grands yeux bleus sans iris.
« C'est les chiottes ici ou c'est ta cabine? »
Je serrais les dents.
« Si tu veux des embrouilles j'en ai déjà suffisamment, va voir ailleurs. »
Il rigola alors à gorge déployée puis mima un visage effrayé.
« Putain tu rigole pas toi. Je blague ! »
« Fou le camp, je n’ai pas envie de rire. »
Il s'éloigna pour aller s’accouder au rebord d'un évier en acier.
« Ouais je vois ça, mais je ne peux pas partir. »
« C'est le capitaine qui t’envoie ? »
« Yep ! »
« Comme quoi il sait faire preuve d'originalité pour me faire chier. »
« Pardon ? »
« Non rien je me comprends. »
« Tant mieux parce que moi… Enfin, bon finit de rire, je suis là pour les mêmes raisons que toi »
« Comment ça ? »
« Je ne suis pas un gentil garçon. » me dit-il en tentant d'imiter le capitaine Vinter.
J'apprenais qu'il se nommais Kim, il avait 16 ans et il s'était battu à plusieurs reprises avec d'autres aspirants, c'était « une forte tête » selon le capitaine et il devait supporter la même sanction que moi. Je me rendais vite compte que Kim était pourvu d'un humour aussi lourd que son physique musculeux. Et j'apprenais aussi que la corvée de chiottes n'était qu'un prélude, nous devions ranger et nettoyer tout le navire et cela durant toute la durée de notre formation à bord.
Lors des rangements je me rendais vraiment compte de la force de Kim, il pouvait déplacer de lourdes caisses comme si c'était de simples boites de conserves... et j'avais également un bon aperçu de son humour lorsqu'il me soûla avec ses nombreuses blagues grivoises. Il ne s’arrêtait jamais de parler, un vrai moulin à paroles et toujours pour débiter des âneries. Et pour corser le tout il n'avait de cesse de me harceler, tantôt il remplaçait mon repas par une poche de sang, parfois il me jetait un vieux rat crevé trouvé derrière une caisse ou il me mettait les mains aux fesses lorsque je passais devant lui aux échelles, soi-disant pour m'aider à monter…
Le reste de cette année de formation se déroula ainsi, je participais aux entraînements comme tous les aspirants mais une fois nos tâches communes terminées je devais rejoindre Kim pour réaliser toutes les corvées que le Capitaine avait imaginée pour nous. Le Capitaine Vinter essayait de me faire craquer, il voulait que tous voient mes limites et mon échec. Il espérait ainsi me faire évincée de la garde. Mais cela fit naître en moi l’envie d'y arriver, je m'accrochais au seul désir de réussir pour donner tort au capitaine. De plus, j'avais de l'aide, Eva et Alistair venaient maintenant en cachettes durant les corvées et me soutenaient lors des entraînements.
La jeune Eva à mes côtés nous nous entraînions ensemble au tir et nous devenions les meilleurs tireurs de précision des aspirants. Alistair était tous ce que Kim n'était pas, Kim était lent, fort et lourd, Alistair était rapide, précis et subtile. Il m'aidait lors des entraînements aux combat corps à corps, j'étais peut-être moins fort que lui mais j'étais maintenant suffisamment rapide et agile pour contrer certaines de ces attaques.
Et le soir venu lorsqu’enfin je pouvais rejoindre ma cabine je retrouvais Ingrid qui me soutenait moralement avec ses paroles enjouées et bienveillantes. Il lui arrivait même de m'apporter dans la cabine le petit déjeuner pour me permettre de dormir plus longtemps.
Avec le temps j'étais de plus en plus impatiente de retrouver Alistair pour les combats aux corps à corps. Je m’apercevais bien vite qu'il laissait passer certains de mes coups volontairement. Parfois il me permettait de prendre le dessus et nous finissions par en rire après coup. Je pensais de plus en plus à Alistair, a ses magnifiques yeux verts de jade, son tempérament attentionné sans être condescendant et il était aussi vif d'esprit qu'il était rapide dans ses mouvements.
Je voyais bien qu'Alistair avait lui aussi ressentit cette attirance mutuelle. Mais pour ma part je n'avais pas une minute à moi et lorsque j'avais du temps je m’écroulais pour dormir. C'est à peine si nous avions du temps pour discuter ensemble lors des corvées ou durant les entraînements. Nous finissions cependant par nous enlacer à la dérobée et par échanger quelques baiser volés mais cela en resta là par faute de temps et pour cause de promiscuité. Nous nous promettions cependant de tout faire pour nous voir lorsque notre formation serait terminée.
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