Septentrion, de Louis Calaferte
Pour mon anniversaire, mes parents m’avaient offert le billet de train pour aller au salon du livre de Paris, porte de Versailles. Mars 2002, j’allais avoir 19 ans. C’était une fête pour le jeune homme que j’étais, interne en Bretagne pour suivre une hypokhâgne qui serait à la fois une période faste d’amitiés indéfectibles et un naufrage scolaire.
J’étais arrivé très tôt le samedi matin, pour éviter la cohue de l’après-midi. Ainsi je pouvais circuler dans les travées quasi désertes, voir les autrices et auteurs se mettre en place, voir surtout l’organisation des tables, les éditeurs se mettre en quatre pour préparer leur stand, discuter d’une voix fatiguée avec les libraires, avec les premiers curieux.
Ce matin-là, Thierry Meyssan, l’auteur de la première théorie du complot du 21e siècle sur le 11 septembre, partageait un demi-stand avec un malheureux éditeur, en bordure de travée et tentait de répondre à une femme à bonnet qui lui disait qu’il racontait n’importe quoi. Plus tard, l’après-midi, en repassant du côté de son stand, la foule des curieux s’était considérable accrue et il signait à tour de bras des exemplaires de son torchon.
Plus loin, Joseph Joffo faisait la harangue pour son dernier livre (ou une réédition augmentée d’Un sac de billes, je ne me rappelle plus bien), Catherine Tasca, la ministre de la Culture faisait un tour des stands, Eric Zemmour patientait nerveusement devant une pile de son Chirac, l’homme qui ne s’aimait pas, et je fouinais dans les allées à la recherche de livres qui pourraient m’intéresser. Le salon du livre est une immense librairie et je ne cherchais rien de particulier. En furetant dans la partie Folio, un titre, coincé au milieu des autres, m’a attiré : Septentrion, de Louis Calaferte. Introduction de Philippe Sollers. Je lis l’incipit : « Au commencement était le Sexe . Sauveur. Chargé d’immortalité.[…] Le monde s’ouvre un énorme utérus en feu. Le monde est femelle, comme l’est la Création. Et putain, impudique, comme l’est la femelle. Père. Fils. Esprit. Triangle sacré du pubis. »
Je suis scotché, dans la cohue grossissante de cette fin de matinée. Je sens que ce livre n’est pas un livre comme les autres. L’écriture n’est pas du tout académique, ce sont des jets de lave brûlante, ce sont des phrases projetées à toute allure, rythmées par l’angoisse et la colère, la verve y est puissante, destructrice. Elle peut vous laisser sur le bord de la lecture, dans l’écume des bégueules, c’est vrai qu’il faut savoir prendre la vague de sa prose mais une fois qu’on y est, on navigue jusqu’au bout, on traverse ce roman sans escale et avec fièvre. Je me souviens que j’en ai recopié des extraits dans des lettres que j’envoyais à des amis de l’époque. J’en lisais des morceaux au téléphone aussi.
J’ai lu pratiquement tous les récits de Calaferte, un peu de son théâtre aussi, notamment Un riche trois pauvres. Mais Septentrion reste pour moi un chef d’oeuvre qu’il n’égalera plus. A part peut-être Rosa Mystica, son opposé. Plusieurs années plus part, Folio avait entrepris de remettre en valeur un des textes de Calaferte, La mécanique des femmes. Je ne sais pas pourquoi celui-là en particulier, d’autant qu’il est plutôt faible, mais on vit ce petit livre partout dans les Fnac. Un gâchis. Louis Calaferte, décédé en 1994, méritait mieux.
En 2006, mon amour pour cet auteur me permit de rejoindre un jury littéraire national dont je parlerai ailleurs.
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