Acte 1, Scène 4
Lieu : la Rive Sud de Sarine, début de soirée hivernale
Temps : 1 heure plus tard
Les bras chargés de la caisse de poisson séché, il me suffit de me laisser aller dans le sens descendant de la pente pour aller vers l'est de Sarine, et la Rive Sud. Il s'agit d'une sorte de marécage, où les immondices liées entre elles forment des archipels ; sur des gravats, le bidonville est surélevé pour demeurer au sec.
Ces taudis sur pilotis ne sont pas faciles d'accès, et ma tunique blanche, même avec la rose brodée, m'empêche de progresser. Une première personne m'arrête ; elle supporte le froid avec désinvolture. Son nez est très aplati, à cause des bagarres, paraît-il. Je suis face à Durénatte, une représentante des pauvres, à la réputation sulfureuse.
« Où vas-tu, blanchot ? demande-t-elle.
– Un ami vous propose ceci à manger, ce soir..., avancé-je timidement, en précisant : Ahi Dresc.
– Dresc est ton ami ? demande-t-elle en faisant siffler le patronyme entre ses dents manquantes.
– On ne se voit pas tous les jours... » dis-je à voix basse pour en finir.
Elle fait signe à deux lourdauds de prendre la caisse qui m'usait les bras. Je pense m'en tirer à bon compte, parce que c'est la première fois que je m'aventure sur la Rive Sud la nuit, et que je n'ai jamais croisé Durénatte.
« Ça fera deux pièces d'or, dit-elle quand j'essaie de me détourner d'elle. T'es un ami de Dresc, alors tu es au parfum, j'imagine...
– Passez une bonne soirée, et bon appétit, dis-je en sortant l'or de ma bourse, avec quelques craintes pour le reste de mes pièces.
– Tu en trouveras deux derrière le tanneur. Ils seront encore chauds, blanchot ! » crie-t-elle derrière moi, qui fuie dans la nuit.
Durénatte est observatrice, et perspicace. Je ne regrette pas d'avoir rencontré cette légende. Elle vient de m'offrir au moins deux heures de travail sur un plateau, avec les chiens qu'elle m'indique ; et une première forme de confiance, à laquelle aspirent les Roses Noires depuis toujours.
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