Acte 1, Scène 5
Taverne des Naeve, matinée hivernale, huit heures plus tard
Eil Naeve m’apporte un deuxième pot de vin clair, avec un autre pain.
« La nuit a été propice, se risque à suggérer la jeune Naeve.
– Et le pain est bon, ce matin. Tout vient à point…
– Tes proies se sont jetées dans tes filets ?
– Tu es trop curieuse, Eil.
– Tu as peut-être réussi à changer de travail alors ! »
Je ne dis rien durant quelques instants. Le chant de la Lys, est, comme à l’accoutumée, beau à en pleurer. Arian s’approche de moi, plus curieux que la jeune Naeve. Beaucoup plus avide aussi.
« Tu as trouvé un nouveau filon, Sass ?
– Pas de quoi payer ma tournée, Ritun », dis-je en m’assurant que mon pot soit hors de sa portée.
Arian Ritun me sourit. C’est un crasseux, opportuniste, mais on a déjà passé de bons moments ensemble, à rire ici ou en titubant jusqu’à la Réserve.
« Comment vont-ils ? lui demandé-je pour détourner la conversation.
– Je te connais, Byan, ne l’oublie pas ! Quand tu demandes des nouvelles de ta famille, c’est que tu cogites à fond sur un truc. »
Il se penche sur moi, pour me chuchoter quelque chose. Il n’a pas encore sué, aujourd’hui, et ce camarade de comptoir pue déjà.
« Tu me mets dans le coup ?
– À une condition, avancé-je rêveusement. Si tu trouves un moyen d’obtenir un service d’une personne qui ne te doit rien.
– Facile, ça ! fait-il en quelques secondes : la menace ! On ne sert que son maître ; connais-tu un meilleur tyran que la peur ?
– Tu es dur, Arian. Je vais me coucher. Merci pour tout, Eil.
– Fais attention à toi, me dit-elle.
– N’oublie pas ce que je t’ai dit, Sass ! On n’a rien sans rien ! »
Arian Ritun se détourne de moi, tandis que j’avance vers la sortie de la Taverne. J’écoute la voix enchanteresse de la Lys. Comment autant de pureté peut croiser autant de noirceur, en un si petit monde ?
Je sors dans le froid du jour, j’ai presque tout dépensé de ma nuit de travail. Mais j’ai le ventre plein, les idées vagues, tout ce qu’un homme peut souhaiter. Je me dis que je devrais voir mes parents, plutôt que de questionner Ritun. Je me dis souvent que je devrais le faire : je leur dois tout, et surtout, ils ont encore à donner. Mais on ne se refait pas, et je déteste demander.
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