Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes
Lors de la rentrée de 4e, une nouvelle enseignante de lettres classiques débarqua dans mon collège, tout droit venue de la région parisienne, jeune et charmante agrégée, hélas mariée à un professeur d’EPS d’un autre bahut de la région. Elle avait de l’ambition pour nous. Elle croyait sincèrement que nous pourrions nous élever jusqu’à ses exigences de khâgneuse passionnée. A moins que ce ne fut le programme officiel qu’elle avait décidé de suivre à la lettre, là où tant d’autres professeurs s’étaient contentés de nous en inculquer la matière la plus essentielle, dégraissant de leurs cours les œuvres trop complexes ou déroutantes pour les petits cévenols que nous étions. Toujours est-il qu’elle nous fit lire le Cid de Corneille – très certainement un passage obligé – la Fille du capitaine de Pouchkine, le Vicomte pourfendu d’Italo Calvino et enfin Des fleurs pour Algernon, de Daniel Keyes. Je n’avais jamais lu de livre de science fiction jusqu’à présent, en tout cas, aucun livre de cette forme. Quelle incroyable lecture que celle-ci, je m’en souviens très nettement. C’est l’histoire d’un homme légèrement attardé qui participe à une expérience scientifique pour développer son intelligence. Et ça marche : peu à peu, il s’exprime de plus en plus correctement, comprends mieux le monde autour de lui, apprend des langues, et tombe évidemment amoureux de la scientifique en charge de l’expérience. Je me souviens qu’au fur et à mesure que le narrateur progresse intellectuellement, je progressais avec lui, je devenais à mon tour plus éveillé, plus attentif, et la chute du personnage me plongea dans un moment de grande sidération. C’était tellement injuste, frustrant, tragique. Ce livre m’avait tellement plu que je l’avais fait lire à mes parents.
Plus tard, j’ai vu qu’il avait été adapté deux fois au cinéma, et même, récemment, au théâtre, par Grégory Gadebois. Je n’ai pas voulu voir ces films. Les raisons invoquées sont toujours un peu absurdes, mais ma vision du personnage principal est restée telle quelle, sans être polluée par une quelconque interprétation. Il restera pour moi un grand moment de lecture. Un grand moment de joie et d’excitation intellectuelle. Evidemment, il s’agit d’un classique du genre, ce n’était une découverte que pour moi et ma classe.
Toutefois, je me demande si j’ai adoré ce livre parce qu’il venait de cette prof incroyable que j’admirais secrètement. En aurait-il été de même s’il m’avait été conseillé par le prof lamentable que j’ai eu l’année suivante ? Impossible à dire. Mais je ne me souviens d’aucuns livres étudiés en classe de 3e. A quoi ça tient, la réception d’un chef d’oeuvre.
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