III. Il n'était comme personne

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Sur le trajet, Louis avait eu le temps de sécher. En revanche, sa colère était toujours bien vive. Lorsqu’il arriva à la villa, il aperçut sa sœur, allongée sur un transat en train de téléphoner et fut soulagé de ne croiser aucun adulte lorsqu’il traversa la maison. Il monta les marches de l’escalier quatre à quatre et atterrit sur le palier et, au moment où il passa devant la chambre de Nicolas, voyant que la porte était entre-ouverte, il entra en vitesse, poussé par une pulsion qu’il ne saurait justifier. Le lit était défait et des dizaines de vêtements traînaient au sol et sur sa chaise de bureau. Louis observa les photos affichées sur son armoire. La majorité étaient des clichés de vacances de lui et ses amis, à la plage, à la montagne, dans une voiture ou sur son bateau. Sur les murs de sa chambre, il y avait des affiches de films : Pulp Fiction, Star Wars et Rain Man. Mais aussi des photos que Louis trouva sublimes : des soleils couchants et des images de la côte mais aussi des portraits. Le jeune homme les trouva particulièrement beaux puisque les personnes prises en photo ne posaient pas. Elles ne savaient pas qu’elles étaient photographiées et cela apportait un naturel fou au cliché. Des instants de vie capturés sur la pellicule sensible de l’appareil photo et conservés dans cette chambre d’adolescent.

Émerveillé, il continua ensuite sa petite excursion en se penchant sur le bureau de Nicolas. Mais, alors qu’il commençait à lire les premières lignes d’une feuille posée de travers, il prit conscience de son irrespect. Peu importe à quel point le plus vieux l’avait énervé aujourd’hui, il avait droit à sa vie privée et Louis ne pouvait fouiller ainsi dans sa pièce. Il s’apprêtait à partir lorsque son regard se posa finalement sur un petit objet qui lui était familier. La pomme de touline. Ce nœud de marin auquel tient tant Nicolas. Il ferma les yeux quelques secondes pour tenter de chasser la mauvaise idée qui naissait dans son esprit. Mais, une idée est le plus tenace des parasites. Alors, animé par la vengeance, il attrapa la petite balle et courut jusqu’à sa propre chambre. Il ne savait pas trop pourquoi il l’avait prise, ni ce qu’il pourrait en faire : il avait suivi son instinct. Alors, il la cacha sous son matelas comme un enfant dissimulerait des chocolats volés en douce, le cœur battant fort dans sa poitrine mais un sourire triomphant scotché au visage.

***

Après avoir mangé en vitesse, Louis avait pris une bonne douche puis s’était assoupi, voulant récupérer la fatigue accumulée durant le voyage. Il émergeait tranquillement de sa sieste, étirant ses bras et se blottissant dans les draps. Il jeta un coup d’œil à son téléphone : 17h12 ; puis referma les yeux. Trop à l’aise dans son lit douillet pour oser en sortir il ne sursauta que lorsqu’il entendit des pas dans les escaliers. Le parquet du palier craqua et le jeune homme vit sa porte de chambre s’entrouvrir lentement. Le visage fin et bronzé de Nicolas apparut dans l’ouverture et Louis se redressa sur son coude, sourcils froncés et un air mauvais.

- Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il, d'une voix encore ensommeillée.

Le jeune homme entra complètement dans la chambre et ferma lentement la porte avant de s’appuyer contre celle-ci. Son regard fuyait celui du plus jeune et, après un silence empli de tension, il prit finalement la parole :

- Il y a une soirée dansante ce soir au port. Tu veux y aller ?

Louis croyait rêver. Comment pouvait-il lui demander ça après ce qu’il s’était passé sur le bateau ? Se moquait-il de lui ? Déjà qu’il n’était pas un passionné de danse, de foule en sueur et de musique trop forte. Faire tout cela avec Nicolas. Hors de question !

- Tu y seras je suppose.

