Chapitre 2

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Je ne savais pas ce que j’appréhendais le plus. M’abaisser à demander à mes parents la permission de retourner vivre chez eux, leur annoncer qu’en plus de m’être faite larguée, je n’avais plus de boulot, ou affronter la déception dans les yeux de ma mère.

Elle ne m’avait rien reproché lorsqu’elle avait appris pour mon IVG mais je savais que ma décision la privait d’un rêve qu’elle choyait. À cause de problèmes de santé, Maman avait dû faire une croix sur ses autres désirs de grossesse. Je savais qu’au fond d’elle, elle attendait patiemment le jour où elle pourrait bercer ses petits-enfants. Malheureusement, mon choix de vie accentuait ses regrets. Pourtant, elle possédait cette faculté de camoufler ses sentiments par un regard bienveillant et des paroles réconfortantes. Elle m’avait toujours fait confiance et poussé à suivre mon propre chemin. C’est certainement grâce à elle que j’avais été capable de tenir tête à Simon aujourd’hui. Peut-être que ma réaction semblait disproportionnée ou témoignait d’un orgueil mal placé, mais je préférais vivre seule et repartir de zéro plutôt que de m’entourer de gens hypocrites et faux. 

Je décidai de retarder encore un peu mon appel en commençant par rassembler mes affaires. Dans tous les cas, il me fallait quitter cette maison au plus vite. L’empreinte de Simon transpirait de partout. Je ne supportais plus de voir ses chemises dans la penderie, sa guitare échouée dans le salon ou encore sa tronche aimantée sur le frigo.

Comment se pouvait-il, que je le déteste à ce point ? Il me semblait pourtant l’avoir aimé au premier regard. Lorsque je l’avais vu entrer chez Black Rose, mon corps tout entier s’était retrouvé comme aimanté à ce curieux personnage. Ses longs cheveux remontés en chignon, sa barbe rase et ses bagues aux doigts lui conféraient une allure de rockstar qui m’avait tout de suite séduite. Il parlait avec assurance, se déplaçait avec grâce. Il était évident qu'il était la personne la plus apte à prendre la tête de notre maison d'édition. Mais, cette prestance que je lui avais toujours attribuée s’était envolée en un claquement de doigt. Je le trouvais à présent arrogant et méprisable. Je me sentais bien naïve de m’être faite bernée à ce point. Pour autant, je ne m’en portais pas plus mal. Pendant trois mois, je m’étais repliée sur moi-même, me persuadant qu’une vie sans lui était impossible, allant même jusqu'à regretter d’avoir fait partir notre enfant. Qu’est-ce que j’avais été conne ! Évidemment qu’une vie sans lui était possible. J’avais vécu avant lui, j’en ferai de même après. En fait, il m’avait rendu un immense service. J’allais pouvoir reprendre le contrôle de ma vie, faire ce qui me plaisait et être qui j’avais envie. 

Mais avant de retrouver mon indépendance, j’avais besoin d’un petit coup de pouce de mes parents. Mettant mon égo de côté, je composai leur numéro de téléphone. Le répondeur se déclencha. J’essayai l’un des deux portables et, après trois sonneries, la voix grave de mon père me répondit.

— Salut P’pa !

— Ah Lili ! Comment ça va ?

— Bien !

Je me repris aussitôt.

— En fait, bof ! Avec Simon, on a décidé de… de se séparer. Alors, je me demandais si je pouvais venir quelques jours, le temps pour moi de trouver autre chose.

— Et ton boulot ?

Et BIM, les deux pieds dans le plat, merci Papa ! J’hésitai, mais lui annoncer la nouvelle maintenant m’éviterait sans doute une longue leçon de morale lorsque nous nous retrouverons à table.

— J’ai donné ma démission. Je me voyais mal continuer à bosser pour lui.

— C’est aussi grave que ça ?

— Non, ce n’est pas grave. Je n’ai pas besoin de lui. Faut juste que je m’aère un peu. Mais si ça vous dérange, pas de soucis, je chercherai un hôtel…

— Mais non ! Bien sûr que tu peux venir. Mais, on est en route pour Étretat, on va chez Mamé. Tu nous rejoins là-bas ?

Aussitôt, les falaises envahirent mon esprit. Je sentais presque l’odeur iodée me chatouiller le nez. J’avais passé de merveilleuses vacances là-bas. Le souvenir du visage ridé de ma grand-mère se dessina devant moi. Je distinguais parfaitement ses cheveux bouclés et son tablier fleuri. Je la revoyais, affairée en cuisine, les deux mains plongées dans sa pâte à tarte, tandis que je la regardais, les mains sur les hanches et tapant du pied pour qu’elle remarque les cerises accrochées à mes oreilles. Je souris à ce souvenir. J’avais passé tous mes étés chez Mamé avant que ma mère et elle ne se disputent. J’étais alors adolescente si bien que lorsqu’elles s’étaient rabibochées, j’étais passée à autre chose. Les vacances chez mon aînée m’intéressaient moins que les colo entre copains. Ensuite, je l’avais complètement délaissée au profit de Paris. J’étais partie pour vivre ma vie…

— OK ! Je vais regarder les horaires de train.

— Entendu, tiens-moi au courant, je viendrais te chercher.

— Merci P’pa !

Après avoir raccroché, j’avisai les disponibilités pour un trajet Paris-Le Havre. Je réservai un billet pour le lendemain matin. Exténuée par la tournure inattendue qu’avait pris ma vie ces dernières heures, je décidai de prendre sur moi et de passer ma dernière nuit ici. Demain, aux premières lueurs de l’Aurore, un train m’emmènerait en Normandie. J’oublierai ainsi Simon Cordier et tout ce temps perdu à Paris.

Après m’être enfilé le pot de glace Ben & Jerry’s qu’il restait, en entier, je m’allongeai dans le canapé sous mon plaid en sherpa et laissai mon esprit fouiller mes souvenirs d’enfant. Il me tardait soudain de retrouver Mamé et cette part de moi que j’avais perdue en grandissant. Je voulais sentir l’odeur de café se mêler à l’eau de Cologne de ma grand-mère et le vent qui soufflait sur les plages d’Étretat. Je voulais retrouver la profondeur du bleu de la Manche et ce loisir de flâner et de rêver entre deux averses de soleil.

Ce retour aux sources s’imposait désormais comme une étape essentielle dans le commencement de ma nouvelle vie. Avant de plonger dans un profond sommeil, je remerciai intérieurement Simon Cordier de m’avoir rendu ma liberté.

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