Parfois, on peut avoir de la chance. C’est rare, et on ne peut guère compter dessus. En tout cas, lorsque je suis entré au lycée, j’ai eu la chance d’être dans une classe sélectionnée pour faire partie du Goncourt des lycéens. Il n’y avait pas eu à candidater ni rien, c’était tombé sur notre classe comme ça. Il me semble que c’était en partenariat avec la Fnac et notre professeur de français avait dû faire des pieds et des mains pour qu’une des classes de notre lycée soit jury, du moins je le suppose.

Quand nous sommes rentrés, notre prof principale nous annonça la bonne nouvelle. Nous avions dix livres à lire en deux mois. Pour la moitié de mes camarades, c’était impensable, pour l’autre moitié, c’était la fête. La Fnac fournissait les lots de bouquins, je crois qu’il y en avait cinq par titre, et nous étions trente cinq élèves.

Je me souviens assez bien de la frénésie que j’ai eue à ce moment, cette envie de tout lire, de découvrir des livres contemporains et de rédiger des critiques (c’était dans le deal). C’était de la littérature d’adulte. C’était un autre monde. Il y a eu des coups de coeur, notamment celui qui a reçu le prix Goncourt des lycéens cette année-là, Mille cinq cents ventres, de Luc Lang, Le manuscrit de Port-Ebène, de Dominique Bona, ou Lambert Pacha de François Sureau. Mais celui qui défraya la chronique et qui me marqua le plus, ce fut le roman de Michel Houellebecq, les Particules élémentaires.

Ce n’était pas un livre comme les autres. Déjà, c’était un livre qui avait provoqué des débats dans le microcosme du Paris littéraire, il y avait eu des engueulades, des provocations, des scissions, des cris, des insultes… Non, ce n’était pas un livre comme les autres. Il contenait des pages que l’on peut facilement qualifier de pornographique, mais froide, des pages de sexe triste, absolument pas bandantes. Ce livre, par sa radicalité et son propos, m’avait – nous avait tous – chamboulé. On ne s’imaginait pas du tout lire ce genre de texte. Le roman était gros, c’était un des plus gros de la sélection, avec les Vice-rois, de Gérard de Cortanze, un bon roman d’aventure au demeurant mais qui n’entraîna pas le même enthousiasme. Et pourtant, je crois bien que tout le monde a trouvé la force de lire les Particules élémentaires ou du moins d’essayer. Pour notre classe, ce livre aurait mérité le prix Goncourt des lycéens. Mais, du fait du scandale qu’il avait provoqué notamment chez des parents un peu sourcilleux, il avait été retiré de la sélection « jeune ». Quel dommage ! Quel camouflet cela aurait été pour le jury du Goncourt de voir les Particules élémentaires récompensées par les lycéens alors qu’eux avaient décidé de sacrer Paule Constant et son consternant Confidence pour confidence, un petit livre morne, dont personne ne parlera plus jamais si ce n’est pour dire qu’il a eu le Goncourt l’année où Houellebecq aurait dû l’avoir. Mais finalement, la Carte et le territoire reçut le prix Goncourt en 2010, il lui aura juste fallu attendre un peu…

Ce livre a eu un fort impact sur ma vision de la littérature. Cela pouvait donc être aussi ça ! Et cela m’a permis d’appréhender la littérature contemporaine avec plus de confiance. Je n’en lisais quasiment jamais auparavant. Grâce à cette expérience du Goncourt des lycéens, j’ai cherché d’autres livres forts. Plusieurs sont dans cette liste de titres. Ma découverte de Septentrion, de Calaferte, doit beaucoup à Houellebecq d’une certaine façon.

La chance, voilà tout. C’est rare, on ne peut pas compter dessus, mais je l’ai tout de même cultivée en poursuivant la route qu’elle m’avait ouverte.