Ne sachant pas totalement comment interpréter cette affirmation, le plus vieux laissa une bonne minute de silence avant de répondre :

- Oui, je pense.

Alors, Louis émit un petit ricanement et se recoucha, lui tournant le dos.

- L’affaire est réglée alors !

Nicolas était agacé mais aussi blessé. Il faisait un pas vers lui pour tenter un quelconque arrangement de la situation, il faisait l’effort de lui proposer quelque chose et il l’envoyait paître. Serrant les poings, le plus vieux ouvrit la porte dans un mouvement sec et reprit un ton suffisant et fier :

- Tant mieux alors, il y aura un intello relou en moins au milieu de toutes ces personnes cool !

Nicolas sortit de la chambre et entra dans la sienne. Il referma la porte derrière lui lorsqu’il entendit l’autre garçon lui hurler une insulte depuis sa pièce. Mais il l’ignora. La seule chose qui put faire naître un sourire, aussi faible soit-il sur le visage de Nicolas, c'était qu’il se rendit compte que sa dernière phrase était ridicule en plus d’être gamine !

De nouveau énervé, Louis enfouit sa tête dans son oreiller et frappa le matelas. Il resta quelques minutes ainsi lorsqu’il entendit la porte de la chambre d’à côté de claquer puis, l’escalier grincer sous des pas précipités. Nicolas venait de sortir.

Il attendit quelques minutes puis descendit à son tour les escaliers d’un pas traînant. Il prit quelques carrés de chocolat au lait dans la cuisine puis alla s’affaler dans un canapé du salon. Angelina regardait une vieille série de science-fiction à la télévision tout en piochant dans un sachet d’amandes.

- Tu faisais quoi ? demanda-t-elle sans détourner son regard de l’écran.

- Rien, j’ai dormi un peu.

Louis ne voulait pas lui parler de sa dispute avec Nicolas. D’abord parce qu’il allait encore s’énervé contre lui et, qu’il ne voulait pas étaler ce genre de chamailleries dont il avait assez honte, lui qui se pensait plus mature que cela. Et puis, parce qu’au fond de lui, il s’en voulait un peu d’avoir été si puérile.

- Ça te dirait de sortir avec moi ce soir ?

La jeune adulte se tourna vers son frère.

- Je suis désolée bouclette mais j’ai dit à maman que je l’accompagnerai au marché nocturne du village.

Elle baissa le son de la télévision et s’assis en tailleur.

- Je t’aurais bien proposé un autre jour parce que je sais que tu voudrais passer plus de temps avec moi Louis. Mais, je ne vois pas souvent mes amis du coin. J’aimerais en profiter, tu comprends ?

Le jeune homme hocha la tête mollement, le regard baissé. Bien sûr qu’il comprenait. Et sa récente dispute avec Nicolas lui donnait comme l’impression qu’il allait passer ses vacances bien seul. La compagnie de sa sœur n’aurait pas été de refus. Mais après tout, elle était majeure et indépendante. Il devait déjà s’estimer heureux qu’elle vienne encore avec eux en vacances.

Face à son silence, celle-ci soupira et se leva pour venir flatter ses cheveux de sa main.

- Toi je t’ai pour moi tout le reste de l’année. Et je préfère t’avoir tout ce temps plutôt que deux petites semaines ! Quand on rentrera à la maison, je t’emmènerai au cinéma !

Cette dernière phrase fit sourire Louis qui se leva pour embrasser la joue de sa sœur.

- Je choisirai le film alors !

Elle sourit et acquiesça avant de lui proposer d’aller se baigner un peu dans la piscine. Tous deux filèrent se mettre en maillot de bain puis se retrouvèrent dans l’onde azur pour barbotter en sirotant le jus d’abricot maison de Judith.

***

Il était 19 heures passées lorsque Louis sortit d’une bonne douche chaude. Il allait enfiler un vieux t-shirt en guise de pyjama lorsqu’une idée lui vint. Il n’allait pas laisser Nicolas gagner aussi facilement. Il ne supportait plus son ignoble petit sourire affiché sur son visage marqué par les à priori. C'est pour cela qu’il n’était pas contre l’idée de l’enquiquiner un peu. Le jeune homme se plaça alors devant le miroir et observa son reflet. Ses cheveux mouillés commençaient déjà à boucler en séchant et ses joues étaient rougies par la vapeur d’eau. Il s’éloigna quelques secondes, le temps de prendre quelques vêtements, puis, il se replaça devant la glace, enfilant une chemise colorée et un short en jean. Il passa en vitesse sa main dans ses cheveux, même si cela ne changeait pas grand-chose, puis il enfila une paire de converses. Il descendit les escaliers en vitesse puis inscrivit un mot sur un morceau de papier pour prévenir ses parents de son absence. Louis avait pris sa décision. Il ira à cette soirée dansante et il prouverait à Nicolas qu’il n’était pas si coincé, que lui aussi il savait faire la fête et s'amuser. Bien qu’il ne fût pas fervent de ce genre de festivités, il allait tenter de se lâcher et s’il parvenait en plus de cela à faire un peu d’ombre à sa némésis, il serait amplement satisfait.

Le jeune homme se lança sur le sentier de terre qui menait au port, l’air se refroidissait peu à peu et il se demandait s’il n’aurait pas dû prendre un pull. Louis aimait ce chemin. Il était jonché d’herbes hautes et d’aiguilles tout droit tombées des hauts pins alentours. Il arracha une tige pour en mordiller la tige puis enfouit ses mains dans ses poches. Le ciel prenait de belles couleurs et peu à peu, les chants des cigales laissèrent place à l’agitation du port.

Le chemin devint progressivement une route pavée et le jeune homme passa devant les premiers restaurants et boutiques de souvenirs. Des touristes s’arrêtaient devant les stands du marché nocturne quotidien et, plus Louis s’enfonçait dans la foule, plus la musique était forte. Comme possédés, tous se déhanchaient sur la place circulaire située devant un des bars les plus animés du port. Certains avaient aux poignets des bracelets fluorescents, d’autres tenaient des verres d’alcool à la main, dansant sur le remix d’une musique pop. Mal-à-l’aise, Louis avançait par petits pas en essayant d’éviter les danseurs. Il se fit heurter par une grande blonde surexcitée et continua sa laborieuse avancée entre les corps transpirants en quête d’un endroit un peu plus calme. Il tourna la tête vers un groupe de jeunes particulièrement bruyant. Un grand brun à lunettes bougeait ridiculement sa tête sur un air de saxophone répétitif et à ses côtés, une blonde riait d’un rire bien trop aigu.

Enfin, le jeune homme aperçut Nicolas. Il était en pleine discussion avec deux jeunes filles brunes au teint basané qui se ressemblaient assez. Lorsque celui-ci leva le regard vers Louis, le plus jeune eut un sursaut. Sans réfléchir plus longtemps, il marcha d’un pas qui se voulait assuré vers le bar, souffla un coup et commanda un verre de punch. Il n’aimait pas particulièrement l’alcool et savait qu’il ne devait pas en abuser pour ne pas finir saoul mais il devait se montrer le plus branché possible. Il devait avoir l’air d’être comme tous. En attendant sa boisson, il ouvrit les trois premiers boutons de sa chemise et finalement en remit un, mal à l’aise. Il ébouriffa ses cheveux pour avoir l’air encore plus décontracté puis il frotta ses mains moites contre son short en soufflant profondément. Il allait rarement à ce genre de soirée et jamais seul. Une part de lui voulait rentrer à la villa. Que faisait-il ici ? Tout ça pour une vengeance stupide et dont il n’était même pas assuré de la réussite. Mais d’un autre côté, il voulait lui prouver qu’il n’était pas le cliché de l’intello coincé et asocial. Il voulait aller au bout de son idée et montrer que lui aussi savait s’amuser, boire et danser jusqu’au bout de la nuit !

Soudainement regonflé de courage, il agrippa son verre d’alcool et s’éloigna du comptoir pour se faufiler dans la foule. Il resta un peu pantois durant quelques minutes, buvant quelques timides gorgées de sa boisson. Puis, un sourire éclaira son village lorsqu’il reconnut ce titre sorti au début des années 80. Just an Illusion du groupe Imagination.

Searching for a destiny that’s mine

There’s another place, another time

Touching many hearts along the way

Hoping that I’ll never have to say

It’s just an illusion

ooh ooh ooh ooh ah ah

Illusion

ooh ooh ooh ooh ah ah

Illusion

Alors, sans se poser plus de questions, le jeune Louis termina son verre d’une traite puis laissa son corps se détendre avant de se mettre lentement à onduler son corps sur le rythme de la musique. Il ferma les yeux et laissa ses bras se mouvoir au-dessus de sa tête.

Follow your emotions anywhere

It is building magic in the air ?

Never let your feelings get you down

Open up your eyes and look around

It’s just an illusion

Le jeune homme était un véritable passionné de musique. Il la ressentait, vibrait pour elle et s’extasiait devant chaque note. Il en oubliait son énervement contre Nicolas et son désir de vengeance. Il ne savait pas si c'était le peu d’alcool qu’il avait ingurgité ou s’il s’agissait du trop plein d’émotions qu’il avait subi aujourd’hui mais Louis dansait. Il dansait véritablement. Il ne dansait pas comme la fille à ses côtés ou comme Nicolas un peu plus loin. Il ne dansait pas comme ceux qui l’entouraient et celles un peu plus éloignées. Il dansait comme son corps le voulait, comme la musique le voulait, comme celle-ci l’ordonnait à son corps. Et il aimait cela.

Il aimait avoir l’air comme tout le monde.

Même s’il n’était comme personne.

La musique eut à peine le temps de se terminer qu’une autre, bien plus électro se lança. Moins envouté par cette nouvelle mélodie, Louis s’arrêta quelques instants, se souvenant de la raison de sa présence ici. Il alla se resservir un verre, demandant un peu plus d’alcool dans sa boisson et il chercha Nicolas du regard. Lorsqu’il le trouva, toujours aux cotés des jeunes filles brunes, il se remit à danser, se déplaçant lentement vers lui. Il apprivoisa assez rapidement le rythme de cette nouvelle musique et se fit même remarquer par quelques personnes qui lui firent des signes de têtes encourageants. Il arriva finalement à sa hauteur alors qu’il le fixait d’un air étonné mais sérieux. Une de ses compagnes de soirée remua un peu la tête et s’adressa à Louis :

- Je te connais pas toi ! Nouveau ?

- Ouais, je suis là juste pour les deux semaines qui vont suivre.

La jeune fille sourit et lui tendit la main.

- Super ! Je m’appelle Rachel.

Elle avait de longs cheveux bruns et épais qui encadraient son visage fin et légèrement allongé. À l’inverse, son amie avait les cheveux plus courts et bouclés qui tombaient sur ses épaules.

- Louis. répondit-il en lui serrant la main à son tour.

- En tout cas, tu es à fond ce soir !

À cette phrase, le jeune homme rit assez fort. Si cette fille l’avait vu quelques heures plus tôt, elle ne l’aurait pas reconnu ! Il osa lancer un regard discret vers son ennemi qui avait retrouvé son sourire immaculé. De peur de rompre sa couverture en s’agaçant tout seul, Louis s’éloigna tranquillement, finissant son verre. Sa tête lui tournait et il avait quelques vertiges lorsqu’il entendit une voix derrière lui.

- Tu es venu finalement !

Le plus jeune eut un petit rire sournois et pivota pour faire face à Nicolas. Il portait un marcel noir que Louis trouvait affreux et tenait dans ses mains un verre d’une boisson vert clair. Ses pupilles étaient dilatées par l’obscurité de la nuit et ses cheveux étaient encore plus en pagaille que d’habitude. Et, du ton le plus insolent et hypocrite qu’il se connaissait, le jeune homme répondit :

- Je savais que je te manquerai.

Nicolas croisa ses bras sur son torse et renversa sa tête en arrière dans un rire silencieux. Puis, il s’avança jusqu’à ce que son visage se trouve à quelques centimètres de celui de Louis qui se sentit aussitôt gêné par cette proximité.

- Le jour où tu me manqueras, les cigales cesseront de chanter !

Il se recula, but une gorgée de son verre, sourit de plus belle et retourna auprès des deux filles.

Louis était de nouveau énervé. Les sensations de contrôle et de plénitude qu’il avait pu ressentir avec ses deux verres d’alcool s’étaient évaporées en un clin d’œil. Il était venu ici pour agacer Nicolas, pour le faire sortir de ses gonds, pour qu’il remette ses préjugés en question et qu’il se sente désemparé au moins une fois dans sa vie. Mais non, il continuait de rire et de frimer devant les autres. Son sourire n’avait pas disparu et sa démarche tranquille non plus.

Fulminant, le jeune homme se dirigea de nouveau au bar pour se resservir une troisième fois. Puis, il retourna danser. Il verrait bien si une autre idée pour bousculer le plus vieux lui viendrai au cours de la soirée. Sinon, tant pis, il danserait jusqu’à ce que ses jambes ne le supportent plus. Il profiterait de cette bulle de folie dans laquelle il s’enfermait pendant quelques heures avant de retourner dans sa vie calme de poète passionné et solitaire.

Alors que les musiques se succédaient et que les verres se remplissaient pour ensuite se vider de nouveau, Louis sentit la fatigue s’emparer de lui. Sa tête lui semblait lourde et sa vision était altérée par un voile trouble. Il jeta un œil à son téléphone portable : 23h17. Raisonnable, il décida qu’il était l’heure de rentrer. Alors, il ramena son verre vide au bar et retraversa la foule dans l’autre sens pour atteindre les quais. Il tenta de trouver de nouveau Nicolas du regard mais ce dernier semblait avoir disparu. Était-il déjà rentré ?

La lumière des étoiles était bien faible comparée à celle de la lune, éclairant les bateaux endormis. En s’éloignant de l’agitation de la fête, Louis put totalement prendre conscience de tout ce qui l'entourait et ressentir le calme d’une nuit d’été. La musique et les cris se faisaient lointains et la chaleur étouffante des corps transpirants laissait place à une fraîcheur qui donna la chair de poule au jeune homme. Frissonnant, il enfouit ses mains dans ses poches et continua de longer les bateaux amarrés au port. Il entendait le clapotis de l’eau contre la coque des navires et les quelques voitures qui roulaient plus loin, encore à cette heure-ci.

Soudain, alors qu’il passait devant un énorme yatch, il s’arrêta. Louis venait d’entendre une sorte de cri. Il attendit quelques secondes, tendant l’oreille. Le son strident se fit entendre de nouveau et, presque inconsciemment, le jeune homme s’approcha de quelques pas. Il jeta des regards inquiets autour de lui. Était-il seul ? Visiblement oui, personne ne pouvait entendre les cris provenant du bateau. Il demanda si tout allait bien d’une voix hésitante mais évidemment, personne ne l’entendit et il n’eut aucune réponse.

Il devrait partir. Mais s’il se passait quelque chose de grave, il s’en voudrait d’avoir fait la sourde oreille. Après tout, il n’était pas dans un film : il ne pouvait pas lui arriver quelque chose de si affreux. Pas de vampires ou d’aliens. Alors, il agrippa les cordes de la passerelle de ses mains tremblantes et il avança prudemment. Louis s’imaginait déjà mille scénarios tous plus incroyables les uns que les autres mais surtout, aucun n’était positif.

Lorsqu’il posa un pied sur le pont, il perçu, en plus des cris, des sortes de rires étouffés ainsi qu’une vieille musique de pop. Et s’il avait affaire à un groupe de psychopathes ? Le jeune homme frotta ses deux mains l’une contre l’autre et, il souffla un coup avant de rejoindre la porte qui menait à l’intérieur du bateau en quelques enjambées. Tremblant comme une feuille, il jeta un dernier regard en arrière. Si seulement quelqu’un pouvait arriver et venir à son secours !

Louis poussa lentement la porte et son geste fit cesser tout son. Aucune lumière n’était allumée et le jeune homme ne put distinguer quoi que ce soit. Il eut juste le temps de voir un écran de téléphone s’éteindre, preuve d’une présence. La panique commença à s’emparer de lui. Pourquoi les lumières étaient-elles toutes éteintes ? Combien de personnes se trouvaient ici ? Il commença à reculer doucement, de moins en moins convaincu qu’il avait pris la bonne décision en montant sur ce navire.

Il poussa un petit cri de surprise lorsqu’il trébucha sur la petite marche et qu’il se retrouva au sol, sur les fesses. Alors, la lumière s’alluma et les yeux de Louis prirent quelques minutes à s’habituer à cette soudaine clarté. Devant lui se trouvaient deux garçons et une fille qui le fixait. Puis, un des deux, un grand blond pouffa avant de tirer un coup de sa cigarette.

- Tu nous as foutu la frousse ! On a cru que c’étaient les flics !

Abasourdi, le jeune Louis se redressa et bafouilla un peu pour se justifier :

- Je…j’ai entendu des cris.

L’autres garçon rit à son tour en posant sa main sur son ventre tandis que la fille fronça les sourcils et prit la parole, la voix énervée :

- Ah mais ça c'est parce que ce crétin ne peut pas s’empêcher de me montrer des images horribles de ses films d’horreurs à la noix !

C'était donc ça ces cris. Une stupide farce d’adolescents. Louis s’en voulait presque d’avoir autant paniqué pour si peu. Il expira longuement, relâchant la tension accumulée puis le blond éteignit de nouveau la lumière et alluma une simple lampe torche. Il tendit sa cigarette au jeune vacancier qui la refusa poliment.

- Allez, reste un peu avec nous après toute cette peur inutile. On va se partager une bière pour la peine !

Louis le regardait, la bouche entre-ouverte. Il était encore un peu déboussolé en sans doute encore sous l’emprise de l’alcool. Finalement, il prit place sur une des banquettes et accepta la bouteille de bière que l’inconnu lui tendait. Ils trinquèrent tous les quatre et le jeune homme but la moitié de sa bouteille en une fois.

- Pourquoi est-ce que vous ne laissez pas les lumières allumées ?

Le blond eut un petit sourire et jeta un regard vers la jeune fille.

- C'est le yatch des parents de Céline mais ils savent pas qu’on est là. Et encore moins qu’on est venu pour fumer et boire de la bière en douce.

- Alors on se fait discrets. rajouta le deuxième garçon en agitant la lampe torche.

Un éclair de lucidité traversa le jeune Louis. Que faisait-il ici ? D’abord il allait à une soirée pour danser et boire au centre de la scène et maintenant, il se retrouvait à siroter des bières sur le bateau de parfaits inconnus, entourés d’accros à la nicotine. Il devrait partir. Mais il n’en avait pas envie. Il était bien là, il se sentait si léger alors que sa tête était si lourde. Il aimait partager cette pénombre avec trois personnes qu’il ne connaissait même pas et il aimait se dire qu’il vivait sans doute quelque chose de plus excitant que tout ce qu’a pu vivre Nicolas. Comme quoi il savait bousculer ses habitudes !

***

Louis explosa de rire face à la blague pourtant médiocre que venait de faire un des garçons. Il n’était là que depuis quelques minutes et les cigarettes s’enfilaient aussi vite que les bières. Il avait cédé et avait accepté de tirer quelques taffes des cylindres blancs confectionnés par le grand blond. Louis se laissait aller. Tout simplement. Il allait prendre une énième bière lorsque la porte du bateau s’ouvrit d’un seul coup. Une silhouette se dessina dans la nuit et alluma la lumière.

Nicolas. Il avait les sourcils froncés et sembla encore plus énervé lorsque son regard se posa sur Louis. Dans un réflexe, ce dernier se leva et prit, par la même occasion, conscience qu’il avait bien trop bu. Il dut se rattraper sur la banquette puis il ferma les yeux quelques instants, afin de se ressaisir.

- Franchement Luke, tu ne peux pas t’empêcher d’attirer tout le monde dans tes plans foireux !

Nicolas semblait vraiment énervé. Il fixait le blond d’un air mauvais alors que celui-ci continuait de fumer tranquillement, sourire au coin.

- C'est bon, détends-toi ! On fait rien de mal !

- Bien sûr ! répondit-il d’un ton amer.

Alors que Louis se sentait de plus en plus mal, Nicolas attrapa son petit bras et le traîna en dehors du bateau. Il ne le lâcha pas tout de suite, l’emmenant un peu plus loin avant de se retourner brutalement vers lui.

- Qu’est-ce qu’il te prend de traîner avec lui ?

Le plus jeune fronça les sourcils. Il n’aimait pas comment Nicolas lui parlait. Il n’était ni sa mère, ni son père et il était assez grand pour faire ce dont il avait envie sans se faire remonter les bretelles par un futur chômeur !

- Mais mêle-toi de tes oignons ! J’ai le droit de trainer avec qui je veux quand même !

- Je crois que tu ne te rends pas compte Louis, quand on t’écoute, je suis l’emblème de la débauche mais ce mec, c'est juste la pire fréquentation possible ! s’écria-t-il.

Le concerné ricana et roula des yeux tandis que Louis sentait la colère monter en lui.

- En tous cas, il est bien plus sympa que toi ! répliqua-t-il.

Nicolas passa une main dans ses cheveux et repris de sa voix cassée :

- Tu crois qu’il était à qui ce yatch ?

- C'est celui des parents de Céline, annonça Louis, l’air fier.

- Et tu le crois ? Il squatte les navires des autres pour picoler et fumer à outrance.

Le plus jeune fronça les sourcils. Pourquoi lui avait-il menti ? Il tenta de chercher une raison valable mais son cerveau fonctionnait au ralenti et il avait du mal à réfléchir efficacement.

- Et il ne fume pas que du tabac si tu vois ce que je veux dire ! renchérit-t-il.

Ce fut le goutte de trop pour Louis. Si Nicolas disait vrai, il avait fumé de la drogue. Lui qui s’était juré de ne jamais toucher à ce genre de substances. Il plaça une main sur son ventre qui le faisait souffrir et poussa un petit couinement de détresse. Mais qu’avait-il fait ? Il eut à peine le temps d’entendre son ennemi s’inquiéter de son état qu’il recula de quelques pas et se retourna pour vider son estomac.

Sa gorge le brûlait et il sentait quelques larmes affluer. Il ne se sentait vraiment pas bien mais cela lui apprendra à boire sans modération. Cette soirée était définitivement la pire de sa vie. Comme quoi vouloir imiter les autres n’était pas toujours la meilleure chose à faire, peu importe les motivations. Il se redressa en s’aidant du lampadaire et passa une main sur son visage fatigué et déconfit. Lui qui voulait impressionner Nicolas, il avait la honte suprême. Une main se posa sur son épaule et le plus vieux reprit d’une voix douce :

- Allez viens, on rentre.

Les deux garçons s’éloignèrent du port pour de bon et reprirent le petit chemin de poussière maintenant enveloppé par la nuit fraîche. Nicolas marchait devant, toujours aussi décontracté, il contemplait les étoiles et écoutait le chant des grenouilles. Louis, quant à lui, restait en retrait. Ses paupières étaient lourdes et le froid le faisait trébucher sur presque toutes les pierres se trouvant sur son chemin. Il était de toutes façons trop fatigué pour lever correctement ses jambes.

- Tu sais Louis, Luke n’est pas méchant. Céline et Phélix non plus. Mais ils sont les premiers à se foutre dans de sales draps. L’année dernière, ils se sont retrouvés en garde à vue après être entrés dans le lycée la nuit en plein mois de juillet. Et avec son petit sourire sympathique, Luke entraîne tout le monde dans ses folies.

Louis voulut lui répondre que lui aussi il faisait un sourire sympathique qui attirait tout le monde dans ses filets mais il garda sa remarque pour lui ; ce n’était pas le moment de mettre de l’huile sur un feu qui n’était plus que braises. Il avait l’impression que Nicolas le prenait pour un enfant à le sermonner de cette manière mais il ne pipa mot. Il était encore énervé par son comportement de ce matin bien qu’il se soit en partie rattrapé en le ramenant malgré son état misérable.

- Comment tu as su que j’étais sur le yatch avec eux ?

Il y eut un léger silence, brisé par un rire discret.

- Je ne le savais pas. J’ai juste entendu un éclat de rire alors je suis allé jeter un coup d’œil parce que je trouvais ça étrange qu’il n’y ait aucune lumière. J’ai vite soupçonné Luke mais je voulais en être sûr. Pour te dire, je ne m’attendais absolument pas à te voir ici avec ces trois idiots !

Louis ne répondit plus rien et les deux compères continuèrent leur route jusqu’à arriver à la villa. Toutes les lumières étaient éteintes : il était minuit passé et les parents devaient sûrement dormir. Nicolas sortit ses clefs et déverrouilla la porte de la cuisine. Tous deux entrèrent silencieusement et Louis s’accroupit pour défaire ses chaussures. Il faisait des mouvements lents et faibles. Le jeune homme se sentait vraiment mal : il n’avait qu’une envie, dormir. Mais, alors qu’il se relevait, une drôle de sensation le prit au nez et il sentit ce dernier se mettre à saigner. Il plaça aussitôt sa main sur ses narines et releva sa tête dans un réflexe pour stopper l’hémorragie. Alors, il se déplaça rapidement et maladroitement pour tenter de trouver un quelconque mouchoir.

- Chut ! Tu vas réveiller tout le monde ! chuchota Nicolas.

Lorsque celui-ci se retourna, il prit conscience de la situation et attrapa un sopalin qu’il tendit au plus jeune.

- Toi je te jure ! Tu fais pas les choses à moitié !

Le garçon n’en revenait pas. D’abord les vomissements, maintenant les saignements. Ce gars était une véritable calamité. Il avait presque l’impression qu’il ne tenait plus sur ses jambes. Alors, par mesure de précaution, il décida de le conduire jusqu’à sa chambre en le soutenant tant bien que mal. Ils montèrent les escaliers laborieusement mais assez silencieusement pour n’alerter personne. Nicolas déposa Louis sur son lit et lui souhaita un bref « bonne nuit » avant de regagner sa chambre.

Cette situation lui échappait. Il prit quelques instants pour se remémorer cette journée riche en émotions. Il s’était pour la première fois disputé réellement avec Louis. Tous deux s’étaient toujours lancés des piques, des regards hypocrites ou encore des répliques sarcastiques. Mais là, c'était différent : ils avaient cherché à blesser l’autre et ils avaient réussi à merveille. Puis, après avoir refusé de l’accompagner à cette soirée, le garçon aux cheveux bouclés et aux yeux verts avait finalement débarqué sur le port, chemise ouverte et verre d’alcool à la main. Nicolas ne savait pas à quel jeu il jouait mais cela ne lui correspondait pas. Il était persuadé que Louis n’était pas ce genre de personne fêtarde et inconsciente qui buvait jusqu’à l’évanouissement.

Mais, le connaissait-il vraiment après tout ?

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